Rouler des pelles au néant de et avec Lucas Hérault, collaboration artistique de Nadia Vadori-Gauthier
Rouler des pelles au néant, de et avec Lucas Hérault, collaboration artistique de Nadia Vadori-Gauthier
«Ce qu’il y a de beau dans le monde, dit ce jeune auteur-acteur, est la différence de points de vue. Le problème : on peut s’enfermer dans une pensée unique, binaire et déconnectée de nos corps. On en viendrait à avoir peur de vivre et de penser par nous-mêmes. La connexion au corps et à la pensée nous permet de dire «non» à ces injonctions, pour nous relier à la puissance de nos vies. »
Sur le petit plateau nu, trois chaises de bistrot en bois; dans le fond, une peluche de gros chat noir qu’il confiera par deux fois à un spectatrice au premier rang. Et soigneusement pliés, des pulls ou gilets souvent curieux de forme et de couleurs qu’il enfilera au fur et à mesure. En une heure pile, Lucas Hérault, seul en scène, réussit à créer des personnages mais aussi un univers à la fois physique et mental des plus étonnants fondé sur une remarquable gestuelle avec juste quelques gromelots et phrases déjantées du type: «Je suis complètement beau. » « Ce qui compte, c’est la matière ». « Si tu n’as pas un bon bois, tu as un meuble de merde. «Moi, ce que j’aime, c’est les belles lignes. » Et cette absurde injonction : « Rouler des pelles au néant » une courte phrase qui a donné son titre à ce spectacle hors-normes. Il y a ainsi entre autres un dialogue muet avec deux personnages assis Louis et Natacha ou il incarne en quelques minutes un garçon de café qui n’arrête pas de virevolter entre les tables, son plateau ( invisible) à la main. Ou un beau jeune homme séducteur dans un bal. Ou encore une jeune femme….Toujours sans autres accessoires ou partenaires que ces trois chaises en bois.
Lucas Hérault a un passé d’apprenti dans la restauration qu’il ne renie pas. Cela dit-il, lui a donné le sens du spectacle mais aussi de la relation à l’autre. Et il a surtout une solide formation en danse et mime à l’E.S.A.D. à Paris sous la direction de Jean-Claude Cotillard. Puis il y a dix ans, il a été élève-comédien à la Comédie-Française et a joué dans L’Anniversaire d’Harold Pinter mis en scène par Gilles David. Et il a joué dans Bouvard et Pécuchet, un spectacle de Jérôme Deschamp, puis il a aussi travaillé avec Arthur Deschamps.
Et il suffit de le voir entrer en scène pour deviner qu’il a une véritable fascination et un appétit pour le burlesque des grands Américains du cinéma muet comme Buster Keaton dont il emprunte le regard, Harold Lloyd pour son extraordinaire souplesse ou Tex Avery avec Bugs Bunny le lapin désinvolte dont il a parfois la nonchalance ou Droopy, le fameux chien apathique. Mais aussi Charlie Chaplin pour son envie de vivre malgré tous les obstacles et sa remarquable aptitude à «exprimer des émotions avec ses mains et son visage». Et il a été influencé par Pierre Desproges et Raymond Devos pour leur travail sur la truculence du langage et sans doute aussi Louis de Funès pour la grande mobilité du visage.
Dénominateur commun essentiel: un long travail sur le corps pour arriver à provoquer le rire. Comme tous les personnages des créateurs du cinéma muet, Lucas Hérault balade sa solitude -muette aussi ou presque- quand il en crée plusieurs sur ce petit plateau, avec une remarquable maîtrise du temps et de l’espace. Aucun temps mort, un rythme constant et la dernière image -très soignée- est de toute beauté: il recule avec son gros chat noir dans les bras, tout en regardant fixement le public. C’est rien et c’est tout. Cette belle création hors-normes s’est jouée neuf fois, seulement le mercredi et la dernière -complète- est ce soir. Mais il y aura sans doute une reprise et alors, ne la ratez surtout pas.
Philippe du Vignal
Théâtre la Flèche, 77 rue de Charonne, Paris (XI ème). T. : 01 40 09 70 40.