Weber, Molière, Marthouret

 

Weber, Molière, Marthouret 

Chaque lundi, au Théâtre de Poche, Jacques Weber et François Marthouret fêtent le quatre centième anniversaire de la naissance de Molière, avec, à chaque fois, des extraits de son théâtre qu’il lisent et/ou interprètent. Au programme, cette semaine, une balade dans Le Misanthrope surtout mais aussi dans Don Juan et Le Malade Imaginaire, pièces emblématiques de notre grand dramaturge…

©xSur le plateau, juste une grande table avec quatre chaises de bistrot en bois et une autre petite avec machine à café, verres et carafe d’eau. Jacques Weber annonce tout de suite la couleur: il connait bien, dit-il, l’œuvre de Molière et il a en effet joué les rôles-titres du Misanthrope et de Tartuffe dans ses propres mises en scène mais aussi Dom Juan dans celle de Francis Huster. Et il interpréta aussi L’Avare, mis en scène par Jean-Louis Martinelli. Et encore Tartuffe encore il y a quatre ans dans une réalisation de Peter Stein. Il a aussi réalisé un spectacle Jacques Weber raconte… Monsieur Molière, d‘après la biographie de Mikhaïl Boulgakov qu’il admire beaucoup et dont il lira un extrait: la dernière représentation du Malade Imaginaire et la mort rapide d’une grave hémorragie pulmonaire de l’auteur. Il dit aussi que François Marthouret a surtout joué avec Peter Brook, des pièces de Shakespeare, un auteur qu’il avoue, lui,  mal connaître.
Ces grands acteurs se sont récemment retrouvés dans Le Roi Lear de Georges Lavaudant. Ils sont chacun un texte sur la table. Jacques Weber bouge beaucoup et va souvent boire un verre d’eau et au passage. Il raconte avec saveur quelques anecdotes de sa vie d’acteur, notamment son travail avec son grand ami Jacques Villeret dont un des profs du Conservatoire avait dit qu’il n’arriverait jamais à grand chose! François Marthouret, plus discret, reste la plupart du temps, sagement assis. Habiles complices, ils savent donner une vie intense à leurs personnages dans ces tirades écrites dans une langue remarquable.
Mais bon, même si le spectacle est dit, par Jacques Weber : »improvisé »  cela sent quand même le travail vite fait et pas toujours d’une grande rigueur… Il est quelquefois un peu paresseux côté diction et nous avons eu la nette impression qu’un supplément de répétitions n’aurait pas été un luxe. Une spectatrice âgée qui, visiblement connaissait les acteurs, a dit en sortant à son amie qu’elle ne s’était pas ennuyée pendant cette heure et demi, mais que, pourtant, le compte n’y était pas tout à fait fait. Bien vu! Il faut toujours savoir écouter le public…

Philippe du Vignal

Théâtre de Poche, 75, boulevard du Montparnasse, Paris (VI ème). T. : 01 01 45 44 50 21.

Molière. Jour après jour, de Jacques Weber avec la collaboration de Bernard Weber. Ramsay: Archimbaud (1995).

 

 


Archive pour avril, 2022

Ils nous ont oubliés, d’après La Plâtrière de Thomas Bernhard, mise en scène de Séverine Chavrier

Ils nous ont oubliés, d’après La Plâtrière de Thomas Bernhard, mise en scène de Séverine Chavrier

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© Christophe Raynaud de Lage

Un meurtre a eu lieu à la Plâtrière, une sinistre friche industrielle dans une carrière de gypse envahie par la nature, mais habitée par un couple soudé par la haine:«Le mot haine est peut-être trop fort, dit Séverine Chavrier, c’est plutôt un endroit enkysté par la dépendance.» avec «un fou victime d’une infirme, une infirme victime d’un fou», selon un personnage du roman.

Une scène de crime comme au cinéma avec une ronde de nuit dans le forêt où nous voyons des silhouettes munies de lampes-torches qui balaient un espace blanchâtre couvert de neige (et/ou de plâtre)… Des caméras explorent le domaine et projettent sur plusieurs plans et en différents formats, les images captées. Des personnages rustiques pénètrent dans un sordide cabanon au fond des bois où pullulent pigeons et corbeaux… Un sapin de Noël clignote encore.  Ils racontent, autour d’un schnaps, comment Konrad a tué sa femme infirme et le long cheminement du couple jusqu’au drame. Des visages apparaissent en gros plan, tavelés et déformés par des masques, Ils sont la transposition des nombreux témoins qui, dans le quatrième roman de Thomas Bernard, confient leur version des faits à un narrateur anonyme: des voisins, des ouvriers, un architecte ou une aide-soignante… qui ont reçu les confidences du couple. Leurs paroles, enchâssées dans le long récit touffu du roman, délivré d’un seul tenant, deviennent  ici les intrus anonymes de ce lieu en déshérence.

La Plâtrière a ici un rôle central. Louise Sari a imaginé de vastes extérieurs plantés de sapins, parsemés de refuges forestiers, peuplés animaux sauvages et une habitation qui tombe en ruine. Des travaux sans fin ont lieu, mais de démolition? La caméra démultiplie les espaces: couloirs, sous-sol, grenier  de ce bunker labyrinthique …. Des images dont nous nous souviendrons longtemps.

