Au seuil de la vie, d’après le scénario d’Ulla Isaksson, adaptation et mise en scène d’Hélène Darche ,
Au seuil de la vie, d’après le scénario d’Ulla Isaksson, traduction de Marie Hägg Allwright et Alice Allwright, adaptation et mise en scène d’Hélène Darche
Dans la blancheur clinique d’une maternité de Stockholm, trois femmes, trois destins croisés : Cécilia a fait une fausse couche après trois mois de grossesse, Hjørdis a raté son avortement et Stina s’impatiente: son bébé tarde à venir. Pour chacune, l’heure est à la remise en question de leur vie et de celle qu’elles vont donner, ou non… Avec Nära Livet, Ulla Isaksson, pour le film éponyme d’Ingmar Bergman (1958) qu’il tourna juste après Les Fraises sauvages, brosse l’univers incandescent et tourmenté du cinéaste suédois. Ces personnages de femmes aux nerfs à fleur de peau valurent à Bibi Andersson, Ingrid Thulin et Eva Dalhbec, un prix collectif d’interprétation féminine, la même année à Un Certain regard, au festival de Cannes.
L’adaptation d‘Hélène Darche se limite à la vie des trois patientes, aux prises avec leur corps de mère, sous l’œil sévère mais compatissant de Sister Britta, l’infirmière. Dans ce gynécée, les hommes sont juste évoqués, alors que dans le film, ils étaient interprétés par Max Von Sydow et Erland Josephson. Et ce huis-clos, où en un jour et une nuit se joue la vie ou la mort d’un enfant, renforce la tension dramatique entre personnages.
Pernille Bergendorff est une Cécilia élégante, intense et névrosée ; elle comprend que sa fausse couche est le symptôme d’un mariage raté. Sofia Maria Efraimsson campe une Stina bonne vivante et boute-en-train qui remonte le moral à la jeune et fragile Hjørdis (Pénélope Driant). En rupture de banc, l’adolescente avorte pour la deuxième fois. La brune Gwladys Rabardy, en Sister Britta revêche et autoritaire mais généreuse, contraste avec la blondeur évanescente des trois autres.
Hélène Darche dirige ses actrices avec délicatesse et elles mêlent habilement quelques mots de suédois à leurs répliques, en rappel du film et de la société du pays en 1958, où les premières lois sur l’avortement datent de 1938 et où les femmes votent depuis 1921… Cette liberté à disposer de son corps, unique au monde à l’époque, s’exprime dans Au seuil de la vie, dans les propos des personnages observés au microscope, mais sans intimisme malséant.
La scénographie -trois lits à la blancheur immaculée sous la lumière créative d’Arnaud Bouvet- traduit l’atmosphère d’un hôpital. Cette blancheur spectrale évoque l’univers laiteux des films en noir et blanc mais il y a une belle explosion de couleurs avec des fleurs venues du dehors. Mention spéciale à Jason Meyer : sa musique limpide pour violon et piano apporte des respirations entre les moments de tension, et cette fluidité poétique transcende le réalisme des situations. Un spectacle d’une heure vingt, lumineux et poignant qui traite avec nuances, acuité et pudeur des questions à la fois intimes et universelles.
Mireille Davidovici
Du 1er au 25 mai, Les Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris (Ier) T. : 01 42 36 00 50.