Une Histoire d’amour, texte et mise en scène d’Alexis Michalik

Une Histoire d’amour, texte et mise en scène d’Alexis Michalik

Justine, une jeune femme, se fait draguer par Katia qu’elle a rencontrée à un déménagement de copains. Elle n’est pas lesbienne mais va vite tomber amoureuse de Katia. Elle lui jure qu’elle ne la quittera jamais et qu’elles vont fonder une famille… Insémination artificielle pour les deux mais Katia est seule enceinte. Ensuite, vous ne savez pas quoi?  Justine a rencontré un homme, si, si! Elle en tombe amoureuse et fait donc sa valise… Adieu Katia, qui, désespérée, n’acceptera jamais cette rupture et élèvera seule sa fille.

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Douze ans plus tard -elle avait prévenu Justine des risques qu’il y avait à vivre avec elle car sa mère avait été emportée par un cancer foudroyant- Katia, elle aussi, est atteinte d’un cancer et sait qu’elle ne vivra pas longtemps.
Mais ses parents sont morts et personne dans la famille pour s’occuper de la petite fille! Braves gens, prenez vos mouchoirs et essuyez vos larmes… Katia
appelle au secours son frère William, un écrivain ou, du moins, quelqu’un qui essaye de l’être. Il a perdu sa femme dans une accident de voiture -c’est lui qui conduisait!- et noie son mal-être dans le whisky. Mais il avoue honnêtement ne pas être en mesure d’être un bon papa. Braves gens, reprenez vos mouchoirs et essuyez vos larmes…

Le cancer de Katia se généralise et l’oncologue est formel: elle a seulement quelques semaines à vivre. Et William a alors un coup de génie! Il réussit à retrouver Justine -elle s’est mariée avec un homme et a deux enfants- et elle lui demande si elle ne pourrait pas s’occuper de cette future orpheline.
Refus catégorique de la jeune femme qui consent, à la demande de William, à emmener Katia au vert: elles iront en voiture faire un tour au mont Saint-Michel… Et lui, s’occupera de la petite fille pendant quelques jours. Les rapports sont tendus car il a eu la grossièreté  de lire son journal intime mais tout va mieux, quand il lui dit qu’elle a de réels talents d’écrivaine. Bon!

Les retrouvailles sont d’abord du genre acide entre les amoureuses… d’autrefois. Justine pleurniche et dit à Katia qu’elle se sent coupable de l’avoir quittée. Et vous ne devinerez jamais la suite: elles vont se retrouver et faire à nouveau l’amour. Si, si!
Mais Justine trouve Katia inanimée dans le lit et la fait transporter d’urgence à l’hôpital du coin. C’est la fin. Braves gens, prenez encore vos mouchoirs et essuyez vos larmes… La Juge pour la protection de l’enfance la fera au chantage: si William ne boit plus et s’il se fait opérer du caillot de sang qu’il a dans le cerveau, il pourra s’occuper de l’enfant. La chirurgienne présente à côté de la Juge, fixe l’opération au lendemain (du jamais vu!) et il aura le droit de garder la petite fille qui a choisi de rester avec lui au lieu d’être aussitôt placée dans un foyer, puis dans une famille d’accueil… Ouf! Braves gens, vous pouvez ranger vos mouchoirs…