Le couple, enfermé dans cette vaste prison, après avoir «fait barricader toutes les portes, verrouiller toutes les fenêtres», cache des armes dans presque toutes les pièces car l’isolement attire les rôdeurs. Konrad (Laurent Papot) a besoin d’une paix absolue pour écrire son Essai sur l’ouïe. Depuis cinq ans qu’il s’y échine, il n’arrive à rien, dérangé par les caprices d’une épouse invalide (Marijke Pinoy) et par l’intrusion de visiteurs. A l’affût des bruits perçant le silence, il a une oreille aiguisée qui perçoit tout. Il torture sa femme avec des expériences acoustiques car ses travaux portent sur comment parler de l’audition. Parler de son écoute, mission impossible comme l’écrit Peter Szendy: «Je m’interroge, peut-on faire écouter une écoute? Puis-je transmettre mon écoute singulière? Cela me paraît tellement improbable.».

Le travail sonore rythme tout le spectacle. Essentiel pour Séverine Chavrier, pianiste de formation. Pour créer des effets d‘hyperacousie, le volume du son est amplifié à la limite de la tolérance: portes qui claquent, coups de feu, cris stridents, scies vrillant les tympans… Des bruits rendus par le percussionniste Florian Satche. De sa batterie, le compositeur tire grondements, craquements, explosions, en explorant toutes les nuances de timbres et sonorités et il devient l’un des visiteurs de la Plâtrière. Mais, au-delà de la partition, tout ici résonne: murs, pas et voix. Il y a de l’écho dans cette campagne désertée… «Au départ, dit Séverine Chavrier, je voulais appeler le spectacle On frappe, (comme Konrad passe son temps à le dire).» 

L’ impuissance de Konrad à écrire, conjuguée à la frustration de sa femme, fait de leur quotidien un enfer. Tout devient sujet de tension, jusqu’à leurs lectures. Thomas Bernhard en profite pour égratigner le romantisme idyllique d’Henri d’Ofterdingen de Novalis, représentatif de l’univers désuet de Madame Konrad. Son époux lit L’Entraide de Pierre Kropotkine, traité anti-darwinien sur l’entraide des espèces. Mais les antagonismes du couple viennent de plus loin: pendant vingt ans, ils ont voyagé pour faire plaisir à Madame… Des souvenirs qui se réduisent à quelques cartes postales. Puis ils se sont confinés à la Plâtrière, pour que Konrad puisse écrire  et cela contre le gré de sa femme. En situation de précarité, Konrad doit vendre en cachette le mobilier du ménage. On voit leur appartement se vider peu à peu et leurs meubles se délabrer. Mais il dit toujours : «Entre la société et mon traité, je choisis mon traité. » Et «Entre ma femme et mon traité, je choisis mon traité. » Sacrifice pour le moins stérile car il n’écrira pas une ligne pendant cinq ans. Une impasse avec la mort pour seule issue. Nous reconnaissons ici l’immobilisme des personnages à la Thomas Bernhard, le retour du même qui s’opère dans le ressassement et une lente dégradation.

Séverine Chavrier emploie les grands moyens pour rendre cette atmosphère délétère. La vidéo de Quentin Vigier, omniprésente, nous enveloppe, voire envahit l’espace au point de faire disparaître le jeu en direct. Nous sommes comme noyés dans les images et frustrés de véritables scènes théâtrales. Malgré une belle maîtrise de l’image et du son, il y a, dans cette plongée sensorielle et onirique à la Plâtrière, des redites et le temps parait long. Le décor exige de nombreux aménagements entre les trois parties du spectacle et donc des pauses. Et nous perdons alors l’intensité du récit, écrit en d’une seule traite par Thomas Bernard. Nous aimerions plus de concision, surtout dans la deuxième partie.

Malgré ces réserves, ce spectacle en forme de cauchemar est une réussite, grâce à la beauté du décor, l’univers sonore, l’invention des comédiens et à la présence insolite d’inquiétants personnages, répliqués en pantins grandeur nature: «Ils participent d’une atmosphère onirique, dit la metteuse en scène et convoquent les mémoires des ouvriers licenciés de La Plâtrière. On y traîne, on s’y drogue.» Les oiseaux, entraînés par Tristan Plot, contribuent à cette ambiance de terreur diffuse  à la Shining, de Stanley Kubrick. La neige, le gel, le froid,  la campagne où le chasse-neige ne passe plus et où le boulanger s’est pendu, les territoires périphériques de ces oubliés, nous parlent ici, bien au-delà du contexte autrichien du roman. 

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 27 avril, Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris (XVII ème). T. : 01 44 85 40 40.

 Du 2 au 14 juin, Théâtre national de Strasbourg.

Les 8 et 9 juillet, Teatro Nacional São João, Porto, Portugal.

 

Very Math Trip, de et avec Manu Houdart, mise en scène de Thomas Le Douarec

Very Math Trip, de et avec Manu Houdart, mise en scène de Thomas Le Douarec

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C’est en une heure et quelque, une sorte de balade dans le pays redoutable des maths qui laissent de très mauvais souvenirs à beaucoup d’entre nous, que ce soit au collège ou au lycée avec équations, abscisses et ordonnées, etc. voire depuis l’école primaire avec des histoires glaçantes de trains, pourcentages, tonnes de blé, contenus de bidons à soustraire ou ajouter…. Manu Houdart s’amuse et amuse avec  équations et chiffres, après les succès de son livre Very Math Trip. « Les maths ont depuis longtemps pris une place majeure dans ma vie. J’aime leurs belles histoires, leurs énigmes, leurs secrets et par-dessus tout, leurs effets de surprise. »

