Festival de Marseille 2022, entretien avec Marie Didier
Festival de Marseille 2022, entretien avec Marie Didier
«Danse et corps en mouvement sont l’ADN de ce festival créé en 1996 qui a déjà une longue histoire », dit Marie Didier, sa nouvelle directrice qui succède cette année à Jan Goossens (voir le Théâtre du blog). Quitter La Rose des vents à Villeneuve-d’Ascq ne sera pas un dépaysement pour elle qui connait bien Marseille pour y avoir fait ses études, puis travaillé quelques années. Laisser la direction d’une Scène Nationale pour un festival international lui donne: «l’opportunité de mettre en place des projets plus ouverts sur le monde, surtout la Méditerranée et des aventures liées à ce territoire pluriculturel, terre d’exil et d’asile ». « L’énergie donnée par la dimension évènementielle, la prise de risques et de nouveaux publics m’intéressent particulièrement.» L’international, elle connaît avec NEXT, festival transfrontalier entre Hauts-de-France et Belgique (voir Le Théâtre du Blog). Et la danse aussi… Marie Didier en a programmé pendant des années à la Scène Nationale de Saint-Quentin-en-Yvelines, puis à celle de la Rose des Vents.
Ce qui l’attire dans la cité phocéenne? : «Le dynamisme des artistes locaux -ils constituent un quart de la programmation- comme Ahamada Smis, un musicien multi-instrumentiste venu des Comores (on dit souvent que Marseille est la capitale des Comores), beaucoup de Marseillais et la Rwandaise Dorothée Munyaneza avec sa compagnie Kadidi. Et le festival s’appuie sur le vitalité d’une centaine d’associations pour construire ou pour relayer des projets incluant le public. »
De cette programmation élaborée en six mois et conçue à 90% par Marie Didier, il faut retenir, hors les formes plus traditionnelles comme Somnole de Boris Charmatz (voir Le Théâtre du Blog) qui seront présentées dans quatorze lieux partenaires, plusieurs spectacles hors-norme et rassembleurs.
100% Afro
»Il s’agit, sous la houlette du chorégraphe et performeur nigérian Qudus Onikeku, de réunir une cinquantaine de danseurs repérés à Marseille et aux quatre coins du monde (en particulier sur internet), pour un spectacle géant d’afro-danse. Qudus Onikeku a travaillé avec eux, en ligne avant leur séjour à Marseille. Une fois les artistes sur place, leurs répétitions collectives seront filmées et diffusées en ligne sur un site créé pour l’occasion :afropolis.org. Une application pour smartphone permettra à des groupes d’amateurs locaux de « poster », eux aussi, leur danse. Les liens en ligne sont un héritage de la période covid: ce qui permettra de s’ouvrir au monde grâce aux réseaux sociaux, de regrouper la création, la diffuser et la transmettre. De cette expérience, naîtra un spectacle que nous espérons emmener en tournée. »
Parade
Librement inspirée du spectacle des Ballets russes, écrit par Jean Cocteau sur une musique d’Erik Satie, chorégraphié par Léonide Massine et avc un décor de Pablo Picasso, cette pièce rassemblera dix-sept artistes en situation de handicap ou pas, de tout âge et de tout niveau de danse: «Depuis trois ans, Andrew Graham prépare cette création pour établir un langage commun adapté au corps de chacun. Parallèlement, les ateliers que le chorégraphe mène toute l’année avec des amateurs, seront présentés pendant ce festival. »
Haking Urbain/Vertiges
Autre pari, confié à Rara Woulib (“défilé rara“ en créole), un collectif marseillais que nous avions rencontré en 2019 (voir Le Théâtre du Blog). Cette vingtaine de musiciens, artistes, acteurs, costumiers, constructeurs, artificiers, puise son inspiration dans la tradition haïtienne du « rara», pour des performances théâtrales à base d’improvisations : «C’est une forme musicale jouée dans les défilés de rue, mêlant instruments et chants… Intimement lié à l’idée de traversée, de marche, dépassement et transe.»Depuis sa création en 2007, ces spectacles de rue investissent et subvertissent l’espace public. Il se lance cette année, avec des étudiants en arts plastiques, associations citoyennes de droit au logement, collectifs de femmes, etc. ) dans une vaste opération de «hacking » urbain. Ils se réapproprient subrepticement la ville, après des années de sclérose, vu la crise sanitaire.
Un ambitieux triptyque avec des œuvres créées à Marseille en 2022, à Strasbourg, puis à Tunis en 2023. « Nous y interrogeons la forme et l’efficacité du cortège revendicatif traditionnel, dit Julien Marchaisseau qui dirige ce collectif. De l’installation muséographique vivante autour d’une architecture : celle du Centre de ressources des Arts de la lutte), à la déambulation et à l’occupation longue d’un espace, le format s’adapte aux partenaires de la société civile avec qui nous créons la mise en récit de l’individu et du collectif.» Le public sera associé aux étapes de cette démarche avec des rendez-vous en plusieurs lieux de la ville, annoncés au jour le jour.
Parmi les vingt-cinq propositions, celles de nombreuses femmes: «Je suis arrivée à une presque parité», dit Marie Didier. «Avec des esthétiques qui débordent, sensibles à l’air du temps, aux questions de genre, identité, justice sociale… Un des axes forts de la programmation: donner une entrée artistique à toutes ces questions. »
Un public en progression: «Avec une baisse à 10 € des entrées et une billetterie solidaire de 2.000 places à 1 €, nous arrivons à douze mille spectateurs payants. Et dix mille personnes assistent aux spectacles de rue». Cette importante fréquentation tient aussi à l’action menée par l’équipe permanente du festival tout au long de l’année, avec vingt ateliers de danse inclusive, et en milieu scolaire, des séances d’éducation artistique. Pour avoir plus d’écho, la manifestation investit cette année des sites inhabituels comme la Sucrière, un théâtre de verdure des quartiers Nord, ou le toit de la Cité radieuse de Le Corbusier… Human Rights Tattoo, une exposition au MUCEM vient compléter ce programme: depuis 2012, l’artiste néerlandais Sander van Bussel va tatouer, lettre par lettre (6.773 au total), la Déclaration des droits humains sur autant de personnes volontaires à travers le monde, soit déjà 4.695 lettres! Il propose de le faire aussi à Marseille et tous les tatouages réalisés seront visibles au MUCEM sur une fresque photo.
A suivre…
Mireille Davidovici
Du 16 juin au 9 juillet, 17 rue de la République, Marseille (II ème) T. : 04 91 99 02 50.