Weber, Molière, Marthouret

 

Weber, Molière, Marthouret 

Chaque lundi, au Théâtre de Poche, Jacques Weber et François Marthouret fêtent le quatre centième anniversaire de la naissance de Molière, avec, à chaque fois, des extraits de son théâtre qu’il lisent et/ou interprètent. Au programme, cette semaine, une balade dans Le Misanthrope surtout mais aussi dans Don Juan et Le Malade Imaginaire, pièces emblématiques de notre grand dramaturge…

©xSur le plateau, juste une grande table avec quatre chaises de bistrot en bois et une autre petite avec machine à café, verres et carafe d’eau. Jacques Weber annonce tout de suite la couleur: il connait bien, dit-il, l’œuvre de Molière et il a en effet joué les rôles-titres du Misanthrope et de Tartuffe dans ses propres mises en scène mais aussi Dom Juan dans celle de Francis Huster. Et il interpréta aussi L’Avare, mis en scène par Jean-Louis Martinelli. Et encore Tartuffe encore il y a quatre ans dans une réalisation de Peter Stein. Il a aussi réalisé un spectacle Jacques Weber raconte… Monsieur Molière, d‘après la biographie de Mikhaïl Boulgakov qu’il admire beaucoup et dont il lira un extrait: la dernière représentation du Malade Imaginaire et la mort rapide d’une grave hémorragie pulmonaire de l’auteur. Il dit aussi que François Marthouret a surtout joué avec Peter Brook, des pièces de Shakespeare, un auteur qu’il avoue, lui,  mal connaître.
Ces grands acteurs se sont récemment retrouvés dans Le Roi Lear de Georges Lavaudant. Ils sont chacun un texte sur la table. Jacques Weber bouge beaucoup et va souvent boire un verre d’eau et au passage. Il raconte avec saveur quelques anecdotes de sa vie d’acteur, notamment son travail avec son grand ami Jacques Villeret dont un des profs du Conservatoire avait dit qu’il n’arriverait jamais à grand chose! François Marthouret, plus discret, reste la plupart du temps, sagement assis. Habiles complices, ils savent donner une vie intense à leurs personnages dans ces tirades écrites dans une langue remarquable.
Mais bon, même si le spectacle est dit, par Jacques Weber : »improvisé »  cela sent quand même le travail vite fait et pas toujours d’une grande rigueur… Il est quelquefois un peu paresseux côté diction et nous avons eu la nette impression qu’un supplément de répétitions n’aurait pas été un luxe. Une spectatrice âgée qui, visiblement connaissait les acteurs, a dit en sortant à son amie qu’elle ne s’était pas ennuyée pendant cette heure et demi, mais que, pourtant, le compte n’y était pas tout à fait fait. Bien vu! Il faut toujours savoir écouter le public…

Philippe du Vignal

Théâtre de Poche, 75, boulevard du Montparnasse, Paris (VI ème). T. : 01 01 45 44 50 21.

Molière. Jour après jour, de Jacques Weber avec la collaboration de Bernard Weber. Ramsay: Archimbaud (1995).

 

 


Archive pour 19 avril, 2022

Ils nous ont oubliés, d’après La Plâtrière de Thomas Bernhard, mise en scène de Séverine Chavrier

Ils nous ont oubliés, d’après La Plâtrière de Thomas Bernhard, mise en scène de Séverine Chavrier

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© Christophe Raynaud de Lage

Un meurtre a eu lieu à la Plâtrière, une sinistre friche industrielle dans une carrière de gypse envahie par la nature, mais habitée par un couple soudé par la haine:«Le mot haine est peut-être trop fort, dit Séverine Chavrier, c’est plutôt un endroit enkysté par la dépendance.» avec «un fou victime d’une infirme, une infirme victime d’un fou», selon un personnage du roman.

Une scène de crime comme au cinéma avec une ronde de nuit dans le forêt où nous voyons des silhouettes munies de lampes-torches qui balaient un espace blanchâtre couvert de neige (et/ou de plâtre)… Des caméras explorent le domaine et projettent sur plusieurs plans et en différents formats, les images captées. Des personnages rustiques pénètrent dans un sordide cabanon au fond des bois où pullulent pigeons et corbeaux… Un sapin de Noël clignote encore.  Ils racontent, autour d’un schnaps, comment Konrad a tué sa femme infirme et le long cheminement du couple jusqu’au drame. Des visages apparaissent en gros plan, tavelés et déformés par des masques, Ils sont la transposition des nombreux témoins qui, dans le quatrième roman de Thomas Bernard, confient leur version des faits à un narrateur anonyme: des voisins, des ouvriers, un architecte ou une aide-soignante… qui ont reçu les confidences du couple. Leurs paroles, enchâssées dans le long récit touffu du roman, délivré d’un seul tenant, deviennent  ici les intrus anonymes de ce lieu en déshérence.