En pantalon noir, chaussettes dépareillées, chemise blanche, bretelles et nœud papillon, Manu Houdart veut nous convaincre de toute la magie des maths et aussi du mystère -juste apparent- qu’elle recèlent. Ce professeur agrégé de maths belge est un excellent pédagogue, même s’il va parfois un peu vite.
Il a d’abord une grande gentillesse et est le plus clair possible. Comme il a aussi une excellente diction et qu’il maîtrise parfaitement son domaine, il arrive à faire participer, sans difficulté et avec beaucoup d’humour, un public qui ne demande que cela. Il nous explique entre autres le théorème de Pythagore, avec la mesure d’un poteau planté sur une terrain de foot et se livre à des démonstrations d’algèbre et géométrie.
Il nous fait travailler, entre autres,  sur la fameuse courbe de Gauss et ses probabilités: dans cette salle d’une centaine de personnes, deux au moins, dit-il, ont les mêmes jour et mois de naissance. Vérifiés, à la grande stupéfaction du public! Et il parsème son discours d’anecdotes savoureuses, rappelant au passage que le très riche M. Nobel n’a pas voulu créer de prix de mathématiques: une sombre histoire de rivalité avec un collègue matheux qui lui avait piqué  son amoureuse…
Avec Manu Houdart, tout devient-presque-limpide et le public, tous âges confondus, s’amuse avec ces démonstrations auxquelles il participe vraiment. La fin de ce solo est brillante, quand Manu Houdart nous parle du fameux  π, avec, projetée sur grand écran, des milliers de cette fameuse série de chiffres. π: un rapport constant de la circonférence d’un cercle avec son diamètre, d’une importance capitale en maths comme en physique. Et il rappelle que, si les seize premiers chiffres sont: 3,141 592 653 589 793, on connaissait il y a quelques années plus de douze mille milliards de ses décimales ! A la fin, nous aurons même droit à un bonus : une petite séance de mentalisme où il «devinera» dans un petit livre rassemblant par milliers, des chiffres de cette série de π, se trouve le jour et le mois de naissance d’une spectatrice, bien entendu inconnu de lui.

Manu Houdart rappelle aussi que cette découverte de π est aussi liée au nombre d’or, souvent utilisé en art comme en architecture. Avec un rapport entre le périmètre de la base et le double de la hauteur comme la pyramide de Khéops…Et cela donne le vertige, il précise que le record officiel de mémorisation passe en 2.015 à 70.000 décimales, dites en neuf heures et vingt-sept minutes par Rajveer Meena, un étudiant indien, puis en octobre de la même année à 70.030  en dix-sept heures quatorze minutes, dites par un autre Indien, Suresh Kumar Sharma…

Un solo exceptionnel mis en scène avec intelligence et précision par Thomas Le Douarec, garanti sans fumigènes ni micro H.F. A mi-chemin entre une performance et du vrai théâtre. Et très souvent drôle, ce qui n’est jamais un luxe, et loin très loin, des monologues souvent fastidieux tirés de romans, une manie qui sévit actuellement. Une belle réussite et la petite classe d’une centaine de personnes- dont une dizaine de profs de maths- est sortie de cette grande cave voûtée aux belles pierres blanches, visiblement enchantée de l’expérience. Les enfants avaient plein d’étoiles dans les yeux…

Dehors sur le boulevard de Bonne Nouvelle, une grande brocante… et un autre théâtre politique celui-ci en plein air: une grande manif-installation avec de très nombreux jeunes du collectif Extinction Rébellion qui ont bloqué la circulation vers 9 h 45 avec des barricades de bottes de foin pour dire leur colère face à l »inaction climatique » des candidats à la Présidentielle. Une banderole avec des mots: “Ce monde se meurt, construisons le prochain” et ces militants scandaient : “On est chaud, chaud, chaud, plus chaud que le climat”. Les fait sont têtus: ni Emmanuel Macron ni Marine Le Pen n’ont montré beaucoup de bonne volonté pour faire appliquer les réformes de l’Accord de Paris. Note à benêts: pour une fois, les nombreux C.R.S. laissaient faire et n’étaient pas agressifs…Le message de ce collectif est clair: A bon entendeur, salut, et à dimanche prochain, dans les urnes… Cela se passait sur les boulevards un samedi de Pâques ensoleillé.

Philippe du Vignal

Les samedis seulement au Théâtre du Gymnase, 3! boulevard de Bonne Nouvelle, Paris (Xème). T. : 01 42 46 79 79.

 

Black Bird, chorégraphie et interprétation de Mathilde Rance

Black Bird, chorégraphie et interprétation de Mathilde Rance

Oiseau des îles ou perroquet aux plumes luxuriantes, elle énumère dans la pénombre une série ininterrompue de mots en -isme… jusqu’à perdre le sens et l’haleine. Ses pieds martèlent le sol au rythme d’interjections parlées-chantées. C’est le premier tableau de cette pièce de vingt-cinq minutes. Sans perdre en intensité, Mathilde Rance enfourche une harpe celtique de pacotille, jouant et chantant avec les gestes et le faciès obscènes d’un satyre… Parodie d’une figure tout droit sortie d’un vase grec «Je suis, dit-elle, nourrie de figures fantastiques, merveilleuses et mythologiques.»

Il y a une belle énergie comique dans ces caricatures et elle a aussi un talent de chanteuse et musicienne. Tout en dansant, elle manie un grand tambour qui devient disque solaire, pour un cérémonial rappelant certains des rites aztèques. La chorégraphe, formée au Centre National de la Danse à Angers, a commencé son parcours avec la compagnie Oposito-Centre National d’arts de la rue. Forte de ses expériences tout terrain, elle a acquis une technique polyvalente où prédomine une signature visuelle chamarrée.

