Ilots, texte et mise en scène de Sonia Chiambretto et Yoann Thommerel, à partir du Questionnaire élémentaire
Ilots, texte et mise en scène de Sonia Chiambretto et Yoann Thommerel, à partir du Questionnaire élémentaire
Nous aurions dû vous rendre compte de ce spectacle à sa création en décembre dernier quand nous étions allés le voir à Caen. Mais la S.N.C.F. a annulé au dernier moment, sans aucun scrupule et sans la moindre excuse le train prévu ( le conducteur n’était pas arrivé et selon des passagers de la ligne, cet incident assez fréquent est en fait une grève dite «perlée »). Puis on a ordonné aux nombreux voyageurs de prendre illico le suivant. Lequel train est parti avec du retard, puis a accumulé d’autres retards dont l’un à cause de sangliers ayant percuté le convoi précédent… Bravo! « Nous vivons une époque moderne », disait Philippe Meyer. Si bien que nous n’avions pu voir que les quinze dernières minutes du spectacle et impossible d’en rendre compte correctement. Donc séance de rattrapage à Ivry-sur-Seine et cette fois par le métro…
Ilots a été créé en lien avec le Groupe d’information sur les ghettos (G.I.G). « La recherche esthétique que nous menons en lien avec ce groupe, disent ses auteurs et metteurs en scène, se veut avant tout une traversée collective dans l’histoire de cette dérive terminologique, une plongée dans ce qui est devenu une béance de la langue. Nous avons fondé en 2015, dans le cadre d’une résidence aux Laboratoires d’Aubervilliers ce G.I.G. qui agit comme un moteur fictionnel pour interroger le réel, pour remettre le sens des mots et leur résonance poétique au cœur d’une introspection politique et sociale. (sic) Rassemblant habitants, artistes et chercheurs, ce groupe a activé des protocoles d’enquête : écriture de questions, diffusion, récolte de données, traitement, pendant trois ans à Aubervilliers. »
Et cela a donné lieu à la publication d’un Questionnaire élémentaire « poétique et frontalement politique » qui permet de constituer un fonds documentaire pour alimenter une réflexion collective sur les mécanismes d’exclusion. Laquelle se poursuit aujourd’hui partout où Sonia Chiambrietto et Yoann Thommerel travaillent, entre autres à Aubervilliers, Saint-Ouen, Carentan, Caen, etc.
Sur le plateau, une bande de vrai gazon en U, en fond de scène, deux châssis en toile métallisée et côté cour, quelques chaises. Si nous avons bien compris, trois personnages nommés comme chez les Deschiens du prénom des acteurs Séphora Pondi, Jean-François Périer et Julien Masson, doivent arriver à impliquer directement le public en une heure et quelque, à partir d’une série de questions que chacun proclame à tour de rôle et en rapport avec tout ce qui entraîne l’exclusion : « Combien avez-vous d’amis? Aimez-vous quelqu’un? Combien êtes-vous chez vous? Entendez-vous vos voisins à travers les murs? Avez-vous choisi l’endroit où vous vivez actuellement? Parmi vos dernières dépenses, laquelle regrettez-vous le plus? Vous êtes-vous déjà senti valorisé grâce à l’adresse postale inscrite sur vos documents administratifs? Avez-vous voyagé hors de France ces six derniers mois? Cette litanie, même entrecoupée de courtes vidéos avec témoignages et récits d’hommes et femmes anonymes, devient assez vite fastidieuse.
Reste à donner en effet toute sa résonance aux questions que posent les acteurs face public. Pour les metteurs en scène, le spectacle doit fonctionner en «rejetant la linéarité d’une démonstration; ce récit révèle de façon saisissante par le simple jeu de rapprochements d’éléments initialement étrangers, toute l’ambiguïté de notre rapport à l’Autre, au territoire, au monde et à ses réseaux d’informations.» (sic) Ces bons acteurs, d’âge, de taille et d’origine différents, ont une impeccable diction et essayent de donner corps à cette série de questions dites à un rythme soutenu. Mais il y a quand même quelque chose d’assez prétentieux à déclarer aussi « qu’en réalité, aucune réponse n’est jamais donnée aux questions posées : ce sont ces dernières qui prennent la parole, et la parole n’arrête pas d’élargir les questions, de les multiplier en cascade, par des enchaînements auxquels le spectateur peut trouver une logique, mais une logique qui reste toujours intime, secrète, faite d’enchevêtrements mentaux étranges, opaquement perceptibles, poétiques. »
A l’impossible, nul n’est tenu et cette litanie sans fin et numérotée a quelque chose de rigide et de pas très passionnant… Que veulent nous prouver ses auteurs et metteurs en scène? Un confrère m’a dit sans ambiguïté que ce genre de réalisation ne revenait qu’à se donner bonne conscience mais ne « faisait pas théâtre » comme disait Antoine Vitez qui créa justement en 1971 le Théâtre des Quartiers d’Ivry. Sans doute sévère, mais pas faux…
En fait, ce spectacle s’il était joué loin de théâtres très bien équipés avec grand plateau, systèmes lumières, son et vidéo, aurait plus à voir avec une forme d’agit-prop comme l’avait fait le groupe Octobre dans les années trente avec de sombres inconnus comme entre autres (excusez du peu : Jacques et Pierre Prévert, Mouloudji, Jean-Louis Barrault, Margot Capelier, future et fameuse directrice de casting, Maurice Baquet, Jean Dasté, le grand directeur et metteur en scène du C.D.N. de Saint-Etienne, Roger Blin, le metteur en scène qui créa ensuite En attendant Godot… Ce groupe d’acteurs créa quelques spectacles politiques aux scénarios et dialogues directs, faciles à comprendre et pouvant être joués partout.
Comparaison n’est pas raison, les temps ont beaucoup changé au théâtre comme ailleurs. Mais désolé, texte et mise en scène qui bénéficient pourtant d’une réalisation honnête (mais sans doute trop sage!) ne nous ont pas convaincu. Et ce spectacle n’est peut-être pas le meilleur moyen de «favoriser de nouveaux modes de pensée et de sensibilité».
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 21 mai au Théâtre des Quartiers d’Ivry-Centre Dramatique du Val-de-Marne, Manufacture des Oeillets, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine.