Tempest project, adaptation de La Tempête de Shakespeare et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

Tempest Project, un spectacle issu d’une recherche autour de La Tempête de William Shakespeare, adaptation et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

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Créé l’an passé au Printemps des comédiens à Montpellier et joué déjà un peu partout, c’est une adaptation  de l’une des dernières pièces de l’immense dramaturge. En fait, cela fait quelque soixante ans que Peter Brook est obsédé par ce texte étrange, énigmatique parfois mais aussi merveilleux et fascinant. Il l’a plusieurs fois explorée et mise en scène, des années cinquante à 1991, en Grande-Bretagne mais aussi au festival d’Avignon. Prospéro, le duc de Milan, après avoir été déchu et exilé par son frère, se retrouve avec sa fille Miranda sur une île déserte. Grâce à la magie, il maîtrise les éléments naturels et les esprits notamment Ariel, un être plein de vie  et  Caliban, un esclave, pauvre créature difforme symbolisant violence et  mort.

Le naufrage, provoqué par Ariel, d’un navire avec le roi de Naples, son fils Ferdinand mais aussi Antonio, le frère de Prospero. Grand mage et illusionniste, Prospero fait subir aux personnages arrivés sur l’île des épreuves mais Prospero se réconciliera avec son frère et le roi, mariera sa fille avec Ferdinand, et libérera Ariel et Caliban… Puis il renonce à la magie pour retrouver son duché
Cette pièce aux multiples aspects a pour des thèmes on ne peut plus actuels, comme la transmission de valeurs, le surnaturel, l’illusion, la quête d’identité, l’amour entre deux jeunes gens mais aussi la soif de vengeance que possèdent les êtres humains mais aussi les singes… La vengeance et parfois son renoncement, on le sait, est aussi le thème de nombreuses tragédies comme chez Sénèque, dans Electre de Sophocle, Hamlet et Titus Andronicus de Shakespeare. Et de ses contemporains: Thomas Kyd et sa Tragédie espagnole qui a inspiré Hamlet. Mais aussi des centaines de films américains et européens comme entre autres Vengeance aux deux visages (1961) de Marlon Brando, deux films de Quentin Tarentino ou en France,  Que la bête meure de Claude Chabrol (1969) ou plus récemment, Irréversible de Gaspar Noé. Autre thème de cette immense comédie, après le désir de vengeance: le pardon mais aussi la quête de liberté un mot qui revient souvent et qui le font remarquer Peter Brook et Marie Etienne, est le dernier de la pièce… L’esclave Caliban fils difforme de la défunte Sycorax déteste Prospéro et veut sa liberté. Comme Ariel, un esprit aérien au service de Prospéro qui l’a sauvé de la sorcière Sycorax. Et Prospero exilé dans cette île, même magicien, reste empêtré dans sa soif de vengeance. Il finira par admettre que cette vengeance -très aliénante- lui interdit justement de retrouver une forme de liberté disparue. Il pardonnera quand il verra l’amour de sa fille pour le fils de son frère, devenu un ennemi. Il sait alors qu’il n’y a pas aussi d’autre issue s’il veut que l’existence continue normalement: on ne peut vivre toujours dans un esprit de vengeance… C’est aussi la grande leçon de La Tempête…