Renouant avec le théâtre de foire, elle se désigne comme sorcière, dragon, monstre et fait retentir ses incantations, au son d’instruments empruntés aux cultures populaires de tous les continents.  Ce solo fait partie d’un triptyque dont le deuxième volet Suspens-Fracas sera créé en décembre prochain. Avec ce Black Bird, les premiers pas de Mathilde Rance sont prometteurs.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 14 avril à l’Espace Cardin-Théâtre de la Ville, dans le cadre de Jeunes Créateurs-Temps fort danse, du 12 au 18 avril, 1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème) T. : 01 42 74 22 77.

Le 14 mai, Centre national de la danse de Pantin (Seine-Saint-Denis).

Et le 18 juin, dans le cadre du festival June Events, Cartoucherie de Vincennes. 17h30 au Bal

 Festival d’Avignon  : du 13 au 17 juillet • 17h •Belle Scène Saint Denis  Une programmation du Théâtre Louis Aragon
Scène conventià La Parenthèse, 18 rue des études, Avignon
 

 

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Michel Bouquet, souvenir

 

Michel Bouquet, souvenir

©x Michel Bouquet dans Roméo et Jeannette de Jean Anouilh

©x Michel Bouquet dans Roméo et Jeannette de Jean Anouilh

« La tragédie, c’est l’histoire de la mort des rois. » Celui-là est inoubliable. Michel Bouquet avait-il les yeux clairs ou sombres? On ne sait plus, tant son regard était aussi noir et concentré qu’une balle traversant un blindage.
Était-il beau ? Passé du joli garçon de sa première jeunesse à la sévérité d’une épée bien trempée. Acier, armes:  il ne s’agit pas d’un guerrier, ni d’un homme de pouvoir, mais d’un héros très pacifique et très puissant de la comédie. Michel Bouquet ou l’acteur absolu. Aigu, juste, précis économe, nous pouvons faire tomber sur lui une pluie d’adjectifs, il en ressortira toujours plus pur. Pas d’ “effets“, mais un impressionnante efficacité.

Au milieu du fatras carnavalesque du Malade imaginaire ou dans lLAvare, il était d’une consistance à part. Il ordonnait toute la mise en scène autour de lui, non comme vedette, mais comme le nerf moteur, le fil à plomb, l’armature interne et externe, le sens. De sa bouche mince, sortait une voix fine et inaltérable, capable de toutes les douceurs et de toutes les cruautés. Nous n’oublierons pas sa réplique d’un ténuité délicate dans Le Roi se meurt d’Eugène Ionesco: «Tu m’aimes?», demande la plus jeune des trois reines. « Oui, je m’aime», lui répond le roi, envahi d’une tendresse infinie, modulée uniquement par cette voix d‘un acier étiré en un fil parfait. Et de la tornade qu’il formait avec son épouse Juliette Carré dans La Danse de mort d’August Strindberg, nous n’en retenons ni le bruit ou la fureur mais la rythmique inéluctable. Et les silences écrits par Harold Pinter, qu’il savait créer avec une exactitude parfaite…

L’un de ses secrets, mais nous ne trouvons jamais le secret d’un acteur : il a travaillé sans cesse, au théâtre, au cinéma, à la télévision, où il a aiguisé sa force d’acteur: un minimum de démonstration pour parvenir au maximum d’intensité du personnage. On peut regretter que France-Télévisions ait choisi de l’accompagner avec le pesant Tartuffe mis en scène et joué par Michel Fau. Mais encore une fois, même avec une voix non pas cassée mais encombrée, il a su tirer le fil de la tendresse, de l’amour sans mélange d’Orgon pour Tartuffe, « un homme, un homme, enfin…» dans la pureté de son sentiment et toute la méchanceté d’un père aveugle et monomaniaque. Comme son Harpagon, comme son Argan.

Des nombreux films qu’il a tourné il peut nous rester des images ; et de son théâtre, reste le comédien, ce passeur nécessaire entre le texte et le spectateur. Les souvenirs qu’on garde de lui ne sont pas du côté des images, mais d’une présence juste, essentielle. Un visage, un regard, une voix qui résonnera pour longtemps.

Christine Friedel

Un hommage national lui sera rendu le 27 avril aux Invalides, «conformément au souhait de la famille». Emmanuel Macron, actuel chef de l’Etat, présidera la cérémonie, salué par lui comme un «monstre sacré» et un «maître inoubliable, irremplaçable, pour des générations d’acteurs. »

 

Not I, conception, chorégraphie et interprétation de Camille Mutel

 

Not I, conception, chorégraphie et interprétation de Camille Mutel

 

La chorégraphe convie le public, installé au plus proche d’elle, à partager un rituel précis et codifié, suivant les étapes d’une cérémonie du thé japonaise. La rencontre avec la danse butô et un séjour au pays du Soleil levant a été déterminante dans son parcours: «J’y ai croisé l’inverse de ma propre lenteur: corps sauvage convulsif, transgression, érotisme.» Ici, ni eau ni théière: une coupelle d’oignons, un étau, et un linge blanc soigneusement plié sur le plateau vide, délimité par de longues règles en bois.Très lentement, la danseuse, avec un long couteau fiché dans sa ceinture, se déplace au ras du sol. Ses gestes, mesurés, répétitifs, offrent à notre regard les plus infimes détails, soulignés par la lumière.

