Un Juge de Fabio Allesandrini

Un Juge de Fabio Allesandrini

 Cela commence par une attaque magistrale, et aussi glaçante qu’ironique, du fonctionnement de la justice italienne qu’il faut entièrement citer:« Comment tuer sa femme et ne pas aller en prison: tout d’abord, il faut avoir une femme. Deuxièmement, il faut la tuer. Mais pas n’importe comment. Monsieur, avant de la tuer, vous devez la ligoter et la torturer pendant plusieurs jours, en faisant preuve d’une grande perversion. Ensuite vous l’achevez au couteau, mais il faut y aller, une bonne trentaine de coups… comme Jules César, lui c’était 23, je crois, mais on s’est compris. L’important, c’est que cela soit la preuve indiscutable d’une violence inouïe. Pourquoi? Pour ne pas être soupçonné un seul instant d’avoir commis ce meurtre pour entrer en possession des biens de votre chère conjointe. A ce propos, et toujours dans ce but, avant le procès vous signerez un chèque de dédommagement moral et matériel, que vous adresserez à la famille de madame. Ne soyez pas radin, pas d’économies là-dessus. D’ailleurs, ce chèque correspond, en gros, à la totalité de la pension alimentaire, si vous aviez opté pour le divorce. Donc, votre acharnement permet d’introduire la formule de la « cruauté sur la personne », prévue par l’article 61 – 4 du code de procédure pénale, qui vous protégera de ce soupçon. « 

© Roland Baduel

© Roland Baduel

Puis ce solo très bien documenté est avant tout un témoignage encore plus sévère sur ce qui s’est passé et se passe encore en Italie avec un mélange inextricable d’influences toxiques sur la société et les magistrats par les mafieux. Et l’indifférence, voire le sabotage au quotidien de la Justice par l’Etat lui-même. Avec une réflexion des plus lucides de Fabio Alessandrini sur la responsabilité d’un juge quand il doit incarcéré un authentique criminel.. La Justice, rappelle-t-il, n’étant pas seulement un ensemble de textes de lois mais aussi leur interprétation par un fonctionnaire d’ Etat. «L’une des caractéristiques qui différencient l’être humain, du reste des autres êtres vivants, est son besoin ancestral de définir ce qui est juste et ce qui est injuste. (…) La justice est un sentiment, un désir, un horizon à atteindre et à préserver,une utopie à cultiver inlassablement. Elle est un outil pour l’évolution et l’élévation des esprits, un repère pour l’égalité et pour la protection des droits, des idées et des valeurs fondatrices de notre civilisation. »

Mais que se passe-t-il quand ceux qui, au nom de cet Etat de droit, doivent dire la justice, sont souvent menacés de mort et doivent dans certains cas, être protégés jour et nuit par des carabinieri, des militaires chargés de missions de police et maintien de l’ordre.. Que reste-t-il alors d’une vie personnelle et familiale… Et ce n’est même pas toujours suffisant face à des mafieux expérimentés qui préparent à distance des attentats très meurtriers réalisés par des hommes de main… Comme ce fut le cas pour les magistrats comme Rocco Chinnici, assassiné par par la mafia dans un attentat à la voiture piégée à Palerme ou de Giovanni Falcone et son épouse en 92, assassinés sur ordre de Toto Riina, un chef de clan qui a  tué environ quarante personnes et  soupçonné d’avoir commandité les meurtres de cent dix autres, notamment ordonne le meurtre de juges, policiers, procureurs,député et deux journalistes pour terrifier les autorités! Et le 23 décembre 1984, le train Naples-Milan est plastiqué, tuant dix sept personnes et en blessant 267. Et un autre juge, ami de Falcone, Paolo Borsellino, sera exécuté quelques mois après lui… Riina finira quand même par être condamné et détenu jusqu’à sa mort dans une prison de sécurité maximum..
Fabio Alessandrini met le doigt où cela fait mal, avec l’impuissance d’un juge nommé dans le Sud, quand la section de police scientifique la plus performante du pays se trouve à Parme ! ( …) Alors qu’ici, où chaque jour ils se tirent dessus, il n’y a rien ? » Avec à la clé, un sentiment de fatalité quand la vengeance appelle d’autres vengeances. «Le sang des assassins deviendra sang de victimes. Des familles décimées, en éternelle procession entre la morgue, l’église et le cimetière. »
Et comment alors faire avancer la justice quand selon « l’article 384, pour émettre un ordre d’arrestation, il faut qu’il y ait de graves indices de culpabilité et/ou danger de fuite imminente.Mais là nous sommes bien loin de ces conditions juridiques. » Et un sentiment de peur plane sans cesse sur un juge conscient du pouvoir extraordinaire de la mafia qui impose son pouvoir sur les trafics de drogue, la prostitution, les commandes d’immobilier et appels d’offre publics, les prêts bancaires, etc. à coups de menaces et racketts permanents.
«Je ne suis pas assez dangereux pour eux? Qu’est-ce que je suis, dit il ? J’ai mené deux pauvres enquêtes, je n’ai encore dérangé personne et j’ai déjà peur qu’on me descende? La mafia n’est pas pressée. Ce qui doit t’arriver, arrivera. Demain, dans deux ans, dans dix ans. T’es assis à une belle terrasse de café, à l’autre bout du monde, sous les palmiers, et c’est là que ça se passe. Tu as juste le temps de voir ton exécuteur. » Muté au tribunal de Palerme avec chaque année trente mille procès pour trente six juges. Soit sept mille traités seulement par manque de temps. Et dans des conditions techniques de travail inimaginables où un avocat se dévoue pour réparer des connexions électriques pour des micros…
Tout cela sur fond de corruption généralisée et de menaces, avec entre autres, des balles régulièrement placées dans les voitures à titre d’avertissement… Jusqu’à un frère tué, ce qui entraînera la « promotion » du juge à Bogota pour diriger un groupe international de magistrats expérimentés dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Et ce pauvre juge se dit, et ce sera le mot de la fin: « Je dois avoir un grand courage, parce que je suis mort de trouille. De toute ma génération, je suis le seul survivant. C’est peut-être ça la justice, une obsession, une maladie. Si c’est le cas, je crains que je ne me soignerai pas. »

Un texte aussi solide que glaçant, et magnifiquement interprété en une heure quinze par son auteur. Malheureusement, la mise en scène (aucun nom  n’est mentionné) est aux abonnés absents.. Il y a bien, est-il écrit, le «regard extérieur» de Karelle Prugnaud… Mais alors, pourquoi ces déambulations permanentes de l’acteur, pourquoi ces vidéos parasites de lignes sur ces châssis en arrière-plan, pourquoi cette médiocre musique électronique de basses pour souligner certains passages? Pourquoi ces éclairages maladroits de leds qui éblouissent le public? Cela fait quand même beaucoup trop d’erreurs… Vous l’aurez compris ce texte, son auteur- interprète méritent vraiment de bénéficier d’une véritable mise en scène. A suivre…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 31 avril, au Théâtre de la Reine Blanche, passage Ruelle, Paris (XVIII ème).

 

 

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