La Plâtrière a ici un rôle central. Louise Sari a imaginé de vastes extérieurs plantés de sapins, parsemés de refuges forestiers, peuplés animaux sauvages et une habitation qui tombe en ruine. Des travaux sans fin ont lieu, mais de démolition? La caméra démultiplie les espaces: couloirs, sous-sol, grenier  de ce bunker labyrinthique …. Des images dont nous nous souviendrons longtemps.

Le couple, enfermé dans cette vaste prison, après avoir «fait barricader toutes les portes, verrouiller toutes les fenêtres», cache des armes dans presque toutes les pièces car l’isolement attire les rôdeurs. Konrad (Laurent Papot) a besoin d’une paix absolue pour écrire son Essai sur l’ouïe. Depuis cinq ans qu’il s’y échine, il n’arrive à rien, dérangé par les caprices d’une épouse invalide (Marijke Pinoy) et par l’intrusion de visiteurs. A l’affût des bruits perçant le silence, il a une oreille aiguisée qui perçoit tout. Il torture sa femme avec des expériences acoustiques car ses travaux portent sur comment parler de l’audition. Parler de son écoute, mission impossible comme l’écrit Peter Szendy: «Je m’interroge, peut-on faire écouter une écoute? Puis-je transmettre mon écoute singulière? Cela me paraît tellement improbable.».

Le travail sonore rythme tout le spectacle. Essentiel pour Séverine Chavrier, pianiste de formation. Pour créer des effets d‘hyperacousie, le volume du son est amplifié à la limite de la tolérance: portes qui claquent, coups de feu, cris stridents, scies vrillant les tympans… Des bruits rendus par le percussionniste Florian Satche. De sa batterie, le compositeur tire grondements, craquements, explosions, en explorant toutes les nuances de timbres et sonorités et il devient l’un des visiteurs de la Plâtrière. Mais, au-delà de la partition, tout ici résonne: murs, pas et voix. Il y a de l’écho dans cette campagne désertée… «Au départ, dit Séverine Chavrier, je voulais appeler le spectacle On frappe, (comme Konrad passe son temps à le dire).» 

L’ impuissance de Konrad à écrire, conjuguée à la frustration de sa femme, fait de leur quotidien un enfer. Tout devient sujet de tension, jusqu’à leurs lectures. Thomas Bernhard en profite pour égratigner le romantisme idyllique d’Henri d’Ofterdingen de Novalis, représentatif de l’univers désuet de Madame Konrad. Son époux lit L’Entraide de Pierre Kropotkine, traité anti-darwinien sur l’entraide des espèces. Mais les antagonismes du couple viennent de plus loin: pendant vingt ans, ils ont voyagé pour faire plaisir à Madame… Des souvenirs qui se réduisent à quelques cartes postales. Puis ils se sont confinés à la Plâtrière, pour que Konrad puisse écrire  et cela contre le gré de sa femme. En situation de précarité, Konrad doit vendre en cachette le mobilier du ménage. On voit leur appartement se vider peu à peu et leurs meubles se délabrer. Mais il dit toujours : «Entre la société et mon traité, je choisis mon traité. » Et «Entre ma femme et mon traité, je choisis mon traité. » Sacrifice pour le moins stérile car il n’écrira pas une ligne pendant cinq ans. Une impasse avec la mort pour seule issue. Nous reconnaissons ici l’immobilisme des personnages à la Thomas Bernhard, le retour du même qui s’opère dans le ressassement et une lente dégradation.

Séverine Chavrier emploie les grands moyens pour rendre cette atmosphère délétère. La vidéo de Quentin Vigier, omniprésente, nous enveloppe, voire envahit l’espace au point de faire disparaître le jeu en direct. Nous sommes comme noyés dans les images et frustrés de véritables scènes théâtrales. Malgré une belle maîtrise de l’image et du son, il y a, dans cette plongée sensorielle et onirique à la Plâtrière, des redites et le temps parait long. Le décor exige de nombreux aménagements entre les trois parties du spectacle et donc des pauses. Et nous perdons alors l’intensité du récit, écrit en d’une seule traite par Thomas Bernard. Nous aimerions plus de concision, surtout dans la deuxième partie.

