Cerebrum, texte mise en scène et jeu d’Yvain Juillard
Cerebrum, texte mise en scène et jeu d’Yvain Juillard
Connaissons-nous notre cerveau ? Matière grise réservée à l’intelligence, matière blanche ramollie ? «Grouille-toi le mou.» dit un personnage de Colette, ce qui signifie selon l’occasion: «Agite tes neurones. » ou « Bouge tes fesses. » Notre acteur-conférencier nous fera comprendre que ces actions ne sont pas si éloignées l’une de l’autre, dans la production inestimable de notre cerveau. L’Homme pourra-t-il augmenter son activité et son efficacité ? Pourra-t-il s’ «augmenter» grâce à l’intelligence artificielle? Hum, il a déjà beaucoup à faire avec ce que notre organe « naturel » fabrique tous les jours. L’homme augmenté est aussi, quelque part, diminué. Et puis, qui est-il ? Un Moi, un Lui ou un plusieurs ?
Trêve de plaisanteries, ce scientifique et comédien, a entrepris de nous faire découvrir la vraie vie du cerveau et commence par une illusion d’optique. Qui est le magicien ? Pas lui mais nous dont la mémoire fulgurante définit, voit un objet, le nomme avant de l’avoir regardé vraiment pour ce qu’il est, matériellement. C.Q.F.D. Ah ! La matière… Yvain Juillard rappelle qu’elle est faite d’énergie et d’ions en perpétuelle agitation. Rien de solide, que du mouvement: infiniment petit et très vif.
À quoi se fier? Il nous donne le vertige avec les connexions infinies, à l’instar des espaces intersidéraux et de l’univers, que créent synapse et neurones. A l’écouter, nous entendons le vertige que ressentait Blaise Pascal (voir le texte sur les deux infinis dans Les Pensées, une œuvre posthume (1670). Avec plus de plaisir à la découverte (même si nous connaissions déjà les synapses), que d’angoisse métaphysique.
Nous assistons donc à une conférence passionnante sur la nature et les capacités du cerveau. À coup de tableaux blancs ou noirs, schémas et projections, notre maître nous joue en direct ce paradoxe : présenter des images pour démontrer qu’aucune image n’est fiable. Plutôt qu’un illusionniste, il est un «désillusionniste. » Et il a baptisé sa compagnie: Les Faiseurs de réalité. Signifiant ainsi clairement que la réalité ne va pas de soi. Il nous rappelle, entre autres, que la science ne dit pas la vérité, non à un sens qui ferait plaisir aux complotistes et aux croyants en l’irrationnel, mais à celui où la vérité scientifique est toujours sa propre cible, inlassablement. La science va de l’avant, sans effacer ses traces derrière elle. De ce spectacle-conférence à la fois insolite et passionnant, nous ressortons instruits, réveillés intellectuellement, mais en manque de théâtre. Pourtant Yvain Juillard nous en donne, par exemple en mimant une personne chez qui le cerveau lésé a déformé le sens de l’espace. Et s’il y a une chose importante au théâtre, c’est bien cela. Ou il en dessine à grands coups de pinceau, l’image et les autoroutes nerveuses qui le prolongent.
Mais l’enjeu de Cerebrum est clair : créer un antidote aux préjugés et une effraction des certitudes. Ce spécialiste des neurosciences qui s’adresse à nous, est aussi comédien, entre autres chez Joël Pommerat : une bonne école pour « déjouer » et s’en tenir à une stricte justesse. Il nous parle doucement, volontairement à la limite de l’audible : ce qui nous incite à tendre l’oreille, et donc à lui prêter attention. Un bon point: cela nous repose des démonstrations tonitruantes de certains conférenciers-acteurs.
Mais peut-être Yvain Juillard devrait-il nous lâcher un instant. Sa quête permanente de notre écoute, qui lui est pourtant assurée, ne nous laisse plus de place. Manque ici une attente quand, par exemple, il annonce une action qui aurait pu être transgressive. L’ambition louable de ne pas «faire théâtre » et de rester ainsi au plus près du vrai, nous laisse en position d’écoliers. Nous ne nous en plaindrons quand même pas trop: nous avons eu le cerveau gentiment étrillé, l’humour agréablement partagé et le cœur allégé par ce «gai savoir». Le théâtre de la Reine Blanche réussit son pari de marier la Science et le Théâtre. Mais sur la photo, la mariée prend sans doute un peu plus de place que le marié…
Christine Friedel
Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis passage Ruelle, Paris ( XVIII ème), jusqu’au 19 juin. T. : 01 40 05 06 96.
Festival d’Avignon, du 7 au 25 juillet.