Soixante-seizième édition du festival d’Avignon…
Soixante-seizième édition du festival d’Avignon…
Le plus important festival de théâtre au monde, créé en 1947 par Jean Vilar, aura lieu aux mêmes dates que d’habitude, du 7 au 26 juillet. Cette édition sera la dernière pilotée par Olivier Py, après un mandat de dix ans. Mais il restera avec sa compagnie en Avignon toute l’année. Et lui succèdera l’an prochain, Tiago Rodrigues, auteur et metteur en scène portugais bien connu en France, premier étranger à diriger ce festival.
Olivier Py n’a voulu cette édition « ni récapitulative, ni commémorative». Mais s’y dégagent les mêmes lignes artistiques qui lui sont chères, avec une volonté, cette année encore, de privilégier les spectacles de metteuses en scène. Comme en témoigne l’affiche. Ce qui est tout à son honneur… Anne Théron mettra en scène une adaptation d‘Iphigénie de Tiago Rodrigues. Elise Vigier avec Anaïs Nin au miroir d’Agnès Desarthe.
Solange Oswald, elle, avec le Groupe Merci, reprendra la fameuse Mastication des morts de Patrick Kermann, une pièce en plein air qu’elle avait créée en 1.999 (voir Le Théâtre du Blog).
En adaptant Dans ce Jardin qu’on aimait, un récit de Pascal Quignard, Marie Vialle nous fait entrer dans un univers sonore où « la solitude devient une écoute absolue du monde, le souvenir d’un être aimé et la manifestation d’une cruauté inattendue ». Elle s’est aussi inspirée de la vie du compositeur américain Simon Pease Cheney. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, un pasteur musicien perd sa femme en couches, se réfugie dans le deuil et commence à noter les bruits, les chants d’oiseaux, les sons de la pluie… ou encore la chorégraphe Maud le Pladec avec Silent Legacy.
Et on peut espérer -s’il arrive à sortir de Russie- que le grand metteur en scène et cinéaste Kirill Serebrenikov qu’Olivier Py avait invité bien avant l’invasion de l’Ukraine, présentera dans la Cour d’honneur du Palais des papes, Le Moine noir. Un spectacle tiré d’une nouvelle d’Anton Tchekhov, créé le mois dernier au Théâtre Thalia de Hambourg. Il a mis en scène des textes de Gorki, Ovide, Shakespeare, Pouchkine et des opéras pour le Bolchoï et en Europe. Mais la radicalité de ses spectacles et ses positions pro-démocratie et LGBT ne plaisent pas beaucoup là-bas! Il y a deux ans, il a été assigné à résidence et condamné à de la prison avec sursis… Bien connu en France, il a présenté au festival de Cannes Le Disciple (2016), Leto (2018) et La Fièvre de Petrov (2021) et au festival d’Avignon, Les Idiots (2015) et Les Âmes mortes l’année suivante, puis Outside en 2019 (voir Le Théâtre du Blog) .
Mais très mal vu par Vladimir Poutine dont il critique le régime, à cause de ses spectacles jugés trop audacieux, mais aussi parce qu’il soutient ouvertement les LGBT, il n’a pas le droit de quitter Moscou, après avoir été condamné, soi-disant pour détournements de fonds…
Il y aura aussi d’autres spectacles étrangers comme Solitaire de Lars Noren mort l’an passé et dont Sofia Adrian Jupither a monté sept pièces. Et En Transit d’Amir Reza Koohestani; Il y a quatre ans, cet auteur et metteur en scène viranien partait pour le Chili. A une escale à Munich, il est transféré par la police des frontières vers la zone de transit. Motif : être resté quelques jours de trop dans la zone Schengen, suite à la délivrance inexplicable de deux visas de séjour différents. Il sera renvoyé en Iran. Dans la salle d’attente, il lit Transit d’Anna Seghers et se retrouve avec des gens semblables à ceux qui cherchaient, dans ce roman, un moyen de fuir l’Europe nazie.
Cette année, peu d’œuvres d’auteurs «classiques», sinon cette adaptation de la nouvelle d’Anton Tchekhov et un Richard II de William Shakespeare, mise en scène de Christophe Rauck, le directeur du Théâtre des Amandiers à Nanterre. Avec, entre autres, Thierry Bosc, Murielle Colvez, Cécile Garcia Fogel… Et Micha Lescot dans le rôle-titre: «J’avais travaillé Richard II pour un hommage à Jean Vilar, à Avignon, avec Gérard Desarthe. C’était resté dans ma tête. Il fallait que je trouve la bonne personne. » Il avait déjà été mis en scène par Christophe Rauck dans Départ volontaire de Rémi De Vos et lui dit qu’il avait envie du rôle. «Richard est à l’image de son époque: il est la crise. Lui-même est en crise. C’est pourquoi, il n’est pas assez radical, comme s’il avait eu le pouvoir trop tôt. Et au moment de sa destitution, son dépouillement est magnifique. »
Et il y aura un autre Shakespeare, La Tempesta, mise en scène du Turinois Alessandro Serra qui a reçu le prix Ubu en 2017 pour un Macbettu, une version sarde d’après Shakespeare, interprété uniquement par des hommes, avec sonnailles, instruments anciens, cornes et peaux d’animaux... Mais pas la moindre trace, pas le moindre hommage à notre Molière à tous… Olivier Py a sans doute pensé que la coupe était bien assez pleine mais c’est vraiment dommage!
