Adieu Michel Vinaver

Adieu Michel Vinaver

Portrait par Antoine Vitez de son ami Michel Vinaver

Portrait par Antoine Vitez de son ami Michel Vinaver

«Cet été-là au festival d’Avignon encore sous le règne de Jean Vilar, nous dit notre amie Christine Friedel, nous le croisions dans les rues avec l’un ou l’autre de ses confrères. Il se cachait sous une perruque de cheveux longs, mise de travers sans aucun effet d’illusion mais signifiant  pour lui: perruque. Autrement dit: « Moi, ici, je vis sous une fausse identité, déguisé en artiste, laissant à la maison, celle (on peut dire antagonique) du patron de la société Gillette-France de 66 à 82. Quelques-uns avaient vu sa ou ses pièces. Et nous étions assez jeunes pour être intimidés, une timidité accrue par celle de l’auteur. Mais nous savions tous déjà que Michel Vinaver était, et serait un auteur important. »

Le père d’Anouk Grinberg avait quatre vingt-quinze ans et est mort, hier 1er mai. Un symbole pour cet auteur qui resta aussi cadre et ensuite P.D.G. de Gillette-France de 66 à 82. Il faut bien nourrir une famille… Mais il connaissait parfaitement les rouages comme les dérives du système capitaliste. Quand, il y a quelques années, il reçut le Grand prix de littérature dramatique pour Bettencourt Boulevard, nous nous souvenons qu’il avait remercié en expliquant brillamment et presque sans notes, sa passion -depuis quelque soixante ans!-  pour l’écriture théâtrale.
Vocation précoce: à huit ans, il écrit en effet sa première pièce avec pour thème, un conflit entre fruits et légumes et, à vingt-huit, il suit un stage national pour amateurs sur Ubu Roi dirigé par le metteur en scène Gabriel Monnet qui lui demande d’écrire une pièce. Ce sera Les Coréens que monteront l’année suivante, excusez du peu, Roger Planchon à Villeurbanne, puis Jean-Marie Serreau à Paris. Brillants début…, puis il écrit Les Huissiers et Iphigénie Hôtel qui furent créées, l’une …vingt-trois ans après par Gilles Chavassieux à Lyon et l’autre en 75, par Antoine Vitez à Paris

En 69, il écrit Par-dessus bord, une pièce-fleuve avec soixante personnages que Roger Planchon monte en 73 dans une version abrégée. Puis elle sera mise en scène dans son intégralité dix ans plus tard par Charles Joris, ensuite par Christian Schiaretti en 2008. Les années soixante dix à quatre vingt deux seront fécondes avec La Demande d’emploi -dont le personnage principal est un cadre au chômage-, Dissident il va sans direNina c’est autre chose. Et Les Travaux et les Jours, une pièce sur le service après-vente d’une société de moulins à café… Puis ce fut A la Renverse et L’Ordinaire le président d’une multinationale, son épouse, sa secrétaire et quatre vice-présidents survivent à un accident d’avion en Amérique du Sud. Ces  œuvres furent créées à Paris par de très bons metteurs en scène comme Jean-Pierre Dougnac, Jacques Lassalle ou  Alain Françon… En 88, on lui proposa -et il accepta- d’être professeur d’études théâtrales à l’Université Paris VIII.
Elisabeth Naud, notre amie et collaboratrice du Théâtre du Blog, se souvient avec émotion de son enseignant: » C’était quelqu’un d’une grande générosité.
Dans la transmission du savoir, il instaurait un vrai rapport d’échange, responsable et confiant, entre lui et les étudiants. Un bel engagement pour un écrivain reconnu. J’ai suivi son atelier d’écriture et son cours sur La Parole et l’action, où nous devions analyser des extraits de textes de théâtre à partir de sa méthode*. Il nous avait tous invités à la première du Temps et La Chambre, une pièce de Botho Strauss qu’il avait traduite et que Patrice Chéreau avait montée à l’Odéon. La même année, il écrit L’Émission de télévision, une pièce qui sera créée par Jacques Lassalle. Il a été jusqu’à sa mort, très à l’écoute des bruits du monde. J’ai pu encore parler récemment avec lui à la Maison de la Poésie et il était évidemment accablé par la situation en Ukraine. »