 Dans quel but ces précautionneux déplacements ? Coutau entre les dents, elle se saisit d’un oignon qu’elle va trancher  d’un coup,  comme le ferait un samouraï avec son sabre. Une violence surprenante dans ce corps placide. Puis elle sacrifie un poisson frais sur une planche en bois. Un verre de vin offert à un des spectateurs clôt ces préparatifs de repas. La danseuse quittera cette Cène miniature, laissant en offrande à notre regard ces plats frugaux en forme de nature morte à la Chardin.

 Effectués en silence, les gestes du quotidien décalés et décomposés obéissent à un rituel et à une chorégraphie. Ils dessinent une esthétique du banal où l’objet, les déplacements et postures prennent valeur symbolique. Le spectateur, pendant quarante-cinq minutes, est happé par ce cérémonial, en forme d’offertoire d’une messe païenne.«Je trouve, dit Camille Mutel, qu’il y a dans le rituel, une des choses les plus difficiles du vivant, refaire chaque jour les mêmes gestes, pour une traversée de vie nouvelle.» Elle nous incite à retrouver ici un sens et une valeur perdus, dans les travaux et les jours de la ménagère. »

 Camille Mutel, après avoir circulé dans les milieux alternatifs en France et en Italie, a installé sa compagnie Li(luo), près de Nancy. Premier volet de la quadrilogie La Place de l’autre, cette pièce est conçue pour être jouée aussi bien dans un théâtre, qu’en plein air.

 

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 14 avril, Espace Cardin-Théâtre de la Ville, 1 avenue Gabriel, Paris (XVlll ème). T. : 01 42 74 22 77.

 

Ovni d’Ivan Viripaev, mise en scène d’Éléonore Joncquez

Ovni d’Ivan Viripaev, traduction de Tania Moguilevskaia et Gilles Morel, mise en scène d’Éléonore Joncquez

OVNI: l’objet volant non identifié a fasciné des générations de gens qui voyaient souvent au crépuscule, des soucoupes volantes débarquées de la planète Mars, là où il y avait en fait… des ballons-sondes de la météo. Comme en 1947, le pilote américain Kenneth Arnold… Ou bien réelle entre Paris et Lille, une boule rouge qui s’avéra être… une boule à facettes pour un concert de Jean-Michel Jarre, tombée d’un camion qui l’emportait à Londres! L’auteur russe aurait, grâce à l’argent d’un oligarque, bénéficié d’un budget conséquent pour recueillir les témoignages de quatorze personnes ayant eu cette expérience de rencontre avec un ovni. La pièce avait déjà été créée par le très bon metteur en scène dijonnais Etienne Grebot… Mais cette deuxième mise en scène d’Eléonore Jonquez, après La Vie trépidante de Brigitte Tornade de Camille Kohler (2020) où elle jouait le rôle principal, (voir Le Théâtre du Blog) est d’une rare intelligence et tout à fait remarquable.

© Fabienne Rapeneau

© Fabienne Rapeneau

Comme Ivan Viripaev le dit en voix off au début du spectacle, il aurait gardé dix de ces témoignages que la metteuse en scène a confié à quatre acteurs et à elle-même. Mais à la toute fin, l’oligarque russe (Grégoire Didelot) avouera n’y être pour rien, ce dont on se doutait… Il y a là un chef d’entreprise, un livreur, une étudiante, etc. Ils ne se connaissent pas mais ont une envie évidente de se confier, après avoir subi cette expérience où ils ont eu le sentiment d’être en parfaite connexion avec l’univers et avec eux-même, même si nous pouvons vite douter de la véracité de ces récits… Mais qu’importe…

 

© Fabienne Rapeneau

© Fabienne Rapeneau

Ils se succèdent devant nous, le précédent restant là discrètement dans l’ombre de celui qui parle. En fond de scène, une belle vidéo d’un ciel étoilé. Rigueur, précision, humour et fantaisie de la mise en scène d’Eléonore Joncquez qui dirige très bien Coralie Russier, Grégoire Didelot, Patrick Pineau, Vincent Joncquez… et elle-même interprétant, remarquablement comme les autres, deux de ces curieux personnages.
Et il y a ici une belle unité de jeu chez ces acteurs tous crédibles et à l’aise dans ces doubles rôles. Mention spéciale aussi à Jean-Marc Hoolbecq pour la chorégraphie de ses intermèdes qui aèrent ce texte-pudding et à Natacha Markoff pour sa scénographie drôle et inventive. Sur de petits praticables roulants: un lit d’enfant, un fauteuil, une mini-salle de bain, une table avec billot…

Mais cette suite de monologues, même bien ficelés entre eux par Eléonore Joncquez, n’est pas toujours aussi subtile que sa mise en scène et a quelque chose d’assez répétitif et de pas toujours passionnant. La metteuse en scène n’a peut-être pas eu le choix mais était-il bien nécessaire de garder la totalité de ces dix monologues d’Yvan Viripaev sur deux heures? Dans la deuxième partie du spectacle, cette litanie commence à devenir longuette. Et il faudrait ou resserrer chacun ou, plus radicalement, en supprimer quelques-uns. Mais ce beau travail de mise en scène, avec une impeccable direction d’acteurs, vaut le détour.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 24 avril, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. Métro: Château de Vincennes+ navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36.
 
Le texte de la pièce est publié aux Solitaires intempestifs.