Alexis Michalik a une habileté indéniable à installer une situation tragique et très actuelle comme le cancer de Katia.  Mais les dialogues, certes bien enlevés comme on dit, sont pâlichons, sauf dans quelques rares scènes, comme celle entre William et sa nièce. Cet auteur et metteur en scène qui avait fait un tabac avec Le Porteur d’histoire et Le Cercle des illusionnistes (voir Le Théâtre du Blog)  remet au goût du jour et exploite les vieilles ficelles du mélo qui fait pleurer Margot. Situation de départ posant un grave problème (sinon il n’y aurait pas de pièce!), intrigue mouvementée et sans aucun temps mort avec les protagonistes et de nombreux personnages secondaires joués par les mêmes acteurs, multiples rebondissements ponctuant un torrent verbal.
L
e spectacle est soutenu par la musique (ici Charles Aznavour et des standards américains). Tout comme dans le mélo (musique en grec ancien) populaire au XIX ème siècle où sentiments et successions de malheurs étaient accentués et s’imposaient comme une règle de base, même si la vraisemblance n’était pas toujours au rendez-vous.
Ici, les deux  héroïnes comme la pauvre enfant, sont victimes du destin et sympathiques, le pauvre écrivain un peu moins…. Les ficelles sont plutôt des cordes et il n’y a aucune surprise: chaque petit épisode a quelque chose de téléphoné. Et on ne voit pas très bien ce que vient faire le personnage fantomatique de l’épouse disparue de William en robe rouge, qui esquisse (très mal) quelques pas de danse.

Cela se termine comme cela a commencé, par un chant choral avec Et pourtant de Charles Aznavour. Sur le plateau, tout un mobilier monté sur roulettes: canapé, chaises, bureau, rangée de sièges pour salle d’attente, meuble de cuisine avec évier et frigo, lit, voire même cuvette de w.c. en bord de scène que Katia et Justine vont utiliser mais sans toutefois enlever leur slip. Même chose quand elles font l’amour ensemble. Petite provoc? Oui, mais bon, il ne faut quand même pas choquer un public bourgeois!
Au fond du plateau des images vidéos pour situer l’action: le mur de l’appartement sale et triste de William avec pendule, ou la campagne quand Justine emmène Katia au mont Saint-Michel, etc. Ce genre de béquille ne sert strictement à rien mais ne pénalise pas non plus l’action. Il y a une erreur de mise en scène plus évidente: les scènes sont courtes, voire très courtes et les acteurs passent leur temps à faire circuler ces meubles: nous avons l’impression d’assister à un déménagement permanent en accéléré. Cela parasite le jeu et ne rend pas service aux pauvres dialogues.

Heureusement, Alexis Michalik est plus adroit que l’auteur du même nom, quand il dirige ses acteurs qui jouent (en alternance) Katia, sa petite fille, Justine, son frère écrivain et nombre d’autres personnages secondaires. Ils n’en font pas trop et sont tous crédibles. Une des jeunes filles (elles sont plusieurs, loi oblige) est aussi très juste mais, comme elle a une petite voix, on l’entend parfois mal. Bref, cette heure et demi passe lentement, surtout à cause d’une intrigue et de dialogues pas loin de Plus belle la vie… Et le public? Pas très nombreux, il a applaudi sans enthousiasme.
A vous de décider, si vous avez envie de voir cette Histoire d’amour qui ne fera pas date,  sauvée de justesse par ses interprètes… Et pour les élèves des écoles de théâtre, c’est l’occasion de voir comment plus d’un siècle après, on peut faire ressurgir le mélo comme genre dramatique. Même si bien entendu, le public très bourgeois de la Scala n’est plus du tout le même qu’à l’époque! Cela vaudrait dans doute le coup de jouer la pièce ailleurs qu’à Paris, pour voir les réactions du  public…

 Philippe du Vignal

Spectacle vu à La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème) . T. :01 40 03 44 30.

La Scala-Provence, festival d’Avignon, du 6 au 26 juillet.

Le texte de la pièce est paru en 2020 aux éditions Albin Michel.


Archive pour 4 juin, 2022

J’ai trop d’amis, texte et mise en scène de David Lescot

J’ai trop d’amis, texte et mise en scène de David Lescot

 Dans son précédent spectacle pour la jeunesse, J’ai trop peur (2014), le héros âgé de dix ans s’inquiétait pendant les grandes vacances, de son entrée en classe de sixième… Le début nous laisse quelques instants plongés dans le noir. Seuls, résonnent en voix off, des bruits, mots épars, rires et cris: la cour de récréation n’est pas loin. Dans l’obscurité, le public se sent aussitôt intégré à l’espace  de l’école et de l’amitié. Un monde lointain pour certains, encore proche pour d’autres mais à jamais gravé  dans nos mémoires.