Michel Vinaver, qui avait aussi le génie des titres, signa enfin Bettencourt Boulevard ou une Histoire de France. Il en avait d’abord fait un lecture debout pendant deux heures (à quatre vingt-huit ans!) au Conservatoire National. La pièce fut ensuite montée avec succès il y a huit ans au T.N.P., à Villeurbanne, par Christian Schiaretti (voir Le Théâtre du Blog). Au menu: sombres jalousies dans cette famille qui, un temps, défraya la chronique: procès, magouilles en tout genre et corruptions variées. Avec dix-sept personnages, dont certains vivants comme un certain Nicolas Sarkozy, nerveux et bourré de tics. Ou François-Marie Bannier, photographe et écrivain, au centre d’un imbroglio juridique pas très reluisant où il aurait bénéficié de nombreux millions d’euros cadeau offert par la milliardaire Liliane Bettencourt, la fille d’Eugène Schueller… Une image parfois à la limite du théâtre de boulevard et en trente scènes de la France actuelle, avec toute ses contradictions. Mais, aussi moins récentes  comme celle où trois jeunes Français visitent l’Allemagne en 1939 juste avant la deuxième guerre mondiale: François Mitterrand, André Bettencourt et François Dalle qui fut le P. D.G. de la société L’Oréal, fondée par Eugène Schueller, le fameux inventeur en 1907 de teintures chimiques pour cheveux. Il aida financièrement un groupe d’extrême droite, la Cagoule… avant d’être blanchi, avec l’aide d’un certain François Mitterrand alors rédacteur en chef du magazine de son entreprise. Vous avez dit conflit d’intérêt? Et dans les années cinquante, l’Oréal inventa les fameux shampoings-berlingots Dop aux couleurs acidulées. Ce n’est sans doute pas la meilleure pièce de Michel Vinaver mais Bettencourt Boulevard ou une Histoire de France, en phase avec son époque, le fit connaître à un plus large public.
Un singulier parcours, que celui de ce dirigeant d’entreprise qui réussit à écrire plusieurs bonnes pièces sur la société de son temps. Avec, à la fois, une sorte de légèreté apparente, une profondeur et un savoir-faire dont les meilleurs metteurs en scène français surent tirer parti.

Christine Friedel et Philippe du Vignal

Cérémonie le vendredi 6 mai, à 11 heures, au Théâtre de la Colline, 15 rue Malte Brun, Paris (XX ème)  arrondissement.

*Écrits sur le théâtre
, Éditions de l’Aire, 1982 ; nouvelle édition : Écrits sur le théâtre I, L’Arche Éditeur, 1998. Écrits sur le théâtre II, L’Arche Éditeur, 1998.

Le Théâtre complet I et II de Michel Vinaver est publié aux éditions Actes-Sud.

 

 

 


Archive pour 2 mai, 2022

Adieu Michel Vinaver

Adieu Michel Vinaver

Portrait par Antoine Vitez de son ami Michel Vinaver

Portrait par Antoine Vitez de son ami Michel Vinaver

«Cet été-là au festival d’Avignon encore sous le règne de Jean Vilar, nous dit notre amie Christine Friedel, nous le croisions dans les rues avec l’un ou l’autre de ses confrères. Il se cachait sous une perruque de cheveux longs, mise de travers sans aucun effet d’illusion mais signifiant  pour lui: perruque. Autrement dit: « Moi, ici, je vis sous une fausse identité, déguisé en artiste, laissant à la maison, celle (on peut dire antagonique) du patron de la société Gillette-France de 66 à 82. Quelques-uns avaient vu sa ou ses pièces. Et nous étions assez jeunes pour être intimidés, une timidité accrue par celle de l’auteur. Mais nous savions tous déjà que Michel Vinaver était, et serait un auteur important. »

Le père d’Anouk Grinberg avait quatre vingt-quinze ans et est mort, hier 1er mai. Un symbole pour cet auteur qui resta aussi cadre et ensuite P.D.G. de Gillette-France de 66 à 82. Il faut bien nourrir une famille… Mais il connaissait parfaitement les rouages comme les dérives du système capitaliste. Quand, il y a quelques années, il reçut le Grand prix de littérature dramatique pour Bettencourt Boulevard, nous nous souvenons qu’il avait remercié en expliquant brillamment et presque sans notes, sa passion -depuis quelque soixante ans!-  pour l’écriture théâtrale.
Vocation précoce: à huit ans, il écrit en effet sa première pièce avec pour thème, un conflit entre fruits et légumes et, à vingt-huit, il suit un stage national pour amateurs sur Ubu Roi dirigé par le metteur en scène Gabriel Monnet qui lui demande d’écrire une pièce. Ce sera Les Coréens que monteront l’année suivante, excusez du peu, Roger Planchon à Villeurbanne, puis Jean-Marie Serreau à Paris. Brillants début…, puis il écrit Les Huissiers et Iphigénie Hôtel qui furent créées, l’une …vingt-trois ans après par Gilles Chavassieux à Lyon et l’autre en 75, par Antoine Vitez à Paris

