Il Tartufo, de Molière, traduction en italien de Carlo Repetti, mise en scène de Jean Bellorini (en italien, sous titrage en français)
Il Tartufo (Le Tartuffe) de Molière, traduction en italien de Carlo Repetti, mise en scène de Jean Bellorini (en italien, sur-titrage en français)
Une pièce éternelle? Durable en tout cas, tant qu’il y aura des familles, belles-mères autoritaires, amoureux maladroits, parasites et angoissés ayant besoin de gourous, et des désirs pas clairs. Tartuffe est l’histoire d’un hypocrite, d’un escroc dévoilé in fine par la supposée clairvoyance du Roi mais le texte est aussi assez riche pour s’exposer à des lectures opposées, ou au moins contradictoires.
Pour l’anniversaire de Molière, Tartuffe prend un coup de décapage. D’abord, radical quand il est opéré par Ivo van Hove à la Comédie-Française. Il a choisi de monter la première version en trois actes (celle des Plaisirs de l’Île enchantée, une fête donnée pour Louis XIV et sa cour en mai 1664). Une version «à l’os», sans querelles d’amoureux ni intervention-miracle pour sauver une famille. Mais avec toute la passion d’un père qui voit en Tartuffe, l’instrument de son salut : « Un homme, un homme… un homme enfin !). Et il y a toute la jouissance de ce dernier à faire craquer sa victime sous la dent, en dévorant ses biens comme le rat dans le fromage et en jouissant au passage de sa femme, pour gagner, à la fin.
Le décapage de Jean Bellorini passe par d’autres chemins et le metteur en scène n’oublie pas de nous faire rire. Même noire, la pièce reste une comédie. Retour à la famille qui s’épanouit dans la chaleur d’une vaste cuisine. Ici, on vient se refaire, manger, bousculer, désirer, s’expliquer, quitte à avancer deux chaises vers les spectateurs pour nous inclure dans le jeu. Y loge l’indispensable servante Dorine et un étrange commentateur: Cléante, le fils raisonneur d’Orgon, ici présentateur de music-hall à la retraite. Tout le monde passe par cette fameuse salle basse des comédies de Molière qui a l’avantage de comporter au moins deux portes : l’une sur la rue, le dehors, le monde, et l’autre sur les appartements intimes et leurs tourments.
Pourquoi Orgon, ce respectable bourgeois moderne, est-il si fortement attiré par Tartuffe, ce faux curé enjuponné de noir ? Nous ne saurons rien de plus que ce qu’en dit le texte. Pas d’explication, ni psychologie, c’est comme ça. À chaque interprète de mener son personnage dans l’action et à lui sauver la peau. La pièce, ici jouée au premier degré mais nettoyée des commentaires et hypothèses. Et fondée sur la mémoire du cinéma italien que nous avons tous «tant aimé»: Ettore Scola, Dino Risi, ou, plus près de Paolo Sorrentino, avec même un accent grave à la Pier Paolo Pasolini.
Nous sommes dans une Italie d’aujourd’hui, ou d’avant-hier, proche en tout cas. Ce Tartufo est un plaisir d’acteurs, allégée des traditions mais d’une dramaturgie pointilleuse : les amoureux sont bouffons et touchants comme tels. Madame Pernelle dépasse la fonction de rouspéteuse, traversée par la tragédie, aussi élégante et aussi folle que celle de Claude Mathieu à la Comédie-Française. Dans l’unité d’ensemble, chacun est libre de pousser son jeu, à la fois celui de l’interprète et celui du «caractère ».
Et puis, la langue italienne avec ses accents toniques -et le souci du traducteur de trouver des rimes- balance bien l’alexandrin. Et pour ceux à qui la musique de cette langue ne suffiraient pas, d’excellents sous-titres (de Molière lui-même !) sont projetés en fond de scène. En italien, notre auteur ici rentre en quelque sorte à la maison et peut-être à ses premières impressions de théâtre. Quand il revêt son personnage de Sganarelle, il sait qu’il n’est pas loin des Sganapino, Leporello et autre Brighella. Tartuffe, comme les grandes pièces de Molière, naît dans son milieu bourgeois mais a ici des ancêtres italiens.
En passant donc par la plus belle période de l’histoire du cinéma italien, ce Il Tartufo retourne aux sources et Jean Bellorini nous propose une musique différente de celle à laquelle nous sommes habitués. Il dit son plaisir de travailler avec des acteurs d’une autre langue -celle de son nom- et avec d’autres voix, d’autres écoles de jeu. Plaisir partagé, dans toute sa richesse…
Christine Friedel
Jusqu’au 27 mai, Théâtre des Amandiers, avenue Pablo Picasso, Nanterre (Hauts-de-Seine). T. : 01 46 14 70 00.