Les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis

Les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

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Changement dans la continuité ou bien l’inverse? En tout cas, Frédérique Latu, la nouvelle directrice qui a succédé à Anita Mathieu, retraitée nolens volens de cette institution, a su s’inscrire dans le prolongement du concours historique de Bagnolet. Au « travail de repérage artistique », à l’engagement « en faveur de la création chorégraphique et des artistes » et à l’action ayant contribué à « la renommée nationale et internationale des R.C.I. », Frédérique Latu veut, elle, ajouter une touche personnelle en « renforçant des dynamiques de réseaux avec les acteurs du champ chorégraphique et de la diffusion, tout en renouvelant leur lien au territoire ».
Aguerrie par l’expérience acquise à l’Échangeur-C.D.C.N. des  Hauts-de-France où elle a assuré les fonctions de secrétaire générale puis de directrice déléguée en 2014, elle a été regrettée par  Christophe Marquis, le directeu qui a dit lors de l’événement C’est comme ça  en septembre dernier : « Frédérique Latu doit maintenant voler de ses propres ailes… »

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Sa formation en gestion des organisations culturelles à Dauphine l’aidera sûrement dans cette fonction, pour mieux « repositionner »  ces rencontres et en « faire un festival… ancré sur son territoire ». Un débat pas nouveau, opposant deux visions de la Culture, quitte à réactiver la vieille querelle entre tenants de l’art pour l’art, et ceux de l’art au service du peuple. Et qui se poursuit dans la capitale où les salles de spectacle ne sont pas gérées de façon optimale… Travaux sans fin depuis six ans au Théâtre de la Ville à Paris avec réouverture, en principe fin 2023, abandon de la salle Pleyel, sous-utilisation de lieux comme La Gaîté lyrique ou de l’Auditorium Saint-Germain,  encouragement de la pratique amateur… Voir aussi ainsi dans les Hauts-de-France, la destruction du cinéma-bowling-dancing à Tourcoing destiné à la population ouvrière et qui a été remplacé par Le Fresnoy, un outil de production et post-production dans les domaines de l’image et du son mais d’où sortent quelques artistes n’ayant pas tous le niveau international. A quelques encablures de La Piscine à Roubaix, son contraire… Un lieu d’art traditionnel, appliqué, naïf et parfois kitsch, mais toujours poétique.

Il faudra dépasser dialectiquement cette antinomie. Nous ne pensons pas qu’il faille opposer «défrichage chorégraphique» à «ancrage sur le territoire». Souhaitons donc à Extensions -tel est le nom de cette manifestation- d’imposer son style. Pour surmonter cet obstacle et se mettre à l’écoute du monde, Frédérique Latu et les équipes artistiques qu’elle a invitées, joueront de l’indiscipline, une notion proposée en 1994 par Jean-Marc Adolphe dans Les Lettres françaises. Et qui depuis a fait florès, utilisée comme slogan par Mouvement et comme concept au sens publicitaire du terme, par nombre de médias.

Augurons qu’Extensions visera toutes les cibles avec des artistes comme entre autres, Nora Chipaumir, Massimo Fusco, en passant par Katerina Andreou, Doria Belanger, Dalila Belaza, Hortense Belhôte, Bo /Kevin Jean, Mayra Bonard, Yvan Clédat et Coco Petitpierre, Mercedes Dassy, Olga Dukhovnaya, kabinet k, Wanjiru Kamuyu, Marc Lacourt et Delphine Perret, Prue Lang et Jana Castillo, Anne Nguyen et Yves Mwamba, collectif Ouinch Ouinch, Selma et Sofiane Ouissi, PJPP, Sylvain Prunenec, Thibaut Ras, Soa Ratsifandrihana, Maxence Rey, Sylvain Riéjou, Marcela Santander Corvalán et Hortense Belhôte, le collectif V. I.D.D.A. Seront aussi reprises trois pièces du regretté Andy De Groat mort en 2019 à Montauban, qui sauront «nous mettre à l’écoute du monde». Pour mieux nous captiver…

 Nicolas Villodre

Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, du 13 mai au 18 juin, 96 bis rue Sadi-Carnot, Bagnolet Cedex 01 France. T.:+33 (0)1 55 82 08 08. contact@rencontreschoregraphiques.com

 

 

 


Archive pour mai, 2022

La Fondation LUMA à Arles

La Fondation LUMA à Arles

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 Créée en 2004 par Maja Hoffmann à Zurich pour soutenir la création artistique dans la photo, l’édition, les films documentaires, les multimédias,etc. cette fondation soutient, finance et réalise des projets artistiques visant à approfondir la compréhension des questions liées à l’environnement, aux droits de l’homme, à l’éducation et à la culture.

En 2013, Maja Hoffmann lance LUMA Arles, un site de création interdisciplinaire où, à travers des expositions, conférences, spectacle, projets d’architecture et design, des artistes et scientifiques interrogent les relations entre art, culture, environnement, droits humains et recherche. En juin 2021,  cette fondation a ouvert son propre site, englobant sept anciennes usines de réparation et construction de locomotives installées sur une partie de l’ancienne nécropole antique des Alyscamps au XIX ème siècle, et une tour dessinée par l’architecte Frank O. Gehry sur le Parc des Ateliers…
Un lieu à la fois de production et d’expérimentation pour les artistes comme pour le grand public. Cette tour accueille chaque année des expositions d’artistes majeurs, des œuvres de grands créateurs d’aujourd’hui contemporaine. Mais aussi des commandes spécifiques et des projets in situ. Des archives d’artistes, photographes sont accessibles dans les conditions des grandes institutions internationales.

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La tour conçue par l’architecte-star Frank Gehry et construite de 2014 à 2021, veut être une nouvelle proposition d’un bâtiment culturel au XXI ème siècle, en hommage à l’histoire d’Arles et de sa région : d’abord à l’architecture romaine1 avec le «roman plan», de la rotonde à la base de la tour faisant référence aux arènes antiques. Un hommage enfin aux Alpilles absorbant la lumière qui colore les pierres. Ici, des plaques métalliques renvoient la lumière  pénètrant dans le tambour de verre au rez-de-chaussée. Enfin, les murs des ascenseurs sont couverts de carrés de sel cristallisé, un clin d’œil aux salines locales. (2)

Cette tour de 15. 000 m2 aussi haute que large (56 m x sur 54 m) a été surtout construite en acier, béton et verre, en couches superposées avec douze niveaux dont 2.000 m2 pour des expositions dans un espace labyrinthique. Les espaces des sous-sols, à la terrasse panoramique au neuvième étage, ont été conçus pour des usages publics ou privés. Comme la Galerie principale: un espace d’exposition de 1.000 m2 d’un seul tenant et sans pilier porteur;  deux autres de 500 et 350 m2, un café-restaurant, un auditorium de cent cinquante places, des ateliers d’artistes, une bibliothèque, des espaces d’archives et d’autres consacrés à l’événementiel, des salles pour séminaires, et des bureaux.

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Dans une salle spécialement aménagée avec de très grandes photos d’Arles, sont exposées les maquettes de Frank Gehry pour cette tour et son implantation sur le Parc des Ateliers. Une collection permanente in situ en a tout de suite fait partie avec, entre autres, Take your Time (2021), un très grand miroir tournant du Danois Olafur Eliasson, au-dessus de l’escalier à double révolution de Frank Gehry. Une prouesse architecturale imaginée comme un trompe-l’œil géant, tel celui de Léonard de Vinci au château de Chambord. Et Isometric Slides (2020) de Carsten Höller, un étonnant toboggan qui, lui aussi à double révolution, dialogue avec l’escalier de Gehry et permet de descendre du deuxième étage, au rez-de-chaussée.