 

Laissez-moi danser d’Aude Roman et Delphine Lacouque, mise en scène de Tadrina Hocking

 

Laissez-moi danser d’Aude Roman et Delphine Lacouque, mise en scène de Tadrina Hocking

Cela se passe à la Nouvelle Seine, une péniche à l’entrée casse-gueule mais avec une belle salle de cent places. Alice se sépare définitivement mais avec amertume de son homme, Jeanne va se marier après un passé très libre d’attaches masculines et Dalida, une intellectuelle solide, tombe amoureuse d’un jeune homme. Ces quadragénaires ont entrepris d’aller faire un tour en camping-car. Et nous aurons droit à une heure et quelque de ce voyage, à un moment où, pour elles trois, la vie va sans doute prendre un nouveau tour.
Plus toutes jeunes mais encore assez pour avoir envie de bien vivre et de réaliser ce qu’elles n’ont sans doute pu faire jusqu’ici. Vingt ans: l’âge où elles se sont connues; quarante ans, leur âge actuel et celui des encore possibles. Mais bon, entre temps, la vie avec ses bonheurs mais aussi ses malheurs s’est invitée et elles ne sont pas encore âgées mais plus jeunes. Les faits sont têtus, disait Lénine et leur miroir leur aussi. « Jouissez chaque jour des joies que la vie vous apporte car la richesse est vaine chez les morts… » disait aussi déjà l’immense Eschyle il y a vingt-quatre siècles. Tiens, au fait, question temps, cela fait vingt ans aussi que nous connaissons Delphine Lacouque, Noémie de Lattre qui avaient autrefois créé un petit spectacle avec succès et Tadrina Hocking…

© Christine Coquilleau

© Christine Coquilleau

Les autrices de Laissez-moi danser savent bien dire -parfois crûment mais sans aucune vulgarité et avec pas mal d’humour- ce moment difficile à passer. Il leur faut admettre qu’elles sont à un tournant de leur vie. Cela n’empêche pas de parler ensemble -c’est même plutôt recommandé -et les trois complices parlent beaucoup- amour, sexe, amitié, idéal et avenir personnel et/ou professionnel qui peut se rétrécir… Le camping-car, symbolisé par une caisse-voiture un peu encombrante sur ce petit plateau, profond mais d’une ouverture limitée, est le lieu des confidences. Direction: une maison dans les Cévennes mais le portable permet bien des mensonges quand on téléphone à son partenaire sur une aire d’autoroute…

Dalida (Delphine Lacouque) s’est toujours voulu très libre mais ne sait plus très bien où elle en est après des années de vie commune mais l’amoureuse pour un de ses élèves la bouleverse: « Je suis une intellectuelle… Ma condition de femme, de mère…De citoyenne, d’être humain, d’animal, j’ai tout pensé. La seule chose à laquelle je n’ai pas pensée…C’est la sensation que pouvait procurer un autre sexe que celui de mon mari dans le mien.» Alice (Aude Roman qui est aussi la co-autrice de cette pièce) est une amoureuse déçue et Jeanne (Julie Berducq-Bousquet) rompt avec un passé agité pour se marier et donc rentrer dans le moule social, ce qui n’est pas forcément très drôle…

Durant ce voyage, ces vieilles copines n’ont pas grand chose à se cacher ont leur franc-parler mais cela va sans doute mieux en le disant. Il aura bien entre elles des amorces de conflit mais elles réussiront à rester soudées malgré la quarantaine se profilant à l’horizon. Le voyage à la fois réel, mais aussi intérieur, que ce soit à pied, à cheval ou en voiture, est, c’est bien connu, un thème souvent traité au théâtre comme au cinéma. D’abord avec les nombreuses adaptations de L’Odyssée d’Homère ou de Don Quichotte, mais aussi et très récemment Les Rois de l’aventure d’Oriza Hirata, Tu devrais venir plus souvent de Philippe Minyana, Sans carte sans boussole sans équipement, huit courtes pièces de Noëlle Renaude…. Sans parler des nombreuses pièces de théâtre pour enfants, où le voyage initiatique avec rencontres, imprévus et épreuves mènera les personnages vers une découverte intérieure, un peu comme dans ce Laissez-moi danser.

«Le camping-car, dit Tadrina Hocking, est la métaphore de cette petite boîte où nous rangeons soigneusement nos principes de vie, fantasmes, bagages et casseroles, tout en restant le véhicule de nos personnages. Comme un espace mental forcément limité, dans lequel on voudrait bien tout faire entrer et ranger, et sur les parois duquel nous nous heurtons quand il s’agit d’assumer nos désirs, de renoncer à certains idéaux et de vaincre nos peurs. »
Delphine Lacouque écrit bien et sait inventer des dialogues justes même quand ils ont parfois crus, même et surtout, quand elle effleure des zones d’ombre.  Tadrina Hocking dirige remarquablement ses actrices bien entraînées à ce jeu pas si facile sur une aussi petite scène où tout doit être millimétré et elle a placé le curseur au bon endroit, avec  quelques danses sur des tubes années quatre-vingt pour aérer ces confidences. Présence indéniable, bon rythme, diction et gestuelle parfaites, texte intelligent et sensible à la fois, tout est dans l’axe  mais bon, si la metteuse en scène pouvait demander à ses actrices de baisser parfois le ton, dans cette petite salle, cela ne serait pas un luxe. Et le public souvent jeune – une quasi-rareté dans le théâtre parisien- avec ce jour-là une bonne soixantaine de personnes- applaudit chaleureusement ce spectacle. Les co-autrices Aude Roman et  Delphine Lacouque, comme leur metteuse en scène, peuvent espérer qu’un théâtre le programme plusieurs fois par semaine…

Philippe du Vignal

Attention: uniquement le samedi à 17 h, La Nouvelle Seine, Quai de Montebello (en face Notre-Dame), Paris (Vème).

