Nouveau Sang: mises en scènes de pièces de jeunes dramaturges grecs Labor d’Anthi Tsirouki, mise en scène d’Emilie Louizou

Nouveau Sang: mises en scènes de pièces de jeunes dramaturges grecs

Labor d’Anthi Tsirouki, mise en scène d’Emilie Louizou 

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Dans cette pièce de la  jeune dramaturge, un couple de médecins en chirurgie esthétique, isolé et stérile, «adopte» un jeune amnésique auquel il a tendu un piège quand, après un accident, il avait sonné à leur porte. Le couple fera renaître ce jeune homme selon ses conditions et il deviendra leur fils… 

Ici, la metteuse en scène a renforcé l’atmosphère de thriller dystopique et de suspense, avec toute la terreur et le macabre nécessaires. Le maquillage accentue le résultat de leur obsession à intervenir sur le corps humain et à le transformer pour vaincre le temps qui passe. Grâce au décor et aux éclairages, Emilie Louizou réussit à créer un univers aseptisé et à susciter l’émotion.

Stelios Mainas et Ioanna Pappa forment un couple exceptionnel à l’esprit malsain et le jeune comédien Orestis Chalkias est cette victime d’amnésie  à la candeur sensuelle. La pièce a été sélectionnée avec d’autres,  au séminaire d’écriture théâtrale qui a été donné au  Poreia, dirigé par ces dramaturges reconnus que sont Vaggelis Hatzigiannidis et Thanassis Triaridis. A ne pas manquer !

 Nektarios-Georgios Konstantinidis 

 Théâtre Poreia, 3-5 rue Trikorfwn, Athènes, T. : 0030 2108210991  https://www.youtube.com/watch?v=kwJBr6Voftg&t=12s


Archive pour 17 mai, 2022

Mrs Dalloway de Virginia Woolf, performance de Ginger Creepers Theater Band

Mrs Dalloway d’après le roman de Virginia Woolf, performance du Ginger Creepers Theater Band 

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Dans ce roman célèbre publié en 1925, l’écrivaine britannique décrit une journée de Clarissa Dalloway, une femme de la haute société dans l’Angleterre, après la première Guerre Mondiale. Avec, comme thème principal: l’altérité, qu’il s’agisse de soi face aux autres ou d’un face-à-face entre soi et soi-même. Mrs Dalloway apparaît comme une personnage mondain, puisqu’elle prépare au cours de la journée une réception qui aura lieu à la fin du roman. Elle est alors en représentation et joue son rôle d’hôtesse de maison comme un chef d’orchestre.

Bien qu’il s’agisse de la même personne, il y a une distinction entre la Clarissa représentée dans son intériorité et comme une personne qui pense et qui sent. Et cette Mrs Dalloway qui est le moi public du personnage, avec une situation civile et sociale.  Cette crise existentielle au cœur du roman, laisse des zones d’interrogation, notamment quant aux raisons ayant poussé Clarissa à quitter l’homme qu’elle aimait, pour se marier avec un inconnu qui, lui, « présente bien ».

Grigoris Hatzakis a crée ce spectacle où la musique joue un rôle primordial, sur la scène de Parenthèse, une nouvelle salle d’art. Metteur en scène toujours inventif, il a mis la scission du personnage au centre de cette adaptation et il nous surprend avec des trouvailles comme des descriptions au micro. Au fond du plateau, un projecteur et, au centre, un synthé, un rétro-projecteur avec écran, des plantes vertes, un aquarium et des oranges en vrac.  Dora Pardali et Hélène Sidirokastriti incarnent, avec un jeu plein d’énergie et de fantaisie, cette héroïne aux deux facettes et elles se complètent bien. A la fin, nous avons envie de danser et sortons réjouis  par ce happening… proche de l’esprit moderniste de Virginia Woolf ! 