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Dans les expositions temporaires de mars, une utilisation minimale de l’espace -ce qui donne une impression de vide mal exploité dans cette tour- avec de nombreuses œuvres d’art conceptuel… peu accessibles au grand public. Le parc paysager, imaginé par Bas Smets de 2017 à 2021, est composé de jardins s’inspirant de la région et du parc régional de Camargue avec écosystème artificiellement recréé. Dans le Parc des Ateliers, ont été restaurés la grande halle, les forges, la mécanique générale, les lieux de formation et le réfectoire…

Sébastien Bazou

Fondation LUMA, 35 avenue Victor Hugo, Arles (Bouches-du-Rhône). T. : 04 65 88 10 00.

 1) Arles possède un incroyable trésor architectural romain et roman, classé au Patrimoine Mondial de l’UNESCO en 1981, avec des monuments exceptionnels de conservation: l’église romane Saint-Trophime et son cloître (XII ème et XIV ème siècle). L’amphithéâtre romain du Ier siècle après J.C. (136 m x 107m ) pouvait accueillir environ 21.000 spectateurs. Le Théâtre antique (Ier siècle avant J.C.) bâti au cœur de la cité. Les crypto-portiques  (I er siècle avant J.C.), souterrains d’un forum aujourd’hui disparu. Les Thermes de Constantin (IVe siècle), des lieux publics très fréquentés, et aujourd’hui en partie dégagés. Les vestiges des remparts romains et le site des Alyscamps (IV ème siècle après J. C. Et une immense nécropole romaine et médiévale avec une église romane, des chapelles et une allée bordée de sarcophages aménagée au XVIII ème siècle par les Frères minimes.
A voir aussi le Musée Départemental d’Arles antique avec, entres autres, un chaland fabuleux bateau à fond plat long de trente-et un mètres, découvert en 2004 et ici exposé depuis huit ans…Daté des années cinquante après J.-C., donc sous Néron,  et impeccablement restauré, il est en parfait état de conservation avec mobilier de bord et cargaison de blocs de pierre calcaire…

Musée Départemental Arles Antique,presqu’île du cirque romain. T. : +33 (0)4 13 31 51 03.

2) Les salins de Camargue remontent à l’Antiquité. L’ingénieur romain Peccius avait été chargé au début de l’ère chrétienne de les organiser et en 1856, leurs propriétaires s’unirent pour fonder les Salins du Midi.

 

 

 

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Des femmes respectables, mise en scène et chorégraphie d’Alexandre Blondel

Des femmes respectables, mise en scène et chorégraphie d’Alexandre Blondel

Crédit photo 3

©Etienne Laurent

Cette création fait pendant au ballet De la puissance virile où trois danseurs s’expriment en mouvements et en mots sur le machisme ordinaire subi par chacun, selon son origine (voir Le Théâtre du blog). Nous retrouvons ici le style du chorégraphe entre théâtre, acro-danse et hip hop. Cet artiste pluridisciplinaire, sociologue de surcroit, installé dans les Deux-Sèvres avec sa compagnie Carna, nourrit ses pièces de recherches sur le terrain.

Pour le versant féminin de son diptyque, Alexandre Blondel s’est inspiré de l’ouvrage Des femmes respectables de la sociologue féministe britannique Beverly Skeggs. Il a composé cette pièce à partir d’entretiens qu’il a menés lui-même dans sa région auprès de femmes âgées de soixante-dix à quatre-vingt cinq ans, issues du monde rural: agricultrices, ouvrières et autres. Quatre danseuses s’emparent des paroles de ces «invisibles» qui pourraient être leurs grands-mères et les mêlent aux leurs. D’une génération à l’autre, les problématiques féminines se répondent avec écarts et similitudes. Le metteur en scène et chorégraphe a construit cette pièce suivant  des thématiques : le don de soi, la maternité, le mariage, les violences conjugales, la sexualité mais aussi le divorce et la précarité

Emilie Camacho, Camille Chevalier, Jade Fehlmann et Léna Pinon-Lang investissent le plateau tandis qu’une voix off, délicieusement rétro, raconte une jeunesse rurale: «Le dimanche, au bal, on dansait comme tous les ados avec ceux qui nous plaisaient. On dansait souvent entre filles d’ailleurs, parce que flirter c’était mal vu et mes frères étaient toujours là. Eux, je les aime, ils sont pas responsables de ça…ils étaient pas responsables de tout ça… c’est pas eux, c’était pas eux… » Derrière les mots, on entend l’aliénation mais aussi les stratégies pour la déjouer: une forme de contestation pointe, reprise avec gourmandise par les danseuses pour souligner la résistance de ces femmes.

Dans ce théâtre à la fois de paroles et de gestes, les moments forts sont ceux où la danse prédomine et où la chorégraphie souligne minutieusement par des états du corps, les différentes formes d’aliénation. L’assemblage est surtout réussi quand texte et danse opèrent en symbiose comme dans cette avancée chorale à petits pas mécaniques rythmant des phrases syncopées: «Je travaillais, je faisais des petites choses, je faisais de la couture, des finitions de couture.. Je travaillais souvent le soir pour cinq francs de l’après-midi, alors là, trente-six métiers, trente-six misères… J’ai vendu des encyclopédies, y’avait un monsieur, il m’emmenait avec lui, un homme charmant, vraiment, il vendait ça comme des petits pains. Et quand je me suis retrouvée toute seule, j’ai jamais rien vendu… Puis à l’époque, les femmes n’étaient pas considérées… Après, j’ai vendu des assurances pour les Mutuelles du Mans…. » Il y a aussi les souvenirs des luttes de cette syndicaliste d’une usine textile, qu’elle a menées et qui l’ont décillée …

De petites et grandes résistances au quotidien que les jeunes interprètes nous donnent à entendre et à voir, en y mêlant leur ressenti de femmes et danseuses d’aujourd’hui. #Metoo et #Balancetonporc qui agitent, entre autres, le monde du spectacle, sont évoqués ici avec humour : la légèreté reste de mise parfois avec des gestuelles allusives sans être grossières. L’écriture chorégraphique va à l’encontre d’un corps normé et idéalisé. Entre puissance et fragilité, Alexandre Blondel déjoue les codes de la féminité avec des torsions, bascules arrière, cambrés exagérément provocants mais aussi des lâcher-prise et déséquilibres. Les mots débordent parfois sur la danse mais il faut saluer ce travail original, bien construit et très physique où les artistes s’engagent avec talent et drôlerie pour mettre en valeur les espaces de résistance et d’émancipation dans la fabrique sociale du féminin d’hier et d’aujourd’hui

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 4 mai, Les Trois T-Scène Conventionnée de Châtellerault, 21 rue Chanoine de Villeneuve, Châtellerault (Vienne). T. : 05 49 85 46 54.