Miramar,choréraphie de Christian Rizzo

Miramar, choréraphie de Christian Rizzo

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© marc domage

  La nouvelle création de Christian Rizzo nous invite une rêverie maritime. Dans le titre  nous entendons : regarder, admirer la mer… s’y mirer, ou encore mirage et miroir…  La pièce tente d’exprimer tout cela en nous projetant dans un espace aux lumières mouvantes comme sous un ciel océanique, et bruissant comme le creux d’un coquillage, ou le mugissement des vagues.

Dans un rai de lumière qui souligne la vastitude et l’obscurité autour d’elle, Vania Vaneau prend la mesure du plateau et d’un pas lent va l’occuper, timidement d’abord, puis avec assurance, sous les flux et reflux des lumières, passant de l’obscurité à la clarté. Corps solitaire se reflétant parfois sur le gris du sol. Ce solo où, contre vents et marées, la danseuse prend possession de l’espace, souvent de dos face à l’étendue déserte, constitue une belle (mais un peu longue) entrée en matière. Elle va sortir  et laissant place à dix danseurs.

 Le groupe se déploie le plus souvent dos au public, se disperse en solos ou duos, puis s’immobilise. Des corps tombent, puis se relèvent, aiguillonnés par l’énergie collective. Les uns montent vers le fond de scène, sous le regard des autres. On assiste à quelques pas de deux ou trios que le vent va défaire… Hommes ou femmes se rapprochent avec des gestes de consolation, puis s’éloignent de nouveau en mouvements saccadés. Vitesse et lenteur alternent. Le son se fait de plus en plus violent, les basses évoquent l’assaut sourd des eaux montantes… Et l’on se perd, comme, les danseurs, dans le vide sidéral qui finira par les happer, avant qu’il ne reviennent sous forme d’une vague rouleau, arrimés les uns aux autres.

 Les lumières de Caty Olive et les sons de Gêrome Nox savamment conjugués, nous emportent dans un univers onirique que, parfois, les danseurs ont du mal à habiter. Mais le chorégraphe grâce à la cohérence formelle et esthétique de cette pièce nous maintient, malgré quelques flottements, dans un rêve éveillé. Et le mirage se concrétise par l’apparition d’un étrange personnage, tout droit sorti d’un livre d’images pour enfants.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 14 avril au Cent-Quatre, 4, rue Curial Paris (XlX ème)  Dans le cadre de Séquence Danse qui continue jusqu’au 28 avril.

 Les 24 et 25 avril Festival DDD, Porto (Portugal).

Le 3 mai Le Bateau Feu-Scène Nationale Dunkerque (Nord).

Les 9 et 10 juin L’Archipel-Scène nationale de Perpignan (Pyrénées-Orientales).

Et du 30 au 1er décembre, Théâtre Jean-Claude Carrière Montpellier (Hérault).

 

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L’Ecole des femmes de Molière, adaptation et mise en scène d’Anthony Magnier

L’Ecole des femmes de Molière, adaptation et mise en scène d’Anthony Magnier

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Rappelons le scénario, un peu compliqué mais particulièrement réussi. Arnolphe, un homme d’un certain âge a changé son nom de celui de La Souche. Comme il a peur d’être trompé, il veut se marier avec sa pupille Agnès, qu’il a fait élever dans l’ignorance. Par hasard il rencontre le jeune Horace, fils de son ami Oronte, tombé amoureux d’Agnès. Il confie en secret son amour à Arnolphe et lui dit qu’il se moque bien de ce M. de La Souche qui la retient enfermée chez lui. Arnolphe est en colère contre Alain et Georgette, ses serviteurs qui ont ouvert la porte à Horace. Grâce à eux, il a ainsi voir Agnès à qui il demande ce qui s’est passé mais elle le rassure… Mais il veut que son mariage avec Agnès ait lieu le soir-même. Horrible malentendu: elle croit que ce futur mari est Horace! Arnolphe la remet alors vite d’équerre et sur son ordre, les serviteurs refusent l’entrée à Horace.Agnès a envoyé une petite pierre… à laquelle était joint une lettre d’amour à Horace resté dans la rue. Comme il l’avoue ingénument à Arnolphe qui, très amoureux d’Agnès, est jaloux et entre dans une terrible colère.

Il exige qu’Alain et Georgette refoulent le jeune homme mais ils n’en font rien et Agnès cache son amoureux  dans une armoire. Horace dit à Arnolphe qu’il a un rendez-vous le soir même et qu’il veut aller retrouver Agnès dans sa chambre. Son ami Chrysalde essaye de calmer Arnolphe. Mais il demande à ses serviteurs de taper sur le jeune homme avec un bâton. Horace rencontre Arnolphe et lui dit être tombé dans un guet-apens tendu par Alain et avoir fait le mort pour éviter les coups quand il est tombé de l’échelle. Agnès s’enfuit avec Horace  ignorant que ce M. de la Souche est en fait… Arnolphe à qui il demande de protéger la jeune fille.
Arnolphe récupère donc Agnès qui est indifférente à son aveu d’amour. Arrive alors Oronte, le père d’Horace, qui veut marier son fils à la fille de son ami Enrique. Horace demande alors à Arnolphe d’intercéder auprès de son père mais Arnolphe dévoile alors son identité et prie le père d’Horace de refuser. Coup de théâtre: Agnès se révèle être la fille d’Enrique et solution miracle, elle pourra donc épouser Horace.  Et, avec cet Enrique, deux ex- machina, Molière sauve la situation. Mais Arnolphe, lui a tout perdu et s’en ira effondré.