 Nektarios-Georgios Konstantinidis 

 Salle d’art Parenthèse, 3 rue Dionissiou Efessou, Athènes, T. : 00306943648438

La Périchole, mise en scène de Valérie Lesort, direction musicale de Julien Leroy

La Périchole, opéra-bouffe en trois actes de Jacques Offenbach, livret de Ludovic Halévy et Henri Meilhac, mise en scène de Valérie Lesort, direction musicale de Julien Leroy

 

© S. Brion

© S. Brion


Un pari gagné: à la sortie de l’Opéra-Comique, nous chantonnons intérieurement le fameux air :«Il grandira, il grandira car il est espagnol!» Le compositeur avait choisi le scénario d’une pièce de Mérimée qui, lui-même, s’était inspiré d’un fait divers: dans les années 1770, la Périchole était la prima donna du théâtre de Lima, capitale du Pérou espagnol.
La  Périchole a été créée un siècle plus tard en 1874 au Théâtre des Variétés mais eut alors peu de succès.  Mais ce classique a fini par défier le temps et dans 
Le Petit Journal de l’époque, un article sous la plume acerbe de Timothée Trimm: «Voici le Tout-Paris futile en liesse, Jacques Offenbach vient de donner au théâtre des Variétés sa grande pièce d’hiver. Allons, chroniqueur, écoute et rend compte, car la muse d’Offenbach est une puissance devant laquelle il faut se prosterner. L’endroit où se passe l’action inventée par MM. Meilhac et Ludovic Halévy, c’est Lima, la ville de l’or et du quinquina. Ce nom de Périchole sous-entend: enchanteresse, femme dangereuse par la suavité de sa voix et les grâces de sa personne… La musique de La Périchole est charmante. L’hiver 1869 a trouvé son refrain avec la complainte du premier acte : Car il est espagnol ! On a bissé la ronde Les femmes il n’y a qu’ça. Citons encore les couplets de: Ah ! Que les hommes sont bêtes!»

Malgré ses réticences, ce critique avait souligné la force de ces airs légers passés depuis à la postérité. Ici Valérie Lesort et Julien Leroy nous transportent dans une autre époque, quand un auteur pouvait glorifier avec joie l’ivresse collective et la vénalité de cette Périchole, une chanteuse de rue, amoureuse de Piquillo mais qui se laisse séduire par le Vice-Roi.  La metteuse en scène, elle, voit plus de subtilité dans ce personnage: «C’est l’histoire d’une femme déchirée entre deux amours: pour l’art et son homme Piquillo… Mais aussi pour les réalités de la vie! Dans cette société, les femmes sont faibles, ce dont elle est consciente. Elle connait ses travers mais lutte pour son indépendance. »

 Un voyage dans le temps réussi grâce également  à l’Orchestre de chambre de Paris et aux performances vocales du chœur. Les rôles principaux sont tenus avec talent par Stéphanie d’Oustrac (La Périchole), Philippe Talbot (Piquillo) et Tassis Christoyannis (Don Andrès de Ribeira). Et il faut souligner l’exceptionnelle qualité du travail de Vanessa Sannino : «Les costumes péruviens ont été ma source d’inspiration, dit cette fidèle collaboratrice de Valérie Lesort. Pour notre spectacle, l’idée était d’en inventer caractérisant les personnages et offrant aussi aux interprètes des possibilités de jeu.» Comme chez Christian Lacroix, les couleurs chatoyantes et l’exubérance des formes nous emportent dans une fête éternelle. Cette  Périchole témoigne encore une fois de la maîtrise de Valérie Lesort.             

Jean Couturier

Jusqu’au 25 mai, spectacle vu à l’Opéra-Comique,  1 place Boieldieu, Paris (II ème).T. : 01 70 23 01 31.

Festival Propagations à Marseille:Le Cri d’Antigone, texte et composition musicale de Loïc Guénin, peinture de Maya Le Meur, mise en scène d’Anne Monfort

Festival Propagations à Marseille:

Un événement annuel conçu par le Centre National  de Création Musicale de Marseille, labellisé en 1997. Depuis 1972 à Marseille, ce collectif de compositeurs a des missions définies par le ministère de la Culture et dirigé depuis 2011 par Christian Sebille, il accompagne de nombreuses actions pédagogiques et de formation, produit des concerts et spectacles de création musicale  mais aussi des installations, rencontres, sorties de résidence des équipes artistiques.  Avec des musiques mixtes, électro-acoustiques, électroniques, instrumentales et vocales, qu’elles soient écrites ou improvisées, mais aussi des projets liés aux arts numériques, plastiques et visuels, à la danse, au théâtre… En 2017, le C.N.C.M. s’est installé à la Friche de la Belle de Mai.
Il soutient l’écriture d’œuvres nouvelles et accompagne leur réalisation. Une cellule de production évalue les besoins techniques et administratifs de chaque production et les perspectives de diffusion. Ce Festival programme chaque année au printemps depuis 1987, des créations musicales dans une dizaine de lieux à Marseille et une vingtaine d’évènements: concerts, installations, projections, rencontres, récitals…

Le Cri d’Antigone, texte et composition musicale de Loïc Guénin, peinture de Maya Le Meur, mise en scène d’Anne Monfort

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©Vincent Beaume

Sur le thème de l’histoire d’Antigone de Sophocle, reprise par de nombreux écrivains et compositeurs, entre autres: Friedrich Hölderlin, Jean Cocteau pour un livret d’opéra d’Arthur Honegger, Jean Anouilh, Bertolt Brecht, Henry Bauchau et…Virginia Woolf, avec déjà une orientation féministe dans Trois Guinées (1938). Antigone est  sans doute le personnage mythique féminin le plus connu du théâtre grec antique après Hélène. Mais avant Iphigénie et Phèdre chez Euripide mais avant Electre et Médée chez Sophocle, Cassandre et Clytemnestre chez Eschyle (encore inconnu de Racine et Corneille), Lysistrata chez Aristophane… Des scénarios fabuleux, mais tous écrits par des hommes…
Personnage emblématique de la révolte et de l’insoumission, Antigone refuse d’obéir au Roi tout puissant qui est aussi son oncle. Chez Sophocle et Eschyle, cette
fille d’Œdipe, roi de Thèbes et de la reine Jocaste, a pour frères Étéocle et Polynice, et une sœur, Ismène. Leur oncle Créon, frère de Jocaste et père d’Hémon le beau cousin et fiancé d’Antigone, avait interdit d’enterrer Polynice, le frère d’Etéocle qui l’avait tué. Dans une autre pièce de Sophocle, Œdipe à Colone
, Antigone guide son père aveugle et exilé.

Cette héroïne antique, féministe avant la lettre, a précédé vingt-cinq siècles auparavant des femmes qui ont osé dire non au machisme et au patricarcat. Comme chez nous, Olympe de Gouges, Louise Michel, Hubertine Auclert, Gisèle Halimi. Mais aussi Claudette Colvin et Rosa Parks aux Etats-Unis et en Espagne, Clara Campoamor…
Il s’agit ici d’une forme hybride et en cela d’autant plus intéressante, qui se passe dans une salle de la Belle de mai. Avec, de Loïc Guéninà la fois du texte dit et chanté par Élise Chauvin, de la musique instrumentale composée par Loïc Guénin, Vincent Lhermet à l’accordéon, Fabrice Favriou à la guitare électrique et pédales d’effets Et Alice Piérot, grande violoniste entre autres  chez Hervé Niquet, et Éric Brochard (contrebasse, patch et informatique musicale).

©x Une œuvre de Maya Le Meur mais en noir sur blanc

©x Une œuvre de Maya Le Meur mais en noir sur blanc

Derrière eux, presque invisible, Maya Le Meur va, avec un gros pinceau plat, dessiner/peindre à l’acrylique blanche sur un mur de planches tapissé de papier noir, de très belles arabesques non figuratives dans une succession d’entrelacements.  Proche , proche de la calligraphie chinoise et du mouvement de l’abstraction lyrique né dans les années cinquante avec entre autres, Pierre Tal Coat, Georges Matthieu (l’auteur du logo d’Antenne 2 en 1975!). Et, comme en écho aux performances picturales de cet artiste virtuose du geste et minutées devant un public de théâtre, voire dans la rue, ici Maya Le Meur progresse de cour à jardin, pour des raisons évidentes de manipulation quand on est droitier (mais de nombreux élèves des Beaux-Arts sont gauchers !). Elle donnera l’ultime coup de pinceau côté jardin sur la dernière note de musique. Chapeau!