Du 7 au 29 juillet à 18 h 15, Théâtre de la Danse Golovine, 1 bis rue Sainte-Catherine, Avignon (Vaucluse). T. : 04 90 86 01 27


Radicale Vitalité, chorégraphie de Marie Chouinard

Radicale Vitalité, chorégraphie de Marie Chouinard

Le Théâtre de la Ville entretient une vraie fidélité avec de nombreux chorégraphes. Le Cri du monde, Les Vingt-quatre préludes de Chopin, cette première pièce de Marie Chouinard, avait été jouée -et un duo de cette nouvelle création en est issu- quand le bâtiment place du Châtelet, revu et corrigé par Fabre et Perrottet en 1968 mais pollué à l’amiante, était encore ouvert.  Les gigantesques travaux commencés en 2016 six ans ne sont toujours pas finis! On parle d’une réouverture au public à l’automne prochain… Son directeur Emmanuel Demarcy-Mota qui avait succédé à Gérard Violette,en 2011 aura jusque là finalement passé plus de temps à l’Espace Cardin…

© Sylvie-Ann Paré

© Sylvie-Ann Paré

Marie Chouinard a remonté les solos et duos emblématiques de son travail et a réveillé la mémoire du corps de ses danseurs canadiens. Mais elle a aussi fait des recherches dans ses archives vidéo. Un résultat surprenant, parfois inégal mais l’engagement des onze interprètes est ici total.Les spectateurs qui lui sont fidèles reconnaîtront certains extraits de ses pièces, en particulier un très beau duo (2018) avec Valeria Galluccio et Adrian W.S. Batt, sur le Lascia ch’io pianga de Händel, chanté par Montserrat Caballé. Nous retiendrons aussi l’incroyable solo de Carol Prieur ouvrant la pièce. Malgré ses cinquante ans, elle réalise ici une performance physique impressionnante… Il y a aussi une belle «danse » filmée du visage de Motrya Kozbur qui a une hyper-laxité cutanée.

 La danse de Marie Chouinard est très animale et charnelle. Elle aime déconstruire les relations femmes-hommes et mettre en danger l’éternelle domination masculine, avec un travail plastique provocant… Comme avec ces tableaux de groupe dans Le Nombre d’or (Live) créé à Vancouver en 2010 où ses danseurs nus, aux têtes de vieillards ou de bébés, prenaient des poses incongrues. Ce qui dérangeait certains spectateurs.
Après la pandémie, Radicale Vitalité en une heure quinze nous réveille d’une longue torpeur et nous fait du bien.

 Jean Couturier

 Jusqu’au 12 mai, Espace Cardin-Théâtre de la Ville, 1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème). T. : 01 42 74 22 77.

 

Faust d’après Wolfgang von Goethe, traduction de Jean Malaplate, adaptation et mise en scène d’Ivan Marquez

Faust d’après Wolfgang von Goethe, traduction de Jean Malaplate, adaptation et mise en scène d’Ivan Marquez

Une réalisation d’un élève-metteur en scène qui a eu lieu sur le grand et magnifique plateau de la salle Grüber, avec une partie des élèves de deuxième année à l’Ecole du T.N.S, section jeu mais aussi mise en scène/dramaturgie, scénographie- costumes et régie création. Faust (1808) est un monument de la littérature allemande… en 4.600 vers. Avec comme personnage, le docteur Faust, un vieux savant admiré pour sa sagesse mais accablé par l’insignifiance de ce qu’il a appris. Il a eu l’imprudence de signer un pacte avec Méphistophélès qui l’initiera aux jouissances de ce bas monde. Mais il y a un prix à payer: Faust à sa mort, s’engage à lui offrir son âme.

© J.L. Fernandez

© J.L. Fernandez

Méphistophélès l’emmène en voyage avec beuveries et orgies à la clé. Mais Faust va rencontrer Marguerite, une jeune fille modeste et pudique qui incarne pour lui l’innocence et l’espoir. Elle découvre un coffret de bijoux dans sa chambre… Elle et Faust se rencontrent. Marguerite est passionnée par cet homme qui lui jure un amour éternel. Mais ils se séparent et elle est angoissée à cause de cet amoureux qui finira par la rejoindre. Elle chante avec mélancolie son angoisse.

Puis, Faust la rejoint à nouveau et au moment des adieux, Faust donne à Marguerite un somnifère qui doit endormir sa mère pour qu’ils puissent profiter de leur rendez-vous d’amour. Elle est d’accord mais son frère provoque Faust en duel et celui-ci le tue. Devenue mère, Marguerite est abandonnée par Faust et par sa famille. Méphistophélès entraînera Faust dans la nuit de Walpurgis, une fête païenne qui a lieu dans la nuit du 30 avril au 1er mai, associée depuis des temps reculés, malgré les interdits de l’Église à la fin de l’hiver, avec orgies parmi les démons et sorcières… Mais Faust voit une adolescente aux yeux de morte et pressent la fin tragique de Marguerite. Il se déchaîne alors contre Méphistophélès. Marguerite, accusée d’avoir tué son enfant, est emprisonnée. Elle ne reconnaît pas Faust venue la voir et refuse de le suivre : elle veut expier son crime et implore Dieu. Faust quitte alors la prison avec Méphistophélès…

Le mythe et la pièce ont inspiré nombre d’artistes comme Rembrandt, Delacroix… et des compositeurs : Franz Schubert, Hector Berlioz, Charles Gounod, Franz Litz, Gustav Mahler, Lili Boulanger ou plus récemment Pascal Dusapin… et un groupe allemand de rock expérimental et un autre  de dark metal américain Agalloch.Bref, le mythe est toujours bien vivant. Faust a fait l’objet de nombreux films comme Faust une légende allemande  de F. W. Murnau  (1926) et La Beauté du diable  (1950)  de René  Clair, avec Michel Simon et Gérard Philipe, un film aujourd’hui un peu oublié. La pièce  fascine nombre de metteurs en scène mais est rarement jouée.  Nous nous souvenons entre autres, d’une réalisation fleuve de Faust I et II de Daniel Benoin ( 1982), trop longue sans doute mais avec de très belles images. Mais vu, entre autres, le coût de la production, elle n’avait jamais quitté Saint-Etienne… Et il y a quatre ans, la Comédie-Française avait programmé une bonne adaptation de Faust au Vieux-Colombier, avec effets magiques dans une mise en scène de Valentine Losseau et Raphaël Navarro (voir Le Théâtre du Blog).

© J.L. Fernandez

© J.L. Fernandez

Mais, comment et pourquoi, un jeune apprenti-metteur en scène veut-il,  même en en faisant une adaptation, se confronter avec un pareil texte ? Il faut en tout cas ténacité et courage pour mener à bien une telle entreprise… «La pièce, dit Ivan Marquez, m’a semblé surannée à bien des égards et problématique sur des sujets brûlants aujourd’hui, alors qu’elle se voulait progressiste à l’époque. La représentation aujourd’hui des figures légendaires (le savant, le diable) mais surtout celle des femmes est un point de friction impossible à occulter. Le premier travail est de rendre la fable lisible pour se poser, avec le public, les questions qu’elle soulève autant sur le fond que sur la forme. Que dit une figure comme celle de Marguerite au XXIe siècle à la fois dans la tragédie qu’elle vit et dans la manière dont son auteur la représente ? »