Cette pièce à l’intrigue bien construite et aux multiples rebondissements, tient de la farce mais aussi d’une comédie aux sous-entendus érotiques visiblement appréciés à l’époque avec le bien connu: «Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelque autre chose. » Et elle eut un grand succès à sa création en 1662 et fera de Molière, un auteur considérable. Quatre siècles après, au temps de Mitou, on peut trouver d’indéniables côtés féministes à ce texte engagé et écrit dans une langue qui nous parle encore…
Molière y posait déjà la question de l’accès des femmes au domaine intellectuel, de leur place dans la société et, comme en filigrane, de leur vie sexuelle. Molière ne rate pas sa cible quand Arnolphe, incarnant ici la position des catholiques, fait lire à Agnès ces incroyables maximes sur les devoirs de la femme mariée, extraites du Catéchisme du Concile de Trente. Alors que son ami Chrysalde est résolument plus ouvert.

Depuis le début du XX ème siècle, la pièce a été très souvent montée et Louis Jouvet qui remit cette pièce à la mode en donnant au personnage d’Arnolphe, un côté tragique et il la joua plus de six cent fois dans la très fameuse scénographie de Christian Bérard avec ce jardin qui se referme pour laisser place à une rue.
Jean-Paul Roussillon monta la pièce à la Comédie-Française avec Isabelle Adjani puis Antoine Vitez cinq ans plus tard la mit en scène avec Le Misanthrope, Tartuffe et Dom Juan. Il avait fait jouer Arnolphe à Didier Sandre alors jeune, ce qui introduisait un décalage intéressant. Des mises en scène radicalement différentes mais d’une rare intelligence et dont nous gardons un bon souvenir. Et il y eut en 2001, la mémorable Ecole des Femmes, mise en scène par Jacques Lassalle avec Pierre Arditi et Agnès Sourdillon. Puis en 2014, celle de Christian Schiaretti avec Robin Renucci et Jeanne Cohendy. Et enfin, la réalisation -moins convaincante- de Stéphane Braunschweig avec Claude Duparfait et Suzanne Aubert.

Et ici? Anthony Magnier semble être plus à l’aise quand il monte des pièces de Georges Feydeau. (voir Le Théâtre du Blog). «Un spectacle,dit-il, résolument féministe et humain» (Cela ne mange pas de pain !). « En ces temps de questionnement sociétal, comment ne pas se saisir de cette œuvre qui a pour épicentre la notion homme-femme?» Sur le petit plateau, une baraque peinte en rouge foncé à l’intérieur, avec, dans le fond, des petites ouvertures-fenêtres, une entrée avec un rideau de perles, et côté cour, une porte. Et un fond lumineux qui change de couleur du bleu au rose, violet, rouge: Bob Wilson a encore frappé.  Cette « scénographie », non signée et sans aucun intérêt, occupe tout le plateau. Les pauvres acteurs jouent donc la plupart du temps sur le devant de la scène…
Agnès nous y offre à plusieurs reprises une petite danse vaguement contemporaine. Georgette, la servante, est jouée par la même actrice, affublée de pommettes rouges.  Alain, lui, a un groin de cochon et est  interprété par le même comédien en charge d’Horace. Avec deux distributions. L’Agnès, ce soir-là, était assez solide comme Mickael Fusulo (Arnolphe) à l’excellente diction, ce qui devient rare et appréciable dans un texte en grande partie écrit en alexandrins. Mais on se demande pourquoi Anthony Magnier le fait aussi souvent crier.
Le jeune acteur (là aussi en double distribution) qui jouait hier Horace et Alain, semblait, lui, beaucoup moins à l’aise. Anthony Magnier tire la pièce vers la farce pure et simple, et sans trop de nuances et il n’y a pas l’intégralité du texte qui a été un peu traficoté. Il faut toujours se méfier des adaptations de grandes pièces classiques et des suppressions de personnages…
Mais nous «bénéficions» de quelques petites phrases ajoutées en bonus par Anthony Magnier dont la mise en scène laisse perplexe. Bref, le compte n’y est pas et ce spectacle est très décevant, malgré une bonne scène, celle où Agnès avoue à Arnolphe son amour pour Horace. Ce qui est un peu juste. Les costumes de Mélisande de Serres, entre XIX ème et XX ème siècle, sont corrects mais pourquoi avoir habillé Agnès d’un tutu rouge et pourquoi ces masques sont-il aussi laids? Enfin, rassurez-vous, pour une fois et par les temps qui courent, il n’y a heureusement ni vidéo, ni fumigènes, ni micro H. F. Le public -quelque dix-sept personnes et un bataillon d’une vingtaine de collégiens- a applaudi mollement et on le comprend. Bref, vous aurez compris que vous pouvez vous dispenser de cette adaptation qui ressemble à une petite escroquerie artistique et qui est une ersatz de la célèbre pièce. Dommage…

Philippe du Vignal

 Jusqu’au 29 mai, Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris (VI ème). T. : 01 42 22 56 87.


 

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