J’ai trop d’amis est aussi le récit tumultueux des premières amours ou des pénibles embrouilles. « Basile : T’es d’accord ou pas ? Moi : Eh ! Oh, Basile ! C’est ma vie privée ! C’est un message secret, je te signale ! Comment tu sais ce qu’il y a dedans ? Tu l’as lu ou quoi ? Basile. Ben oui. Tout le monde l’a lu. Ça vient du fond de la classe. Moi : J’hallucine ! Basile. Bon, est-ce que t’es d’accord ou pas ? Moi. : D’accord pour quoi ? Basile : Ben, pour être avec Marguerite. C’est ça qu’il y a écrit sur le message non ? (Il lit.) “Est-ce que tu es d’accord pour être avec Marguerite? ” Tu vois? » Dur de voir s’effacer un secret et son espace intime glisser dans l’espace public ! Les nouveaux moyens de communication ont sans doute brisé les charmes et les tensions des premiers émois… Sur scène l’apparition soudaine de la clarté, symbole de changement, marque aussi une continuité entre J’ai trop peur et J’ai trop d’amis.
Et leurs personnages sont des caractères, au sens classique du terme. Continuité et échos se perçoivent entre les deux pièces, soulignés par la répétition dans le titre de: trop. Sur le thème du passage de l’enfance à l’adolescence, ces fictions ont chacune leur indépendance. Pourtant David Lescot n’a pas envisagé de retrouver ses personnages dans une prochaine aventure : «Au départ, je ne pensais pas du tout écrire une suite. Mais le spectacle a beaucoup tourné et tourne encore aujourd’hui. Du coup, nous avons eu envie avec le Théâtre de la Ville, d’aller plus loin avec ces personnages. Je pensais aussi aux comédiennes dont certaines ont joué la pièce des centaines de fois et à leur envie d’endosser à nouveau ces rôles dans une autre histoire. Même ressenti pour le public ! Le héros: Moi, revient pour le plus grand plaisir des jeunes et des moins jeunes. Un bon nombre d’entre eux, souhaitait faire un bout de chemin avec lui, savoir ce qu’il devenait. Rien de plus normal entre camarades de classe…  

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Sur la scène à présent éclairée, notre pré-adolescent: Moi, (rôle masculin interprété par une actrice comme tous les autres de la pièce) juché sur un module, semble bien agité ! À la fois fier et inquiet, il s’adresse à la salle. Comme pour se libérer et nous faire part de son inquiétude et de sa joie. Moi: «Alors ça y est. J’’y suis. Je suis en sixième. » Un début, touchant et très drôle où il soliloque en répétant sur tous les tons : «J’ai peur», «J’ai pas peur»,  «J’ai peur» .Comment ne pas faire le lien avec J’ai trop peur ! Mais cette fois, peur de quoi ? De l’entrée en sixième? Le collège est une micro-société où l’intimité et le social se confrontent pour le meilleur et pour le pire. Moi : « Oscar n’est pas du tout mon meilleur ami de CM2, mais c’est quand même quelqu’un de mon CM2. Il fait partie de ma vie ».

Pour Moi et son entourage, amitié, amour et solitude occupent souvent une plus large place que la joie ou le labeur d’apprendre: Moi :« Être dans la bonne sixième, ça veut dire être dans la même sixième que tes copains de CM2. ». La pièce est riche en micro-évènements et contextes comiques, romantiques: Moi«Et j’ai bien vu que la seule qui ne rigolait pas, c’était Marguerite. Mais j’ai l’’impression qu’elle m’a regardé avec un petit sourire très spécial. Et je devrais pas dire ça, mais je suis bien obligé d’avouer que… ça m’a fait plaisir. », ou violents. Expression bigarrée de cet âge,  en pleine exploration de ses désirs, à l’écoute de ses rêves et révoltes : Moi-« Et là normalement là je devrais être mort.  Mais je suis sauvé par la sonnerie de la fin de la récré.(Sonnerie.) Je me dépêche de rentrer en classe pour rester en vie, et derrière moi j’entends les autres rire et répéter à Clarence :“Cassé ! Cassé !”.