© J.L. Fernandez

© J.L. Fernandez

Il n’y a ici pas d’actualisation ou du moins, le dit-il… Sur ce grand plateau d’une quinzaine de m d’ouverture et presque autant de profondeur, tout un bric-à-brac bien conventionnel et déjà vu partout! Un portant en fond de scène chargé de costumes, une série d’anciens sièges tapissés de velours rouge de l’Odéon à Paris, des châssis à l’envers, des fragments de mannequins dans le fond et côté cour et des chaises entassées sur des gradins. Histoire de bien montrer -de façon laborieuse!- que nous sommes bien sur une scène de théâtre. Mais en aucun cas,cela «ne structure l’espace » comme le dit un peu naïvement le metteur en scène… Et pour mieux enfoncer le clou, le début se passe très lentement devant un rideau en pastique translucide où deux acteurs -sans doute Faust et Méphistophélès- lisent mais pas toujours très bien le début du texte sur un paquet de feuilles qu’ils jettent ensuite une à une, puis en toutes en l’air, parsemant le plateau de feuillets blancs (là encore, du jamais vu!). Bref, cela commence assez mal…

«Il me semble important de se confronter aux limites du patrimoine théâtral, dit Ivan Marquez avec une certaine prétention, ce qui est encore vivant et ce qui est dépassé. (…) Il faudra chercher, à chaque représentation, comment les corps des acteurs sont mis en tension par les grandes forces sociétales et philosophiques que la pièce dégage. La langue de Gœthe, riche et dense, est un terrain de jeu pour retenter à chaque fois l’expérience de faire du texte une matière vivante. La scène doit fonctionner comme une estrade où s’expose la confrontation entre le présent et le signe mort. Dans cet esprit, le nombre d’acteurs est inférieur au nombre de personnages permettant une «conscience vivante et productive du fait qu’on est au théâtre.» Il y a ici un travail avec un désir d’expérimentation louable mais d’où le public semble exclu et ces deux heures ont quelque chose d’interminable… Sauf à la toute fin, avec une mise en abyme assez réussie, quand s’abattent à les murs d’une boîte où une seule comédienne dit Faustin in out d’Elfriede Jelinek. C’est un autre spectacle, une «expérience immersive» (sic) devant seulement dix spectateurs d’un côté et dix de l’autre, avec trois acteurs dont deux jouent aussi dans Faust. Aussi mise en scène par Ivan Marquez qui montre qu’il a la maîtrise de l’espace, mais moins celle du temps. Mais le public doit choisir et ne peut voir les deux spectacles le même soir…

Ce « terrain de jeu » -nous sommes honnêtement prévenus- ne fonctionne pas bien; en fait nous sommes conviés à une sorte d’adaptation-lecture personnelle de la pièce. Et mieux vaut la connaître pour s’y retrouver. Ivan Marquez s’est ici surtout livré à un indéniable travail de recherche «sur l’Urfaust, version de jeunesse de 1774, et la publication du Faust 1 en 1808 et sur la tragédie de Marguerite, majeure dans la version de jeunesse, perd de son importance dans la version de 1808. »
D’où sans doute une certaine sécheresse dans la mise en scène et un ennui qui pointe vite le bout de son nez. Et on se demande pourquoi Ivan Marquez a équipé certains de ses cinq acteurs de micro HF (la maladie du siècle! et d’autres, pas).Côté interprétation, il y a comme une volonté de bien faire mais difficile de croire à ces personnages très mal costumés et dans une médiocre scénographie. Le programme indique qu’il s’agit de deux mises en scène.. Mais le mot essais de mise en scène géré par un groupe d’élèves d’une même promotion conviendrait mieux.
Et il semble, avant de les lancer dans l’arène, qu’un travail préalable de dramaturgie et de réflexion aurait dû être beaucoup plus approfondi. Ivan Marquez nous dira sans doute que tel n’était pas le but de l’opération. Mais celui ou elle qui succèdera prochainement à Stanislas Nordey, que ce soit Julien Gosselin, Célie Pauthe ou un autre, aurait sans doute intérêt à resserrer les boulons quant aux travaux d’élèves. Nous n’avons pas pu voir Sallinger mise en scène de Mathilde Waeber mais Gorgée de vie, l’autre pièce, elle dirigée par une metteuse en scène déjà expérimentée (voir Le Théâtre du Blog) est, lui, nettement plus convaincant…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 29 avril à l’Espace Grüber, 18 rue Jacques Kablé, Strasbourg (Bas-Rhin).

 

Opération lycéens citoyens avec le Théâtre National de Strasbourg: Gorgée d’eau de Penda Diouf, mise en scène de Maëlle Dequiedt

Opération lycéens citoyens avec le Théâtre National de Strasbourg

Gorgée d’eau de Penda Diouf, mise en scène de Maëlle Dequiedt

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©x Le Théâtre National de Strasbourg

Ce programme d’inclusion sociale et culturelle a été porté par les équipes de La Colline-Théâtre national à Paris, le Théâtre National de Strasbourg, la Comédie-Centre dramatique national de Reims et Le Grand T-théâtre de Loire-Atlantique à Nantes. Avec la volonté de favoriser l’égalité des chances et la mixité entre lycéens des filières professionnelles et techniques et des filières d’établissement générales en découvrant et pratiquant ensemble le théâtre. Un projet du même ordre qu’a aussi récemment initié Célie Pauthe au Centre Dramatique National de Besançon (voir Le Théâtre du Blog).

©x Le quartier populaire de Neuhoff

©x Le quartier populaire de Neuhof  (22.000 habitants)

Regroupées en binôme, deux classes: l’une issue d’un lycée professionnel ou technique, et l’autre d’un établissement général, bénéficient d’un accompagnement tout au long de l’année. Avec une commande de texte à un auteur dramatique contemporain qui donnera lieu à un spectacle itinérant, spécialement créé et joué dans les lycées partenaires. Et dont les élèves de ces classes bénéficient d’ateliers de travail théâtral mais sont aussi invités à découvrir des spectacles comme Chère Chambre de Pauline Haudepin, Les Serpents de Marie Ndiaye, Le Dragon d’Evgeni Schwartz joués au T.N.S. L’objectif majeur étant la rencontre avec un autre jeune du même âge mais socialement différent, l’envie de prendre la parole, l’analyse du texte et la réalisation de spectacles souvent complexes où interviennent de nombreux corps de métier. Mais peut-être aussi d’avoir le goût du jeu et de l’écriture.

Une tâche gigantesque  et pas facile à mener mais indispensable dans une France déjà clivée et où reste, après plus de soixante ans, une cloison encore étanche entre les populations d’enseignants et d’élèves des lycées dits généraux et ceux des lycées professionnels et techniques, où ‘accès à la musique, à la danse comme au théâtre est encore très limité pour ces élèves qui entrent dans un théâtre pour la première et y voient un pièce…

Il y a eu pour cette deuxième édition les binômes de classes avec au total, quelque deux cent lycéens bénéficiaires de ce programme.

©x Lycée Marcel Rudlof

©x Lycée Marcel Rudlof

A Strasbourg : en seconde générale de l’École européenne et en seconde en système numérique du lycée Marcel-Rudloff; à Nantes : en première en Bac pro gestion administrative du lycée professionnel Léonard-de-Vinci et en seconde générale du lycée général et technologique Livet ; à Reims, en seconde générale du lycée Marc Chagall et seconde professionnelle chaudronnerie et mécanique automobile du lycée Gustave Eiffel et à Paris ( XX ème), en seconde générale au lycée Maurice Ravel et seconde professionnelle Agora du lycée Charles de Gaulle.