Et si on a bien compris les intentions de la metteuse en scène, la passerelle horizontale représentant l’espace et l’artiste debout et verticale, l’instrument du Temps.  C’est le seul élément scénographique, mis à part un rectangle de feuilles mortes qu’Antigone viendra gratter… 

Dans une belle course poursuite espace-temps, comme Héraclite le philosophe grec l’avait déjà pressenti peu avant Sophocle, le temps étant pour un personnage ou n’importe quel événement naturel, le moteur universel, sans lequel la vie ne pourrait exister. Mais la notion de temps a évolué chez les trois grands tragiques grecs et déjà au V et IV èmes siècles avant J.C. , disait la grande Jacqueline de Romilly: « En partie sous l’influence de l’expérience politique qu’ils vivent. Ce qui était pensée théologique chez Eschyle, devient chez Sophocle, méditation sur les grandes alternances du devenir et aboutit, chez Euripide, à l’étude psychologique des émotions qui le scandent. »

Ici, la tragédie d’Antigone chez Sophocle, devient surtout un cri et un chant, accompagnés de musique et  traduisant une lutte impossible contre le Temps mais aussi l’Espace dont elle n’a pas la maîtrise que possède justement Créon. Le Temps passe donc, irréversible, comme le suggère ici cette magnifique série de balafres blanches sur le noir, pour finir sur la mort de l’insoumise Antigone criant sa rage. Elle semble avoir bien conscience que ce temps est donc plus fort que l’espace où elle se trouve. Reste à crier sa rage et son désespoir;  et belle idée de mise en scène, lui répond un chœur de neuf amateurs placés dans le public représentant le peuple de Thèbes. «Dans ce spectacle musical, dit Loïc Guénin, Antigone est aussi Élise Chauvin. Toutes les deux au plateau se posent ensemble, dans un même corps, la question de leur place, de leurs désirs, de la relation entre les êtres, à réinventer, dans un monde où le patriarcat domine toujours.
 Avec cette création musicale, il s’agit d’un procès que fait Antigone à ses créateurs, au monde, à la suprématie masculine, à une certaine forme de féminisme aussi, à tout ce qui a fait d’elle, ce qu’elle est à nos yeux de contemporains, sans jamais ni le vouloir ni le chercher. Ou alors plus simplement d’une question… C’est quelque chose qui s’ouvre, qui porte à réfléchir collectivement. Un débat lancé et mis sur la place publique. Avec ses rebonds, ses dérapages, ses éclairages aussi… C’est un opéra de route, une fable intemporelle posée là pour un instant. »

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©Vincent Beaume

La mise en scène d’Anne Monfort est d’une rigueur absolue, comme celle récente de Nostalgie 2175 (voir Le Théâtre du Blog) et c’est une autre belle idée d’avoir pensé à entrelacer dans cette courte performance (une heure) mais de haut niveau, à la fois le texte de Sophocle ou du moins une adaptation de quelques dizaines de vers, une création musicale pour instruments et partition électronique mais aussi une œuvre picturale créée devant nous et à chaque fois différente… Et dans ce rôle d’Antigone, Elise Chauvin a une forte présence. Au chapitre des bémols, la focalisation dans le texte (un peu mince) sur le seul personnage d’Antigone… Du coup, la toute puissance de Créon avec sa raison d’Etat est moins mise en valeur. Et il y a une certaine concurrence entre la musique très amplifiée de l’orchestre et la voix elle aussi très amplifiée, d’Antigone (cette balance approximative devrait pouvoir être vite corrigée).
Malgré ces petites réserves, cette recherche personnelle sur le son, l’écriture musicale contemporaine à partir de ce mythe célèbre de l’insoumission à l’ordre établi, ne peut laisser indifférent, surtout en ces temps bouleversés…

Philippe du Vignal

Spectacle du ZEF-Scène Nationale de Marseille, vu le 13 mai à La Friche de la Belle de mai, 41 Rue Jobin, Marseille (III ème), (Bouches-du-Rhône). T. : 04 95 04 05 95

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