Vernon Subutex 1, d’après le roman éponyme de Virginie Despentes, mise en scène de Thomas Ostermeier (en allemand, surtitré en français)
L’adaptation ou la réécriture d’œuvres romanesques n’est pas d’hier avec les tragédies grecques greques d’après L’Iliade et L’Odyssée, ou les pièces de Shakespeare à partir d’anciennes légendes. Et plus près de nous des metteurs en scène comme Jacques Copeau, Charles Dullin, Jean-Louis Barrault. Ou récemment Krystian Lupa ou Tadeusz Kantor ont travaillé sur des romans. Et l’œuvre maintenant bien connue de Virginie Despentes a fait plusieurs fois l’objet d’adaptations théâtrales comme King Kong Théorie remarquablement mise en scène avec de petits moyens par Emmanuelle Jaquemard (voir Le Théâtre du Blog). L’autrice elle-même avec Coralie Trinh Thi avait adapté Baise-moi (2001) pour le cinéma. Et Vernon Subutex a aussi fait l’objet d’une série sur Canal +.
Reste à porter à la scène le tome I de cette trilogie- le huitième roman de l’autrice : comment prendre en charge les descriptions ou trouver de nouvelles modalités pour exprimer toute la violence d’un récit comme celui-ci, voire l’actualiser pour imposer une écriture scénique complète correspondant à celle de l’œuvre initiale. Et cela d’autant plus que Virginie Despentes ne semble pas y avoir participé… Certains romans semblent mieux s’y prêter comme Balzac, dont récemment Pauline Bayle a réécrit et mis en scène un remarquable IIlusions perdues.
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Ici, Thomas Ostermeyer a essayé de transposer sur une scène la fascination qu’ont ses personnages pour Eros et Thanatos avec à la clé: sida, aventures sexuelles et drogues multiples. Dont Vernon au prénom en référence à un des pseudonymes de Boris Vian, et Subutex à un médicament pour traiter la dépendance à l’héroïne. Il y a aussi en filigrane la peinture d’une grave crise sociale en Europe dans les années 2000, où les pauvres devenaient vite facilement des SDF. Mais cela a aussi perduré…
Sur un grand plateau tournant (un des marques de fabrique du metteur en scène allemand) un praticable construit en fer avec plusieurs passerelles, deux escaliers, un écran pour projections vidéo brouillées de Paris la nuit avec images en boucle de Pigalle, enseignes lumineuses, filles faisant le trottoir et périphériques avec milliers de voitures mais aussi immeubles haussmaniens. Le tout aussi diffusé sur une douzaine de petits téléviseurs cubiques gris entassés sur un des côtés et retransmettant les mêmes images mais en noir et blanc. Pour dire le Paris de cette époque mais sans trop insister. Et selon les épisodes, un long canapé en cuir, un vieux matelas où dormira quelques nuits Vernon Subutex, qui après trois mois de loyers impayés, a été expulsé, un bar de boîte nocturne, etc. Les quatre musiciens-chanteurs, comme les images vidéo à chaque tour de plateau tournant, accompagnent systématiquement le texte à la guitare électrique et au synthé, ce qui finit par devenir lassant.
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Au-dessus de la scène, une enseigne en tubes fluo blanc tourne aussi sur elle-même, obsédante celle d’un grand revolver comme le nom que portait la boutique de Vernon Subutex, un disquaire d’une cinquantaine d’années dont l’activité a été mise à mal par l’arrivée du numérique. Et nous allons assister à la dérive puis à la descente aux enfers de ce Vernon Subutex. Il raconte qu’il revient du Canada sans un sou et réussit à se faire héberger par les copains de temps à autre. Et à la fin dans une scène sublime, il dort sur un trottoir. Les autres personnages comme cet ancien scénariste mal dans sa peau, des machos de banlieue, etc. sont, eux, moins bien cernés.