Gorgée d’eau

Spécialement créé pour ce programme, la pièce qui a été jouée dans chaque établissement scolaire, est aussi le point d’ancrage pour des ateliers de pratique théâtrale. C’est une sorte de récit sur l’émancipation d’une collégienne et sur le rapport fusionnel qu’elle a avec sa mère. La jeune fille va petit à petit prendre conscience à la fois de cette relation qu’entretiennent celle qui reste sa mère et elle-même qui le deviendra sans doute un jour. Gorgée d’eau a pour thème un amour maternel bien réel mais envahissant et un conflit entre deux générations qui ont chacune leurs valeurs. Quelle est cette mère qui cultive son bonsaï et a un lien si fort à la terre? « J’ai aussi souhaité dit son autrice, intégrer aussi une réflexion sur l’écologie. L’été dernier, j’ai été bouleversée par le rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et cela a beaucoup influencé mon processus d’écriture. J’ai alors pris conscience que la nature pouvait devenir un troisième personnage en tant que tel. Cette volonté de parler d’environnement fait écho à la politisation de la génération actuelle, les jeunes se sentent concernés par l’état du monde. » (…) Ainsi, tout le récit se déroule durant une période de grande sécheresse. Une citation d’Antonio Gramsci, que j’affectionne, traverse selon moi la pièce : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et c’est dans clair-obscur que surgissent les monstres ». Et on évoque une pluie d’oiseaux comme cela se produit au Mexique à Cuauhtémoc, quand ces centaines de carouges à tête jaune ont jonché les rues de la ville, après être tombés du ciel. Une mort mystérieuse et subite.

©tuong-vi-nguyen.

©tuong-vi-nguyen.

Une scénographie bi-frontale imaginée par Heidi Folliet pour cette salle polyvalente du lycée Marcel Rudlof à la périphérie de Strasbourg mais directement relié au centre par tramway. Au sol, un tapis des copeaux d’écorce, deux tables en stratifié blanc et deux chaises et à un bout, un écran qui s’éclairera par moments. L’univers de cette jeune fille et de cette mère sont sont donc tout proches de nous. Avec des préoccupations qui pourraient être les nôtres dans une langue de très grande qualité: «Et on voulait planter un arbre, pour toi. A ta naissance. Un arbre qui nous rappelle ce qu’on avait quitté. Et je voulais pas abandonner l’arbre quelque part si on devait partir. Tu comprends? Abandonner l’arbre, ici, tout seul? Alors, ton père a acheté un petit pot. Et on a planté la graine, tous les deux. On a mélangé les deux terres, celle du passé et celle d’ici. On a planté la graine du bougainvillier. Parce qu’on était devenu des terriens nomades, mais sans terre vraiment où se sentir chez soi. Alors, le pot c’était bien. C’était notre terre à nous, comme un nouveau pays.»

Très vite nous sentons une grande complicité entre elles, même s’il y a déjà de petites divergences, signe annonciateur d’une émancipation inéluctable de la jeune fille redoutée par la mère et qui la fera vieillir et rester seule: « Non, je ne suis pas pressée. Je ne veux pas qu’elle grandisse. Tout est déjà allé tellement vite. Je veux la garder telle qu’elle, avec ses grands yeux qui interrogent le monde, son nez qui ne ressemble à aucun autre ici, ses joues héritées du royaume de l’enfance, sa bouche naïve et innocente. Qu’on reste ensemble. Je veux être là pour elle, pour la protéger. »Mais elles vont être obligées d’affronter la mort en face de ces dizaines d’oiseaux tombés du ciel. Avec le sentiment d’une catastrophe climatique imminente contre laquelle personne ne pourra lutter.

Un thème finement cousu au premier et qui obsède Penda Diouf dont les ancêtres sénégalais et ivoiriens ont toujours été respectueux de la terre nourricière, parce qu’ils savaient bien qu’il n’y avait pas de plan B pour les nourrir… Et cette mère très lucide le voit aussi et met en garde sa fille unique quand elle lui parle d’une fille de sixième qui aurait disparu : «Tu n’as ni frère ni sœur, ni père, ni cousin, ni cousine. Tu n’as que ton corps. Et je sais qu’il est fort, que tu es endurante. Tu n’as que ça, ton corps. Et ta tête, ton intelligence, pour briller. Alors continue comme tu as toujours fait. » 

Belle leçon de prévoyance pour des lycéens : l’avenir n’est jamais sûr et même si la réserve d’eau est vide parce qu’il n’a pas plu depuis longtemps, mère et fille peuvent tenir le coup : elles ont des provisions, les fruits et légumes de leur jardin. Mais il va enfin pleut enfin et la mère se précipite pour récupérer cette eau si attendue mais la fille elle a peur que l’eau monte et ne veut pas mourir noyée, quand elle sent que ses pieds sont pris dans la terre et elle appelle sa mère au secours… Elle sent qu’elle devient un arbre avec ses racines….mais qu’elle possède une énergie nouvelle . La pièce se conclut par ces deux répliques : La Fille: « Tu ne m’as jamais laissé la place. Je t’aime maman. » La mère : «Je t’aime aussi, ma fille.

©x Maëlle Dequiedt

©x Maëlle Dequiedt

Après la représentation, sur la grande pelouse en face du lycée, a eu lieu avec Maëlle Dequiedt et Penda Diouf, une analyse dite chorale avec description précise de ce que les élèves ont entendu et ressenti. Ce compte-rendu collectif a été dirigé par une animatrice du T.N.S. qui a su poser les bonnes questions et obtenir les bonnes réponses concernant à la fois le texte et la mis en scène.

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 © Tuong-vi-guyen Panda Diouf

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Le très bel univers poétique imaginé par Panda Diouf n’est pas facile à mettre en scène mais Maëlle Dequiedt, avec une grande économie de moyens, a réussi à captiver la classe de seconde en système numérique du lycée Marcel Rudloff. Grâce à un travail rigoureux sur le plateau et à une bonne direction de ses actrices. Côté éclairages, elle a visiblement fait avec les moyens du bord. Et la bande-son, une création sonore de Joris Castelli qui associe bruitages et musique électronique, soutient remarquablement le texte comme les silences.
Lise Nomi joue l’Adolescente et Nanténé Traoré -que nous avons souvent vue au théâtre- interprète la Mère. Très complices, elles sont excellentes l’un dans ce rôle de femme surprotectrice et l’autre dans celui de cette jeune fille qui a besoin de s’échapper de ce huis-clos. Même si elle aime encore et toujours sa mère, comme elle le lui dit à la fin de la pièce.

Une beau spectacle très rodé, sur une histoire qui a lieu, dit Panda Diouf, « dans un monde au bord de la rupture; cela permet d’intégrer des scènes où la frontière entre réel et fantastique est trouble. »  Gorgée d’eau a visiblement séduit ce public lycéen.
Et nous vous parlerons aussi très vite de Faust, un autre spectacle, conçu et mis en scène par un élève de deuxième année de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg à l’Espace Gruber.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 29 avril au lycée Marcel Rudtlof, Strasbourg (Bas-Rhin).