Il avait écrit puis monté La Servante au Gymnase Aubanel en 95, un spectacle fleuve en vingt-quatre heures joué par vingt-huit acteurs sans interruption pendant sept jours et sept nuits… Peut-être histoire de renouer avec ses trente ans, il y créera cette année Ma Jeunesse exaltée, une sorte d’épopée en dix heures, avec un «dialogue entre un jeune arlequin et un vieux poète ». Et il reviendra au cabaret avec son personnage de Miss Knife à la fin du festival et avec aussi, les fameuses Dark Daughters, un groupe de chanteuses et danseuses ukrainiennes que nous avions déjà pu voir dans les spectacles de Lucie Berelowitsch
Du côté épopée théâtrale, un genre auquel Olivier Py est très attaché, sera aussi monté Le Nid de cendres par son auteur Simon Falguières (voir Le Théâtre du Blog). Une pièce en sept parties, inspiré par l’univers de contes traditionnels. Il nous parle d’un Occident en pleine autodestruction où naît Gabriel, recueilli par une troupe de comédiens ambulants et d’un pays de conte avec roi, reine ubuesques et Anne, une jeune princesse des temps modernes qui traverse les mers pour trouver l’homme qui sauvera sa mère d’un profond sommeil.. » C’est l’histoire d’un monde coupé en deux morceaux, qui, comme une pomme coupée en deux qui vont tenter pendant toute la pièce de se réunir. Je tends, dit Simon Falguières, à parler du monde d’aujourd’hui, de ce mouvement de l’Histoire que traverse notre génération, non pas en essayant de le montrer tel qu’il est mais en parlant la langue des contes.» Mais Shakespeare, Homère et Sophocle ne seront sans doute pas très loin…
Nous ne pouvons tout citer mais il y aura aussi, comme d’habitude, plusieurs pièces jeune public dont Le Petit chaperon rouge par Das Plateau et Gretel, Hansel et les autres, l’histoire d’une frère et d’une sœur perdus dans la forêt par leurs parents et vite aux prises avec une sorcière. «Mon adaptation, dit Igor Mendjinski, contera la fuite, la manière dont on abandonne les enfants aujourd’hui, la peur de certains de ne pas trouver le bon chemin, et surtout le besoin de grandir sans perdre de vu qu’il est important de continuer à se raconter des histoires. »
Il faut noter aussi deux expositions: L’œil présent de Christophe Raynaud de Lage qui a pris des milliers de clichés des spectacles à Avignon depuis dix-sept ans et qui, maintenant, apparaissent sur le site du festival le soir de la première, puis dans de nombreux articles article de presse. Et First but not last time in America par Kubra Khademi. Cette artiste afghane, réfugiée en France depuis sept ans, croise gestes épiques, poésie classique et slogans des femmes de son pays. Avec des peintures et performances nourries par la situation de son pays. «Ses représentations de femmes ne naissent pas du désir de montrer leur nudité mais de mettre en scène des corps libres. » Elle a aussi dessiné l’affiche de ce festival.
A noter aussi : pour la seconde année consécutive, la participation de l’École supérieure d’art d’Avignon, maintenant dirigée par Morgan Labar. Située dans de grands bâtiments mais à la périphérie donc souvent mal connue des habitants, elle offrira comme l’an passé sur son annexe, quartier Champfleury, des ateliers gratuits aux enfants de la ville et aux autres mais sur inscription préalable.
Au chapitre danse, cela sera aussi très international et c’est tant mieux, avec des créations comme, entre autres, Silent Legacy de Maud Le Pladec, avec Adeline Kerry Cruz, une enfant de Montréal qui, à huit ans, elle danse le krump né à Los Angeles il y a quelque vingt ans, et Audrey Merilus, une danseuse aux nombreux styles et techniques contemporains qui a travaillé avec Anne Teresa De Keersmaeker. Jan Martens qui était venu l’an passé avec un remarquable Any attempt will end in crushed bodies and shattered bones, revient avec une création : Futur proche.
Et on pourra voir aussi Dada Masilo avec sa compagnie sud-africaine qui présentera Le Sacrifice. Et encore Tumulus de François Chaignaud.
Un festival aux multiples perspectives, bien dans la ligne des éditions précédentes. Sans grande surprise, à part l’arrivée très attendue mais peu probable, vu les circonstances, de Kirill Serebrenikov. Mais cette manifestation – et c’est regrettable- n’est pas vraiment populaire: les places, quels que soient les spectacles, selon Olivier Py s’arrachent dès l’ouverture de la location en ligne… Mais bon, l’an passé, la Cour d’honneur était loin d’être toujours pleine. Restera à son successeur la tâche d’arriver à faire revenir un public, élargi et jeune, avec une carte de spectacles de théâtre exigeants mais moins longs et à l’accès plus facile. Une carte maintenant offerte par le festival off qui n’a plus rien à voir avec celui d’il y a vingt ans -nous vous en reparlerons très vite- et dont la qualité n’a cessé de progresser depuis quelques années…
Philippe du Vignal
Le 76 ème festival d’Avignon aura lieu du 7 au 26 juillet.
Prévente exceptionnelle de 10.000 places, uniquement en ligne, le samedi 4 juin à 14 h et ouverture des ventes en ligne, le mardi 7 juin de 14 h à 19 h. Et par téléphone : + 33 (0)4 90 14 14 14, du 7 au 30 juin, du mardi au samedi de 11 h à 19 h.
Du 1er au 26 juillet : tous les jours de 10 h à 19 h et le samedi 11 juin de 14 h à 19 h. Ouverture des ventes au guichet, cloître Saint-Louis, 20 rue du portail Boquier, Avignon, du 11 au 30 juin, du mardi au samedi de 14 h à 19 h. Et du 1er au 26 juillet, tous les jours aux mêmes horaires.