Thomas Ostermeier fait alterner sur ce plateau tournant des airs de musique punk rock jusqu’à saturation, des monologues (parfois longuets!) ou de courts dialogues mais aussi des images mixées de la vie nocturne parisienne. Et il y a bien sûr trois écrans pour les surtitrages. Mais comme tout chez lui est d’une rare virtuosité… et qu’il dispose des moyens de la Schaubühne à Berlin, nous nous laissons prendre. Et il y a ses formidables acteurs dont Joahim Meyerhoff qui EST Vernon Subutex impeccablement dirigé.
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Mais la mise en scène est ici beaucoup trop sage et appliquée, malgré la saturation de la musique rock. Bref, Thomas Ostermeier se contente le plus souvent de montrer des images mais la relation musique scène-images vidéo ne fonctionne pas bien. D’autant qu’il nous faut aussi lire les surtitrages… Soit un surplus d’informations sur plus de quatre heures ce qui fait beaucoup- et nuit à ce spectacle par ailleurs superbement réalisé.
En fait, le metteur en scène a bien du mal à traduire le mal-être, le côté glauque, la sexualité et la violence parcourant le texte de Virginie Despentes qui ne mâche pas ses mots.: « On peut tout se permettre avec les gros. Leur faire la morale à la cantine, les insulter s’ils grignotent dans la rue, leur donner des surnoms atroces, se foutre d’eux s’ils font du vélo, les tenir à l’écart, leur donner des conseils de régime, leur dire de se taire s’ils prennent la parole, éclater de rire s’ils avouent qu’ils aimeraient plaire à quelqu’un, les regarder en faisant la grimace quand ils arrivent quelque part. On peut les bousculer, leur pincer le bide ou leur mettre des coups de pied : personne n’interviendra. » (…) « Son fils est de droite. Elle a d’abord pensé que c’était uniquement pour l’emmerder mais elle a fini par en convenir : les jeunes gens intelligents ne sont plus systématiquement de gauche. »Et c’était sans doute au départ un mauvais choix.
Tout ici est très soigné y compris dans les accessoires, et les costumes, comme celui de Vernon Subutex de plus en plus délabré. Ou, dans cette scène de bar de nuit avec celui d’une ancienne star du porno en gaine et cuissardes en plastique noir brillant. Mais c’est toujours la même histoire: comment faire passer l’essentiel d’un roman sur un plateau de théâtre.Thomas Ostermeyer, malgré l’invention de belles images, n’a pas vraiment réussi son coup et a bien du mal à faire progresser son récit, malgré encore une fois, un solide travail scénique et de direction d’acteurs. Et les personnages, à part celui de Vernon Subutex, sont plutôt des silhouettes auxquelles il est difficile de s’attacher…Il manque en fait ici presque toute la chair du premier tome de ce roman.
Le public -d’un âge certain- semblait ravi de découvrir le climat sulfureux des textes de Virginie Despentes, mais il y avait très peu de jeunes spectateurs. Comme il se passe toujours quelque chose sur scène, nous regardons avec plaisir cette suite de mini-scènes, au moins dans la première partie de ces quatre heures. Nous avons moins apprécié les vidéos assez conventionnelles et la musique censée soutenir tout le spectacle, tout aussi conventionnelle. Et après l’entracte, la suite, toujours aussi bien réalisée, a le souffle court et nous a paru bien longue… Il manque ici, malgré les apparences, toute la violence et la vie de ce qui fait l’intérêt du premier tome de cette trilogie (les autres sont moins intéressants).
A voir? Oui, pour les professionnels et les jeunes acteurs qui apprécieront le jeu exceptionnel de Joahim Meyerhoff et de ses camarades. Mais le public lui, risque d’être déçu. Thomas Ostermeier a eu du mal à traduire le climax du roman, tout comme celui de Retour à Reims de Didier Eribon ou Histoire de la violence d’ Edouard Louis (voir Le Théâtre du Blog). Il est visiblement plus à l’aise avec de grandes pièces classiques, comme entre autres La Maison de poupée d’Ibsen ou son formidable Richard III de Shakespeare … ou Les Démons de Lars Noren.
Philippe du Vignal
Jusqu’au 26 juin, Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris (VI ème). Tél. : 01 44 85 40 40. (surtitrage en anglais, le 25 juin).
La trilogie de Vernon Subutex est éditée chez Grasset.