Phèdre de Jean Racine, mise en scène de Robin Renucci
Phèdre de Jean Racine, mise en scène de Robin Renucci
Cela clôture tout un travail autour de l’alexandrin, entamé en 2019 avec Bérénice puis Britannicus (voir Le Théâtre du Blog). Robin Renucci, directeur des Tréteaux de France a créé cette pièce pour sept représentations exceptionnelles dans les locaux d’Aubervilliers. Racine avait beaucoup emprunté à Euripide mais aussi et surtout à Sénèque qui avait lui aussi emprunté au dramaturge grec… Chez lui, tous les personnages principaux ont été ou sont devenus amoureux. Phèdre avoue à Oenone, sa nourrice, une passion qui s’accompagne chez elle d’un sentiment de culpabilité. Elle aime Hippolyte, le fils de son mari Thésée, roi d’Athènes et d’Antiope, une amazone. Phèdre apprend la mort du Roi et va l’annoncer à Hippolyte. Elle lui avoue aussi ses sentiments: « J’ai dit ce que jamais on ne devait entendre. »
Mais Hippolyte va repousser Phèdre car il aime la jeune et belle Aricie. Et Phèdre va alors vite s’enfoncer dans la souffrance. Mais rebondissement: Thésée ne serait pas mort. Il revient en effet accompagné d’Hippolyte. Le piège s’est refermé et Phèdre n’a plus aucun espoir: Thésée ne peut plus aimer Phèdre qui n’aime plus son époux. Quant à la malheureuse Aricie qui refusait les amours faciles et qui voulait conquérir le cœur d’Hippolyte, elle aura tout perdu à ce jeu sentimental… Hippolyte voulait lui offrir le trône d’Athènes parce qu’il l’aimait. La pièce est aussi une tragédie de l’ambition et de la passion contrariée, fatale et donc mortelle. Et les Dieux vont écraser ces héros. Oenone qui a manipulé Phèdre et l’a poussé vers l’amour mais qui a aussi calomnié Hippolyte, se suicidera, Théramène annoncera la mort d’Hippolyte et Phèdre qui a appris qu’il aimait Aricie, célèbrera la pureté du jour avant de s’empoisonner, victime de l’amour. Après tout, il y a des histoires comparables dans les faits divers actuels…
Racine a su donner ici comme dans aucune de ses autres pièces, une couleur poétique fabuleuse à un monde où s’affrontent l’ombre et la lumière, les forces du Bien et du Mal. Nos profs qui nous ont vraiment initié à Phèdre trouvaient et à juste raison, l’œuvre fascinante. Mais chacun avait un regard différent: au lycée, pour le grand Paul Bénichou, auteur des Morales du grand siècle, la découverte des amours d’Hippolyte et d’Aricie libérait la haine latente de Phèdre en proie à un délire de persécution. Et plus tard en Sorbonne, Pierre Moreau insistait sur la religion de la mort dans la cité antique et Antoine Adam, grand spécialiste du XVII ème, voyait dans le célèbre et merveilleux lamento d’Arianna de Monteverdi, le meilleur commentaire de la pièce: pas mal trouvé…
Mais la pièce n’est pas des plus faciles à mettre en scène et peu de metteurs en scène s’y sont risqués. Mais récemment Patrice Chéreau, Christian Schiarretti, Christophe Rauck ou Brigitte Jaques. Pour Robin Renucci , c’est aussi un combat et il a grandement raison, quand il part en guerre contre « le jargon publicitaire, les slogans, les éléments de langage en politique, les tweets. Mon objectif est à travers ce travail sur l’œuvre de Racine est de redonner à tous la langue dans toute sa splendeur et sa complexité. »Et ce n’est pas faire preuve de passéisme que de vouloir faire sonner avec intelligence et sensibilité, toute l’incomparable musique de l’alexandrin. Et qui peut être insensible à ces vers que nous connaissons tous, plus ou moins ? «Mes crimes désormais ont comblé la mesure/Je respire à la fois l’inceste et et l’imposture. » ou « “Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur.”
Robin Renucci dans cette petite salle, a imaginé un plateau rond en bois clair avec quatre pentes pour y accéder : le théâtre en rond a ses avantages : une grande intimité avec les personnages mais aussi la difficulté pour le metteur en scène à faire en sorte que chaque groupe de spectateurs y trouve son compte. Cela suppose que les comédiens aient une maîtrise totale de l’espace mais c’est ici le cas et il y a une parfaite unité de jeu. Et aussi une excellence dans la diction du vers racinien et la gestuelle.
En costumes d’inspiration XVII ème mais pas tous vraiment réussis, Marilyne Fontaine (Phèdre) est souvent bouleversante comme Nadine Darmon, très juste dans cette Oenone dévouée mais pas très «nette »… Patrick Palmero incarne avec excellence un Théramène qui arrive à dire le fameux récit avec une grande virtuosité. Et Julien Tiphaine -il avait déjà joué le personnage dans la mise en scène de Christian Schiaretti- sanglé dans un épais et lourd grand manteau, est d’une majesté tout à fait impressionnante. Il EST vraiment Thésée. Mais nous avons été moins convaincus par Ulysse Robin qui boule souvent son texte et surjoue: Hippolyte est passionné mais ce n’est pas une raison. Et l’Aricie d’Eugénie Pouillot pourrait être plus séduisante.
A ces réserves près, c’est un remarquable travail qui peut en réconcilier plus d’un avec la Phèdre de Racine. Il suffit de bien vouloir se laisser embarquer dans cette fable intemporelle. Et ces cinq actes, juste ponctués d’un coup de gong et joués sans aucune rupture de rythme, sont d’une incomparable beauté et passent très vite. Robin Renucci, avec les Tréteaux de France-Centre Dramatique National itinérant, a tenu une fois de plus son pari : «Jouer partout, et ne jamais sous-estimer l’intelligence du public.» Une belle sortie que cette Phèdre. Robin Renucci va, après onze ans quitter la direction des Tréteaux de France, pour celle de La Criée à Marseille…
Philippe du Vignal
Spectacle vu aux Tréteaux de France-Centre Dramatique National, 2 rue de la Motte, Aubervilliers ( Seine-Saint-Denis)