 

 

Oraison, écriture, mise en scène de Marie Molliens, regard chorégraphique de Denis Plassard

Oraison par la compagnie Rasposo, écriture, mise en scène de Marie Molliens, regard chorégraphique de Denis Plassard

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 A entendre les cris et appels d’un animateur de foire à la saucisse, le public qui patiente à l’entrée du chapiteau, se demande s’il ne s’est pas trompé de spectacle. Impression renforcée quand il pénètre dans un espace intime où il est accueilli par un espèce de G.O de club Med et par trois danseuses d’un certain âge, avec des chorégraphies ringardes et une horrible musique « dance» des années quatre vingt-dix. L’animateur harangue la foule à coup de bip bip et s’improvise mentaliste : il propose de deviner quel est l’animal auquel pense une spectatrice. Et sous un foulard à paillettes du plus mauvais goût, il va le sculpter sur un ballon… Quelle que soit la réponse, la révélation est à sorties multiples et foireuse, comme beaucoup de numéros du genre…

Cette introduction terminée, Oraison commence enfin mais tout est du même tonneau, avec démonstration lourdingue et vulgaire de hula-hoop… Le public y croit mais commence à rire jaune! Quand d’un seul coup, la machine, en surchauffe, s’enraye, la musique s’emballe, la sono disjoncte et le feu commence à se propager…. Le spectacle prend alors un virage à 180° et change radicalement de ton. Finies les paillettes et la démonstration narcissique!  Et place à l’urgence, à la noirceur des âmes dans un espace devenu inquiétant et étouffant. Des visions fugaces nous arrivent comme des flashs avec danse serpentine aérienne, blocs lumineux des issues de secours arrachés et fils entravant la marche d’une fil-de-fériste Marie Molliens contrainte à glisser sur son fil mais ramenée sans cesse en arrière par deux étranges individus habillés et maquillés comme des clowns blancs…

L’un (Robin Auneau), en boxer et des chaussettes, porte un chapeau pointu et va réaliser des équilibres sur une très curieuse machine à pop-corn, tout en mangeant et en recrachant des sucreries où il finira les fesses dedans. Suit un étrange cérémonial: une femme vient lui souder le torse avec un poste à soudure à l’arc provoquant ainsi plein d’éclairs. Puis, un grand tulle semi-transparent tombe du chapiteau pour restreindre l’espace et filtrer notre vision de saynètes oniriques:  sur le fil, l’homme réalise des portés en déséquilibre avec la fil-de-fériste, puis seul. Il manipule de nouveau son hula-hoop, symboliquement entouré de papier qu’il transperce, tel un animal. Les restes brûlent petit à petit en une combustion lente d’une troublante beauté. Dans une autre séquence, avancent, au ralenti et contre le vent, l’homme et la fil-de-fériste avec un drapeau avec l’effigie d’un chapiteau de cirque.

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Le rythme s’emballe, comme la musique jouée en direct : une grosse caisse et un violon accompagnent Marie Molliens dans une séquence magistrale de maîtrise technique et d’émotion. Elle montre ici sur le fil toute l’étendue d’un art qu’elle maîtrise à la perfection, réalisant des figures exceptionnelles à un rythme frénétique : pas chassés, sauts, grands écarts, pointes… Une image amplifiée par la chute de morceaux de charbon venant perturber ses déplacements. Dans une autre séquence aussi remarquable, les deux clowns blancs sont assassinés et une femme, accompagnée d’ une meute de lévriers afghans découvre leurs corps à la lueur d’une torche… Une scène magnifique et hors du temps.

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Autre moment inoubliable : Zaza Kuik, elle, évolue sur le parquet de la piste au rythme de couteaux qu’elle plante au sol, tout près de ses pieds. En suivant un chemin dessiné par des bougies, elle progresse en tension mais avec une grâce et une sérénité lumineuse. Elle prendra ensuite à partie l’homme qui va lui servir de cobaye consentant… Dans un jeu pervers et sublime avec la mort, teinté d’érotisme, les couteaux qu’elle lance sur une planche en bois verticale où est inscrit le mot  CYRK épargnent le clown blanc qui s’effondre, laissant derrière lui une tache de sang… en tissu rouge déchiré ( superbe idée de scénographie). Une mise à mort du cirque traditionnel… qui ressuscitera grâce à une oraison funèbre mais salutaire.

Le spectacle finit en apothéose avec la révélation d’une tombe sous forme de sac de morgue qui renferme tous les habits traditionnels des clowns blancs et que chacun des personnages va enfiler. Avant de quitter le chapiteau pour rejoindre en musique un enfant et sa grand-mère. Superbe vision à la Federico Fellini : cette tribu de clowns enfin réunie disparait alors dans le parc, en saluant le public… Cette troisième création de Marie Molliens clôt une trilogie de cirque forain commencée en 2013 avec Morsure et continuée trois ans plus tard avec DévORée. Elle a toujours une remarquable capacité à bousculer et à émouvoir le public, avec un univers à la fois archétypal et tout à fait contemporain. Une écriture tranchante, un engagement total, à la fois artistique, esthétique et politique: Marie Molliens explore la psyché de ses personnages et sait repousser à merveille les limites du jeu et de la performance circassienne, ici transfigurés grâce à de subtiles métaphores et à un travail d’une grande précision sur la mise en scène, les éclairages et le son. Cette artiste sait comme personne concevoir des tableaux d’une beauté ténébreuse inoubliable : une pluie de charbons, une marche avec lancement de  couteaux ou une scène champêtre… Des moments d’une puissance inouïe qui s’impriment vite dans notre imaginaire!

Sébastien Bazou

Spectacle vu le 15 avril, Esplanade de l’Espace Mendès-France, Quetigny (Côte-d’Or).

 

 

Au seuil de la vie, d’après le scénario d’Ulla Isaksson, adaptation et mise en scène d’Hélène Darche ,

Au seuil de la vie, d’après le scénario d’Ulla Isaksson, traduction de Marie Hägg Allwright et Alice Allwright, adaptation et mise en scène d’Hélène Darche

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© Fred Atlan

Dans la blancheur clinique d’une maternité de Stockholm, trois femmes, trois destins croisés : Cécilia a fait une fausse couche après trois mois de grossesse, Hjørdis a raté son avortement et Stina s’impatiente: son bébé tarde à venir. Pour chacune, l’heure est à la remise en question de leur vie et de celle qu’elles vont donner, ou non… Avec Nära Livet, Ulla Isaksson, pour le film éponyme d’Ingmar Bergman (1958) qu’il tourna juste après Les Fraises sauvages, brosse l’univers incandescent et tourmenté du cinéaste suédois. Ces personnages de femmes aux nerfs à fleur de peau valurent à Bibi Andersson, Ingrid Thulin et Eva Dalhbec, un prix collectif d’interprétation féminine, la même année à Un Certain regard, au festival de Cannes.

L’adaptation d‘Hélène Darche se limite à la vie des trois patientes, aux prises avec leur corps de mère, sous l’œil sévère mais compatissant de Sister Britta, l’infirmière. Dans ce gynécée, les hommes sont juste évoqués, alors que dans le film, ils étaient interprétés par Max Von Sydow et Erland Josephson. Et ce huis-clos, où en un jour et une nuit se joue la vie ou la mort d’un enfant, renforce la tension dramatique entre personnages.

Pernille Bergendorff est une Cécilia élégante, intense et névrosée ; elle comprend que sa fausse couche est le symptôme d’un mariage raté. Sofia Maria Efraimsson campe une Stina bonne vivante et boute-en-train qui remonte le moral à la jeune et fragile Hjørdis (Pénélope Driant). En rupture de banc, l’adolescente avorte pour la deuxième fois. La brune Gwladys Rabardy, en Sister Britta revêche et autoritaire mais généreuse, contraste avec la blondeur évanescente des trois autres.

Hélène Darche dirige ses actrices avec délicatesse et elles mêlent habilement quelques mots de suédois à leurs répliques, en rappel du film et de la société du pays en 1958, où les premières lois sur l’avortement datent de 1938 et où les femmes votent depuis 1921… Cette liberté à disposer de son corps, unique au monde à l’époque, s’exprime dans Au seuil de la vie, dans les propos des personnages observés au microscope, mais sans intimisme malséant.