Malgré ces réserves, ce spectacle en forme de cauchemar est une réussite, grâce à la beauté du décor, l’univers sonore, l’invention des comédiens et à la présence insolite d’inquiétants personnages, répliqués en pantins grandeur nature: «Ils participent d’une atmosphère onirique, dit la metteuse en scène et convoquent les mémoires des ouvriers licenciés de La Plâtrière. On y traîne, on s’y drogue.» Les oiseaux, entraînés par Tristan Plot, contribuent à cette ambiance de terreur diffuse  à la Shining, de Stanley Kubrick. La neige, le gel, le froid,  la campagne où le chasse-neige ne passe plus et où le boulanger s’est pendu, les territoires périphériques de ces oubliés, nous parlent ici, bien au-delà du contexte autrichien du roman. 

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 27 avril, Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris (XVII ème). T. : 01 44 85 40 40.

 Du 2 au 14 juin, Théâtre national de Strasbourg.

Les 8 et 9 juillet, Teatro Nacional São João, Porto, Portugal.

 

Very Math Trip, de et avec Manu Houdart, mise en scène de Thomas Le Douarec

Very Math Trip, de et avec Manu Houdart, mise en scène de Thomas Le Douarec

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C’est en une heure et quelque, une sorte de balade dans le pays redoutable des maths qui laissent de très mauvais souvenirs à beaucoup d’entre nous, que ce soit au collège ou au lycée avec équations, abscisses et ordonnées, etc. voire depuis l’école primaire avec des histoires glaçantes de trains, pourcentages, tonnes de blé, contenus de bidons à soustraire ou ajouter…. Manu Houdart s’amuse et amuse avec  équations et chiffres, après les succès de son livre Very Math Trip. « Les maths ont depuis longtemps pris une place majeure dans ma vie. J’aime leurs belles histoires, leurs énigmes, leurs secrets et par-dessus tout, leurs effets de surprise. »

En pantalon noir, chaussettes dépareillées, chemise blanche, bretelles et nœud papillon, Manu Houdart veut nous convaincre de toute la magie des maths et aussi du mystère -juste apparent- qu’elle recèlent. Ce professeur agrégé de maths belge est un excellent pédagogue, même s’il va parfois un peu vite.
Il a d’abord une grande gentillesse et est le plus clair possible. Comme il a aussi une excellente diction et qu’il maîtrise parfaitement son domaine, il arrive à faire participer, sans difficulté et avec beaucoup d’humour, un public qui ne demande que cela. Il nous explique entre autres le théorème de Pythagore, avec la mesure d’un poteau planté sur une terrain de foot et se livre à des démonstrations d’algèbre et géométrie.
Il nous fait travailler, entre autres,  sur la fameuse courbe de Gauss et ses probabilités: dans cette salle d’une centaine de personnes, deux au moins, dit-il, ont les mêmes jour et mois de naissance. Vérifiés, à la grande stupéfaction du public! Et il parsème son discours d’anecdotes savoureuses, rappelant au passage que le très riche M. Nobel n’a pas voulu créer de prix de mathématiques: une sombre histoire de rivalité avec un collègue matheux qui lui avait piqué  son amoureuse…
Avec Manu Houdart, tout devient-presque-limpide et le public, tous âges confondus, s’amuse avec ces démonstrations auxquelles il participe vraiment. La fin de ce solo est brillante, quand Manu Houdart nous parle du fameux  π, avec, projetée sur grand écran, des milliers de cette fameuse série de chiffres. π: un rapport constant de la circonférence d’un cercle avec son diamètre, d’une importance capitale en maths comme en physique. Et il rappelle que, si les seize premiers chiffres sont: 3,141 592 653 589 793, on connaissait il y a quelques années plus de douze mille milliards de ses décimales ! A la fin, nous aurons même droit à un bonus : une petite séance de mentalisme où il «devinera» dans un petit livre rassemblant par milliers, des chiffres de cette série de π, se trouve le jour et le mois de naissance d’une spectatrice, bien entendu inconnu de lui.