Ici, sur le fameux plateau nu des Bouffes du Nord laissé dans son jus avec fond rouge et qui a été quelque vingt ans la maison emblématique de Peter Brook, son non moins fameux espace vide ou presque: avec quelques accessoires comme des bancs noirs où sont assis les acteurs qui ne jouent pas et quelques cylindres en bois dentelés, sans doute des pièces d’anciennes machines comme rescapées d’un naufrage pour évoquer cette île fantasmatique, en tout cas une belle trouvaille… Il y a seulement six acteurs venus d’origine et de pays différents : la marque de fabrique de la compagnie de Peter Brook. Le grand et majestueux Ery Nzaramba qui a déjà souvent joué sous sa direction, est Prospero révolté par la trahison de son frère.  Il marche pieds nus, s’appuyant sur un grand bâton. Sylvain Levitte est l’esclave Caliban, enveloppé dans une couverture militaire pleine de trous, mais aussi le jeune et beau naufragé Ferdinand qui aime -et c’est réciproque- Miranda (Paula Luna) la fille de Prospéro. Et il y a une très belle scène où ils  alignet sur le sol de fine branches où ils marchent comme sur un fil pour se rejoindre… avec une simple bâton en équilibre sur la tête. (Un exercice cher à Peter Brook comme à d’autres pédagogues). Et Fabio et Luca Maniglio, des acteurs frères qui jouent Trinculo, le bouffon du roi et son ami Stephano, l’intendant qui lève souvent le coude. Ils font penser aux jumeaux de Tadeusz Kantor qui avait présenté dans ce même théâtre son magnifique Wielopole, Wielopole en 1980 déjà. Souvenirs, souvenirs… comme en ont toux ceux qui ont fréquenté le théâtre de Peter Brook. Et il y a surtout Marilú Marini, l’immense actrice argentine qui aura tout joué: des spectacles mis en scène par Alfredo Arias, notamment la chatte dans le célèbre Peines de cœur d’une chatte anglaise (1977) et un Faust Argentin. Et elle joua aussi Caliban dans La Tempête mais aussi L’Affaire Steinheil, mise en scène de Jean-Michel Ribes (2002) ou l’année suivante, Winnie dans Oh!Les beaux jours de Samuel Beckett, mise en scène d’Arthur Nauziciel  2003. On l’a aussi vue dans les films de Catherine Corsini, Claire Denis…

Ce projet, intitulé comme tel, est issu d’ateliers en anglais et en français dirigés par Peter Brook et Marie-Hélène Estienne. Et cela sent, un peu et même beaucoup par moments… le travail d’atelier,avec une distribution inégale. Ery Nzaramba, malgré une belle présence physique, n’est pas très à l’aise, loin du merveilleux Sotigui Kouyaté nettement plus impressionnant. Et désolé, Paula Luna, un peu raide, n’a rien de cette Miranda, la belle amoureuse. Il y a heureusement le brillant Sylvain Levitte que nous avions découvert en 2008 dans Le Garçon du dernier rang de Juan Mayorga. Et surtout Marilú Marini : dès qu’elle apparait sur le plateau, elle illumine de sa présence. A soixante dix-sept ans, chapeau ! Quelle vitalité, quelle gestuelle, quelle formidable envie d’être là sur une scène et de faire rire un public…

Malheureusement, ce n’est pas, côté mise en scène, le meilleur travail de Peter Brook. Les personnages sont souvent statiques et la pièce est réduite à une sorte de squelette. Y manque le souffle vital, la grâce et l’émotion, sauf dans quelques scènes, comme celle de la fin où les amoureux s’embrassent devant le mur rouge. Et le public ? Partagé… Vu le prix des places, il y avait ce soir-là du moins beaucoup de gens d’un certain âge qui voulaient sans doute retrouver un peu de la magie de cette mis en scène à la création. Mais visiblement déçus, comme d’autres plus jeunes qui découvraient le travail de celui qui a été un très grand metteur en scène. Et de cette heure vingt, bien longuette, que nous restera-t-il… Bref, nous oublierons vite ce Tempest project.
Avertissement à nos amis professionnels qui voudraient voir un spectacle dans ce théâtre: une ancienne comédienne qui avait obtenu une détaxe, en a eu effectivement une… à 28 € ! «Vous comprenez, lui a-t-on dit au guichet, si voulez être au parterre, c’est plus cher qu’aux balcons. » Nous vivons une époque moderne, comme disait autrefois Philippe Meyer à France-Inter.

 Philippe du Vignal

Le spectacle a été joué du 21 au 30 avril au Théâtre des Bouffes du Nord,  37 bis boulevard de la Chapelle, Paris (Xème).

 

 

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