 La scénographie -trois lits à la blancheur immaculée sous la lumière créative d’Arnaud Bouvet- traduit l’atmosphère d’un hôpital. Cette blancheur spectrale évoque l’univers laiteux des films en noir et blanc mais il y a une belle explosion de couleurs avec des fleurs venues du dehors. Mention spéciale à Jason Meyer : sa musique limpide pour violon et piano apporte des respirations entre les moments de tension, et cette fluidité poétique transcende le réalisme des situations. Un spectacle d’une heure vingt, lumineux et poignant qui traite avec nuances, acuité et pudeur des questions à la fois intimes et universelles.

 Mireille Davidovici

 Du 1er au 25 mai, Les Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris (Ier) T. : 01 42 36 00 50.

 

Venise, la sérénissime et Yves Klein, l’infini bleu aux Carrières des Lumières

 Venise, la sérénissime et Yves Klein, l’infini bleu aux Carrières des Lumières

 

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Situé au pied du remarquable village des Baux-de-Provence, ce lieu chargé d’histoire est un passage incontournable quand on va dans les Alpilles. Des blocs ont été extraits de la pierre calcaire blanche et blonde pour construire au Moyen-Age ce village médiéval et le château des Baux. En 1800, le développement industriel avait fait exploser la demande  pierre pour construire des bâtiments et a nécessité l’ouverture de la carrière des Grands Fonds, actuelle Carrière des Lumières. En 1935, la production de pierre de taille qui avait été remplacée par le béton armé, chuta et la carrière ferma.

Jean Cocteau redécouvre le lieu qu’il fait  revivre dans Le Testament d’Orphée (1960), un film testamentaire. Il déploie ses fantasmes surréalistes dans ce lieu convenant à sa (dé)mesure. En 1975, le scénographe tchèque Joseph Svoboda incite Albert Plécy (1914-1977) à faire une mise en espace artistique aux Carrières, en utilisant ses immenses parois rocheuses comme support de projection d’images.
Un pari titanesque… Il faut en effet composer avec un espace principal d’une hauteur de neuf mètres, à  soixante mètres de profondeur et avec des piliers de cinq à dix mètres de base ! Le projet Cathédrale d’Images voit le jour en 1977, l’année où il se suicide dans le lieu même. Grâce à l’association Les Gens d’images créée en 1954 par Plécy, Lartigue et Grosset, un «son et lumière », précurseur des projections géantes, contribue aux Rencontres de la photographie d’Arles. Albert Plécy recherche une image totale et réussit à y réaliser un spectacle audiovisuel féérique d’une demi-heure qui est renouvelé tous les ans.

L’année 2012 marque l’entrée des Carrières dans le numérique, quand le site est délégué à l’entreprise Culturespaces créée en 1990 par Bruno Monnier qui va en faire Carrières des Lumières, premier centre d’art numérique immersif en France. Il l’inaugure avec Gauguin et Van Gogh, les peintres de la couleur qui sera réalisée par Gianfranco Iannuzzi, Renato Gatto et Massimiliano Siccardi. Depuis dix ans, une exposition annuelle est consacrée à un grand nom de l’histoire de l’art: Claude Monet, Auguste Renoir, Marc Chagall, Gustav Klimt, Michel-Ange, Léonard de Vinci, Raphaël, Jérôme Bosch, Peter Brueghel, Arcimboldo, Pablo Picasso, Vincent Van Gogh, Salvador Dali, Antoni Gaudi, Paul Cézanne… Avec les détails de leurs œuvres sur plus de 7.000 m2, du sol au plafond, grâce à cent vidéo-projecteurs et soixante-quatorze enceintes…

 Depuis Culturespaces a ouvert d’autres lieux d’art numérique immersif comme L’Atelier des Lumières à Paris en 2018, puis les Bassins des Lumières à Bordeaux, le plus grand centre d’art numérique au monde, l’Infinitydes Lumières à Dubaï l’an passé et a prévu l’ouverture en 2022 du Hall des Lumières à New-York, du Théâtre des Lumières à Séoul et de la Fabrique des Lumières à Amsterdam.

Venise-Klein

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Culturespaces organise une double exposition avec la Venise des peintres et le Nouveau Réalisme d’Yves Klein, entre eau et feu, paysages et corps, figuration et abstraction. Chaque événement est propice à l’expérimentation des images dans un jeu d’échelles, de transition et dialogue, qu’accompagne merveilleusement une bande-son éclectique, du classique à l’électro.Le programme long de quarante-cinq minutes consacré à Venise et réalisé par Gianfranco Iannuzzi, précurseur de ces installations depuis trente ans, nous propose un voyage à travers le temps en douze parties… L’art byzantin de la basilique Saint-Marc à Venise, les toiles crépusculaires du Tintoret, les scènes religieuses de Bellini, les panoramas de Canaletto… Mais aussi des peintures du Titien, de Véronèse, Turner, Monet, Signac, Carpaccio, Longhi, Guardi, Vicentino… Et des photos d’actrices et acteurs du cinéoréalisme italien. La sérénissime Venise apparaît dans toute sa complexité et sa splendeur! Pour Gianfranco Iannuzzi, «Les technologies multimédias avancées d’aujourd’hui m’ont permis au fil des ans, de créer et développer un environnement musical et visuel, riche, fort,immersif et interactif. Jouer sur le sensoriel, pour que le public soit au cœur des expositions numériques et se déplace dans un espace pluridimensionnel. Il devient alors lui-même partie intégrante de l’œuvre car les images sont partout. »

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Le programme court (dix minutes) consacré à Yves Klein et réalisé par l’agence Cutback met en avant ses Anthropométries,Cosmogonies, Reliefs Planétaires et ses Eponges dans une couleur bleue prédominante qu’il inventa et déposa sous la marque Klein Blue-IKB. Cet artiste niçois (1928-1962) admire le ciel méditerranéen et y trouve l’origine de son inspiration. «La peinture, dit-il, est couleur.» Couleur qu’il va chercher à libérer et à magnifier dans sa forme la plus pure. Avec lui, elle prendra une dimension spirituelle.

Dans le Paris des années cinquante, nous sommes invités à un salon d’art contemporain et participons à une performance d’Yves Klein qui s’ouvre sur un accord en ré majeur de la symphonie Monoton-Silence. Les auteurs de cette exposition immersive retracent le parcours son parcours et sa quête de l’immatériel avec ses premiers Monochromes. Imaginés pour exprimer le monde vivant de chaque couleur mais perçus par le public comme un ensemble polychrome. L’exposition évolue ensuite vers de nouveaux paysages oniriques où dansent et frémissent les feuilles d’or des Monogolds et Monopinks. Nous arrivons  ensuite  dans son atelier où ses collaboratrices, qu’il nomme ses «pinceaux vivants», se meuvent sur une toile au sol et y laissent l’empreinte de leur corps. Quand enfin le site s’embrase, ce sont des formes inédites qui jaillissent alors des murs.

Avec Yves Klein, le pouvoir destructeur du feu devient une véritable puissance créatrice. Juste avant de mourir, il confia à un ami : «Je vais entrer dans le plus grand atelier du monde. Et je n’y ferai que des œuvres immatérielles.» Hommage à cette dernière confession, le final nous emmène dans un monde presque dématérialisé. Grâce à une sélection de quatre-vingt-dix œuvres et soixante images d’archives, Yves Klein, l’infini bleu offre une immersion totale dans la matière et la sensibilité de  cet artiste, sur les sonorités de Vivaldi ou les rythmes de la musique électro de Thylacine.