Manu Houdart rappelle aussi que cette découverte de π est aussi liée au nombre d’or, souvent utilisé en art comme en architecture. Avec un rapport entre le périmètre de la base et le double de la hauteur comme la pyramide de Khéops…Et cela donne le vertige, il précise que le record officiel de mémorisation passe en 2.015 à 70.000 décimales, dites en neuf heures et vingt-sept minutes par Rajveer Meena, un étudiant indien, puis en octobre de la même année à 70.030  en dix-sept heures quatorze minutes, dites par un autre Indien, Suresh Kumar Sharma…

Un solo exceptionnel mis en scène avec intelligence et précision par Thomas Le Douarec, garanti sans fumigènes ni micro H.F. A mi-chemin entre une performance et du vrai théâtre. Et très souvent drôle, ce qui n’est jamais un luxe, et loin très loin, des monologues souvent fastidieux tirés de romans, une manie qui sévit actuellement. Une belle réussite et la petite classe d’une centaine de personnes- dont une dizaine de profs de maths- est sortie de cette grande cave voûtée aux belles pierres blanches, visiblement enchantée de l’expérience. Les enfants avaient plein d’étoiles dans les yeux…

Dehors sur le boulevard de Bonne Nouvelle, une grande brocante… et un autre théâtre politique celui-ci en plein air: une grande manif-installation avec de très nombreux jeunes du collectif Extinction Rébellion qui ont bloqué la circulation vers 9 h 45 avec des barricades de bottes de foin pour dire leur colère face à l »inaction climatique » des candidats à la Présidentielle. Une banderole avec des mots: “Ce monde se meurt, construisons le prochain” et ces militants scandaient : “On est chaud, chaud, chaud, plus chaud que le climat”. Les fait sont têtus: ni Emmanuel Macron ni Marine Le Pen n’ont montré beaucoup de bonne volonté pour faire appliquer les réformes de l’Accord de Paris. Note à benêts: pour une fois, les nombreux C.R.S. laissaient faire et n’étaient pas agressifs…Le message de ce collectif est clair: A bon entendeur, salut, et à dimanche prochain, dans les urnes… Cela se passait sur les boulevards un samedi de Pâques ensoleillé.

Philippe du Vignal

Les samedis seulement au Théâtre du Gymnase, 3! boulevard de Bonne Nouvelle, Paris (Xème). T. : 01 42 46 79 79.

 

Black Bird, chorégraphie et interprétation de Mathilde Rance

Black Bird, chorégraphie et interprétation de Mathilde Rance

Oiseau des îles ou perroquet aux plumes luxuriantes, elle énumère dans la pénombre une série ininterrompue de mots en -isme… jusqu’à perdre le sens et l’haleine. Ses pieds martèlent le sol au rythme d’interjections parlées-chantées. C’est le premier tableau de cette pièce de vingt-cinq minutes. Sans perdre en intensité, Mathilde Rance enfourche une harpe celtique de pacotille, jouant et chantant avec les gestes et le faciès obscènes d’un satyre… Parodie d’une figure tout droit sortie d’un vase grec «Je suis, dit-elle, nourrie de figures fantastiques, merveilleuses et mythologiques.»

Il y a une belle énergie comique dans ces caricatures et elle a aussi un talent de chanteuse et musicienne. Tout en dansant, elle manie un grand tambour qui devient disque solaire, pour un cérémonial rappelant certains des rites aztèques. La chorégraphe, formée au Centre National de la Danse à Angers, a commencé son parcours avec la compagnie Oposito-Centre National d’arts de la rue. Forte de ses expériences tout terrain, elle a acquis une technique polyvalente où prédomine une signature visuelle chamarrée.

Renouant avec le théâtre de foire, elle se désigne comme sorcière, dragon, monstre et fait retentir ses incantations, au son d’instruments empruntés aux cultures populaires de tous les continents.  Ce solo fait partie d’un triptyque dont le deuxième volet Suspens-Fracas sera créé en décembre prochain. Avec ce Black Bird, les premiers pas de Mathilde Rance sont prometteurs.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 14 avril à l’Espace Cardin-Théâtre de la Ville, dans le cadre de Jeunes Créateurs-Temps fort danse, du 12 au 18 avril, 1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème) T. : 01 42 74 22 77.

Le 14 mai, Centre national de la danse de Pantin (Seine-Saint-Denis).

Et le 18 juin, dans le cadre du festival June Events, Cartoucherie de Vincennes. 17h30 au Bal

 Festival d’Avignon  : du 13 au 17 juillet • 17h •Belle Scène Saint Denis  Une programmation du Théâtre Louis Aragon
Scène conventià La Parenthèse, 18 rue des études, Avignon
 

 

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