Comme il vous plaira de William Skakespeare, adaptation de Pierre-Alain Leleu, mise en scène de Léna Bréban
Un jeune duc, après avoir banni son grand frère, le vieux Duc, décide aussi de bannir sa nièce Rosalinde, la fille de ce dernier. Mais Célia, la fille du jeune Duc, comme la sœur de Rosalinde s’enfuie avec elle dans la forêt d’Arden à la recherche du vieux Duc. Poursuivie par le jeune Duc, Rosalinde, se déguise en homme et Célia, en bergère… Soit une feuilleton compliqué avec amours et aventures dans une forêt…
Avec, à l’acte II, le fameux monologue-culte où le grand Will compare la vie à un jeu théâtral et répertorie les sept étapes de la vie. Dit par Jacques à l’acte III. «Le monde entier est un théâtre, Et tous les hommes et les femmes ne sont que des comédiens. /Ils ont leurs répliques pour entrer et sortir de scène,/Et un seul homme en son temps y joue bien des rôles,/Ses actes décrivant sept âges. D’abord le bébé/Piaillant et vomissant dans les bras de sa nourrice. Ensuite, l’écolier pleurnichard avec son cartable
Et sa face luisante du matin, se traînant tel un escargot/À l’école, et à contrecœur.(…) Scène finale, Qui conclut cette étrange suite d’épisodes, Un second infantilisme menant à l’oubli pur et simple/ Sans dents, sans yeux, sans goût, sans plus rien.»
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Cette longue pièce baroque, quatre siècles ou presque après sa création, a souvent fait l’objet d’adaptations au cinéma donc celle de Kenneth Branagh (2006) et de comédies musicales, avec de belles scènes notamment entre le bel Orlando et Rosalinde, ou avec elle et Touschstone. Et on reconnait vite la parenté entre les thèmes de l’œuvre et ceux de Peines d’amour perdues.l On y parle souvent de folie, amours et serments d’amour. Mais aussi du sens de la vie, avec humour et parfois même un certain cynisme et des mots qui renvoient aux célèbres vers de La Tempête. «Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est enveloppée dans un sommeil.» Les serments les plus solides. Ne sont que paille sur feu du sang. »
Ici c’est du genre :« J’aimerais mieux une folie qui me rendrait gai, qu’une expérience qui me rendrait triste. Ou le célèbre : « Les hommes sont en avril quand ils sont amoureux, et en décembre, quand ils sont mariés. » » La beauté provoque les voleurs même plus que l’or. Mais de même que tout est mortel dans la Nature, de même toute nature atteinte par l’amour est mortellement atteinte de folie. » Et encore: « Le temps n’a pas la même allure pour tout le monde. » ou « L’âme de mon père grandit en moi.»
Bref, il y a de belles pépites dans ce Comme il vous plaira et l’immense dramaturge fait la part belle à la folie des amoureux tels ceux du Songe d’une nuit d’été à «la cervelle si effervescente, la fantaisie si inventive qu’ils conçoivent beaucoup plus de choses que la froide raison n’en peut comprendre. » La patte du grand Will quatre siècles après, reste inimitable et un texte comme celui-ci a de quoi séduire une jeune mais déjà avertie metteuse en scène comme Léna Bréban Reste à savoir ce qu’on peut faire de cette comédie sans doute trop longue. Pierre-Alain Leleu en a fait une adaptation- donc forcément un peu réductrice- mais comment faire autrement? Et même si le public s’y perd de temps à autre, pas grave, cela fait aussi partie du jeu…
La mise en scène est brillante et efficace, avec des côtés déjantés et souvent pas loin des spectacles des Monthy Python des années soixante-dix à Londres. Ici éléments de décor et surtout accessoires sont volontairement approximatifs comme guitare ridicule, pour un feu de camp avec trois petites bûches dans une vieille bassine à friture, etc. Et des costumes genre: décrochez-moi ça, genre kilt voyant, pelisses en fourrure polyester, etc. Là aussi drôle et bien vu… Bref, il y a un côté second degré déglingué très réussi dans cette mise en scène menée à un excellent rythme et les acteurs sont superbement dirigés par Léna Bréban comme dans le récent Sans Famille qu’elle avait créé à la Comédie-Française cette saison (voir Le Théâtre du Blog). (Elle a reçu le Molière du metteur en scène dans un spectacle du théâtre privé)
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Le spectacle doit aussi beaucoup aux actrices confirmées que Léna Bréban a choisi pour jouer les jeunes filles (cela peut surprendre mais c’est là aussi, bien vu): Ariane Mourier (qui a reçu le Molière de la comédienne dans un second rôle) et Barbara Schultz, elle, Molière de la comédienne dans un spectacle privé.
Nous l’avions découverte dans son premier grand rôle: elle avait vingt-cinq ans dans Dommage qu’elle soit une putain de John Ford qu’avait mise en scène le grand Jérôme Savary à Chaillot. Vingt-cinq ans plus tard, elle est toujours aussi exceptionnelle: espiègle et drôle, avec une formidable gestuelle et une impeccable diction. Et Léna Bréban a dû sentir comme nous, de la graine de grande actrice chez la très jeune Léa Lopez (merci papa, maître en impros et merci maman, elle aussi actrice). Elle apporte beaucoup au spectacle et possède déjà les même qualités exceptionnelles que son aînée.
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Leur jeu, absolument virtuose, écrase un peu celui leurs camarades: Adrien Dewitte,Pierre-Alain Leleu, Lionel Erdogan, Jean-Paul Bordes, Eric Bougnon et Adrien Urso, avec des rôles multiples mais moins hauts en couleur. Mais ils font aussi le boulot et bien.
Des réserves, du Vignal? Quelques petites longueurs vers la fin et Léna Bréban aurait pu nous épargner ces fumigènes que l’on voit partout et qui ne servent strictement à rien. Et ces allers et retours permanents entre scène et salle par l’escalier étroit reliant les deux: un procédé plus qu’usé. Ce travail intelligent, sensible et très soigné ne mérite pas ce défaut mais peut être facilement corrigé. Nous avons vu toutes les mises en scène de Léna Bréban qui a bénéficié d’une très bonne formation (Chaillot puis Conservatoire National). Elle a beaucoup progressé et est maintenant entrée dans la cour des grands.
Philippe du Vignal
Théâtre de la Pépinière, rue Louis-le-Grand, Paris ( I er). T. : 01 42 61 44 16.