Sébastien Bazou

Venise, la sérénissime et Yves Klein, l’infini bleu, du 4 mars, au 2 janvier, aux Carrières des Lumières , Les Baux-de-Provence ( Bouches-du-Rhône). https://www.carrieres-lumieres.com

 

Adieu Michel Vinaver

Adieu Michel Vinaver

Portrait par Antoine Vitez de son ami Michel Vinaver

Portrait par Antoine Vitez de son ami Michel Vinaver

«Cet été-là au festival d’Avignon encore sous le règne de Jean Vilar, nous dit notre amie Christine Friedel, nous le croisions dans les rues avec l’un ou l’autre de ses confrères. Il se cachait sous une perruque de cheveux longs, mise de travers sans aucun effet d’illusion mais signifiant  pour lui: perruque. Autrement dit: « Moi, ici, je vis sous une fausse identité, déguisé en artiste, laissant à la maison, celle (on peut dire antagonique) du patron de la société Gillette-France de 66 à 82. Quelques-uns avaient vu sa ou ses pièces. Et nous étions assez jeunes pour être intimidés, une timidité accrue par celle de l’auteur. Mais nous savions tous déjà que Michel Vinaver était, et serait un auteur important. »

Le père d’Anouk Grinberg avait quatre vingt-quinze ans et est mort, hier 1er mai. Un symbole pour cet auteur qui resta aussi cadre et ensuite P.D.G. de Gillette-France de 66 à 82. Il faut bien nourrir une famille… Mais il connaissait parfaitement les rouages comme les dérives du système capitaliste. Quand, il y a quelques années, il reçut le Grand prix de littérature dramatique pour Bettencourt Boulevard, nous nous souvenons qu’il avait remercié en expliquant brillamment et presque sans notes, sa passion -depuis quelque soixante ans!-  pour l’écriture théâtrale.
Vocation précoce: à huit ans, il écrit en effet sa première pièce avec pour thème, un conflit entre fruits et légumes et, à vingt-huit, il suit un stage national pour amateurs sur Ubu Roi dirigé par le metteur en scène Gabriel Monnet qui lui demande d’écrire une pièce. Ce sera Les Coréens que monteront l’année suivante, excusez du peu, Roger Planchon à Villeurbanne, puis Jean-Marie Serreau à Paris. Brillants début…, puis il écrit Les Huissiers et Iphigénie Hôtel qui furent créées, l’une …vingt-trois ans après par Gilles Chavassieux à Lyon et l’autre en 75, par Antoine Vitez à Paris

En 69, il écrit Par-dessus bord, une pièce-fleuve avec soixante personnages que Roger Planchon monte en 73 dans une version abrégée. Puis elle sera mise en scène dans son intégralité dix ans plus tard par Charles Joris, ensuite par Christian Schiaretti en 2008. Les années soixante dix à quatre vingt deux seront fécondes avec La Demande d’emploi -dont le personnage principal est un cadre au chômage-, Dissident il va sans direNina c’est autre chose. Et Les Travaux et les Jours, une pièce sur le service après-vente d’une société de moulins à café… Puis ce fut A la Renverse et L’Ordinaire le président d’une multinationale, son épouse, sa secrétaire et quatre vice-présidents survivent à un accident d’avion en Amérique du Sud. Ces  œuvres furent créées à Paris par de très bons metteurs en scène comme Jean-Pierre Dougnac, Jacques Lassalle ou  Alain Françon… En 88, on lui proposa -et il accepta- d’être professeur d’études théâtrales à l’Université Paris VIII.
Elisabeth Naud, notre amie et collaboratrice du Théâtre du Blog, se souvient avec émotion de son enseignant: » C’était quelqu’un d’une grande générosité.
Dans la transmission du savoir, il instaurait un vrai rapport d’échange, responsable et confiant, entre lui et les étudiants. Un bel engagement pour un écrivain reconnu. J’ai suivi son atelier d’écriture et son cours sur La Parole et l’action, où nous devions analyser des extraits de textes de théâtre à partir de sa méthode*. Il nous avait tous invités à la première du Temps et La Chambre, une pièce de Botho Strauss qu’il avait traduite et que Patrice Chéreau avait montée à l’Odéon. La même année, il écrit L’Émission de télévision, une pièce qui sera créée par Jacques Lassalle. Il a été jusqu’à sa mort, très à l’écoute des bruits du monde. J’ai pu encore parler récemment avec lui à la Maison de la Poésie et il était évidemment accablé par la situation en Ukraine. »

Michel Vinaver, qui avait aussi le génie des titres, signa enfin Bettencourt Boulevard ou une Histoire de France. Il en avait d’abord fait un lecture debout pendant deux heures (à quatre vingt-huit ans!) au Conservatoire National. La pièce fut ensuite montée avec succès il y a huit ans au T.N.P., à Villeurbanne, par Christian Schiaretti (voir Le Théâtre du Blog). Au menu: sombres jalousies dans cette famille qui, un temps, défraya la chronique: procès, magouilles en tout genre et corruptions variées. Avec dix-sept personnages, dont certains vivants comme un certain Nicolas Sarkozy, nerveux et bourré de tics. Ou François-Marie Bannier, photographe et écrivain, au centre d’un imbroglio juridique pas très reluisant où il aurait bénéficié de nombreux millions d’euros cadeau offert par la milliardaire Liliane Bettencourt, la fille d’Eugène Schueller… Une image parfois à la limite du théâtre de boulevard et en trente scènes de la France actuelle, avec toute ses contradictions. Mais, aussi moins récentes  comme celle où trois jeunes Français visitent l’Allemagne en 1939 juste avant la deuxième guerre mondiale: François Mitterrand, André Bettencourt et François Dalle qui fut le P. D.G. de la société L’Oréal, fondée par Eugène Schueller, le fameux inventeur en 1907 de teintures chimiques pour cheveux. Il aida financièrement un groupe d’extrême droite, la Cagoule… avant d’être blanchi, avec l’aide d’un certain François Mitterrand alors rédacteur en chef du magazine de son entreprise. Vous avez dit conflit d’intérêt? Et dans les années cinquante, l’Oréal inventa les fameux shampoings-berlingots Dop aux couleurs acidulées. Ce n’est sans doute pas la meilleure pièce de Michel Vinaver mais Bettencourt Boulevard ou une Histoire de France, en phase avec son époque, le fit connaître à un plus large public.
Un singulier parcours, que celui de ce dirigeant d’entreprise qui réussit à écrire plusieurs bonnes pièces sur la société de son temps. Avec, à la fois, une sorte de légèreté apparente, une profondeur et un savoir-faire dont les meilleurs metteurs en scène français surent tirer parti.

Christine Friedel et Philippe du Vignal

Cérémonie le vendredi 6 mai, à 11 heures, au Théâtre de la Colline, 15 rue Malte Brun, Paris (XX ème)  arrondissement.

*Écrits sur le théâtre
, Éditions de l’Aire, 1982 ; nouvelle édition : Écrits sur le théâtre I, L’Arche Éditeur, 1998. Écrits sur le théâtre II, L’Arche Éditeur, 1998.

Le Théâtre complet I et II de Michel Vinaver est publié aux éditions Actes-Sud.

 

 

 

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