Autre pépite de ce spectacle :une  écriture et une mis en scène remarquables. Tous ces points forts de la pièce ne sauraient être aussi éblouissants sans un rythme parfait entre les différents tableaux : 1. Première heure, 2 dans la classe 3 Raconter sa rentrée 4 Elections 5 Clarence 6 Téléphone . Soit douze courtes scènes où dialogues et situations dramatiques s’entrecroisent ou se succèdent sur le thème de l’amour ou de l’amitié : Moi.« J’étais sûr que cette amitié, elle durerait toujours. Et puis je sais pas, on change de classe, on change de vie, et on n’a plus de place pour les gens d’avant. Pourtant avec ceux de ma nouvelle classe, j’ai que des galères.  Ben même.(…)» Entre les différentes séquences,  la question de la réputation, du paraître et les multiples facettes de l’adolescence avec ses découvertes et ses tourments, prennent vie sur un tempo soutenu, avec humour ou parfois brutalité. Nous découvrons le paysage subtil et très contemporain de cet âge instable, en recherche et où les illusions perdues ont parfois déjà leur place. Un moment comique parmi d’autres, l’échange entre Basile et Moi, assis en classe l’un à côté de l’autre : Basile. -« Ma grand-mère elle est norvégienne. Moi: Je sens qu’il a envie de me raconter sa vie, mais je suis déjà assez occupé comme ça avec la mienne. Basile: Pour les téléphones, t’en fais pas, c’est interdit d’en apporter au collège, mais,  comme c’est interdit de fouiller les sacs des élèves, tout le monde a un téléphone dans son sac. Moi: Je comprends rien à ce qu’il me dit, Basile. Je crois qu’il est un peu… débile. Il me demande si je suis populaire. Basile: T’es populaire, toi ou pas ? Moi: Populaire ? Qu’est-ce que ça veut dire, populaire ? »

Ce spectacle s’adresse aux jeunes comme aux adultes. En une suite de moments riches en théâtralité, il nous offre un portrait jubilatoire et émouvant de l’adolescence. Au cours des époques, cette période fragile et intense de l’existence  n’a pas eu les mêmes contours et vibrait différemment. Mais ici, l’auteur-metteur en scène ne cède jamais à la facilité, à une séduction mercantile, à une naïveté vide de sens ou à la caricature. Dans cette réalisation avec une scénographie simple mais très astucieuse de François Gautier-Lafaye, la poésie rayonne sans masquer une lucidité impitoyable, consciente des dérives d’aujourd’hui, « C’est fou, des enfants de douze ans perçoivent des sommes énormes pour être influenceurs sur des réseaux sociaux.» dit  cet auteur-metteur en scène qui travaille avec minutie tel un artisan, l’agencement des situations, et tel un musicien, le maniement des mots. Il façonne à travers son écriture, les multiples visages de la jeunesse actuelle. Écrivain, musicien et homme de théâtre, il met en scène avec une perception profonde et contemporaine, ses personnages pleins de vie, traversés par le printemps de leur existence. Dans toute sa splendeur, joyeuse ou mélancolique !

Nous avons vu le spectacle, la veille de la cérémonie des Molières. Quelle heureuse nouvelle d’apprendre le lendemain sa récompense: Prix jeune public »!  David Lescot avait déjà reçu en 2008 le Grand prix de littérature dramatique et l’année suivante, le Molière de la Révélation du théâtre de l’enfance.

Elisabeth Naud

 Jusqu’au 7 juin, Espace Cardin-Théâtre de la Ville, 1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème).

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