En 69, il écrit Par-dessus bord, une pièce-fleuve avec soixante personnages que Roger Planchon monte en 73 dans une version abrégée. Puis elle sera mise en scène dans son intégralité dix ans plus tard par Charles Joris, ensuite par Christian Schiaretti en 2008. Les années soixante dix à quatre vingt deux seront fécondes avec La Demande d’emploi -dont le personnage principal est un cadre au chômage-, Dissident il va sans direNina c’est autre chose. Et Les Travaux et les Jours, une pièce sur le service après-vente d’une société de moulins à café… Puis ce fut A la Renverse et L’Ordinaire le président d’une multinationale, son épouse, sa secrétaire et quatre vice-présidents survivent à un accident d’avion en Amérique du Sud. Ces  œuvres furent créées à Paris par de très bons metteurs en scène comme Jean-Pierre Dougnac, Jacques Lassalle ou  Alain Françon… En 88, on lui proposa -et il accepta- d’être professeur d’études théâtrales à l’Université Paris VIII.
Elisabeth Naud, notre amie et collaboratrice du Théâtre du Blog, se souvient avec émotion de son enseignant: » C’était quelqu’un d’une grande générosité.
Dans la transmission du savoir, il instaurait un vrai rapport d’échange, responsable et confiant, entre lui et les étudiants. Un bel engagement pour un écrivain reconnu. J’ai suivi son atelier d’écriture et son cours sur La Parole et l’action, où nous devions analyser des extraits de textes de théâtre à partir de sa méthode*. Il nous avait tous invités à la première du Temps et La Chambre, une pièce de Botho Strauss qu’il avait traduite et que Patrice Chéreau avait montée à l’Odéon. La même année, il écrit L’Émission de télévision, une pièce qui sera créée par Jacques Lassalle. Il a été jusqu’à sa mort, très à l’écoute des bruits du monde. J’ai pu encore parler récemment avec lui à la Maison de la Poésie et il était évidemment accablé par la situation en Ukraine. »

Michel Vinaver, qui avait aussi le génie des titres, signa enfin Bettencourt Boulevard ou une Histoire de France. Il en avait d’abord fait un lecture debout pendant deux heures (à quatre vingt-huit ans!) au Conservatoire National. La pièce fut ensuite montée avec succès il y a huit ans au T.N.P., à Villeurbanne, par Christian Schiaretti (voir Le Théâtre du Blog). Au menu: sombres jalousies dans cette famille qui, un temps, défraya la chronique: procès, magouilles en tout genre et corruptions variées. Avec dix-sept personnages, dont certains vivants comme un certain Nicolas Sarkozy, nerveux et bourré de tics. Ou François-Marie Bannier, photographe et écrivain, au centre d’un imbroglio juridique pas très reluisant où il aurait bénéficié de nombreux millions d’euros cadeau offert par la milliardaire Liliane Bettencourt, la fille d’Eugène Schueller… Une image parfois à la limite du théâtre de boulevard et en trente scènes de la France actuelle, avec toute ses contradictions. Mais, aussi moins récentes  comme celle où trois jeunes Français visitent l’Allemagne en 1939 juste avant la deuxième guerre mondiale: François Mitterrand, André Bettencourt et François Dalle qui fut le P. D.G. de la société L’Oréal, fondée par Eugène Schueller, le fameux inventeur en 1907 de teintures chimiques pour cheveux. Il aida financièrement un groupe d’extrême droite, la Cagoule… avant d’être blanchi, avec l’aide d’un certain François Mitterrand alors rédacteur en chef du magazine de son entreprise. Vous avez dit conflit d’intérêt? Et dans les années cinquante, l’Oréal inventa les fameux shampoings-berlingots Dop aux couleurs acidulées. Ce n’est sans doute pas la meilleure pièce de Michel Vinaver mais Bettencourt Boulevard ou une Histoire de France, en phase avec son époque, le fit connaître à un plus large public.
Un singulier parcours, que celui de ce dirigeant d’entreprise qui réussit à écrire plusieurs bonnes pièces sur la société de son temps. Avec, à la fois, une sorte de légèreté apparente, une profondeur et un savoir-faire dont les meilleurs metteurs en scène français surent tirer parti.

Christine Friedel et Philippe du Vignal

Cérémonie le vendredi 6 mai, à 11 heures, au Théâtre de la Colline, 15 rue Malte Brun, Paris (XX ème)  arrondissement.

*Écrits sur le théâtre
, Éditions de l’Aire, 1982 ; nouvelle édition : Écrits sur le théâtre I, L’Arche Éditeur, 1998. Écrits sur le théâtre II, L’Arche Éditeur, 1998.

Le Théâtre complet I et II de Michel Vinaver est publié aux éditions Actes-Sud.

 

 

 

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