Le Bonheur (n’est pas toujours drôle), d’après trois films de Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Pierre Maillet

Le Bonheur (n’est pas toujours drôle), d’après les films de Rainer Werner Fassbinder : Le Droit du plus fort, Maman Kusters s’en va au ciel, et Tous les autres s’appellent Ali, mise en scène de Pierre Maillet

Cela commence fort, à la foire comme si on y était, avec un Pierre Maillet en meneur de jeu, on ne dira pas : plus vrai que nature ,mais à la hauteur de ces talentueux bonimenteurs qui manipulent les foules en quête de bonheur. Allez ! Une bouteille de mousseux ! Une pomme d’amour !  Mais de ce bonheur-là, Franz, dit Fox, est chassé. Le voilà chômeur, puis chanceux : il a gagné le gros lot ! Et l’amour en même temps pour un Max qui le conduit à Eugen… et à sa perte. Le titre: Le Droit du plus fort. Et le droit, c’est le fait. Avec pour cette première partie, comme  fil conducteur, une série d’entourloupes: Franz, se fera entièrement dépouiller par son amoureux. Et pas une minute perdue dans cette lutte des classes, bien sûr gagnée par le bourgeois.

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Un geste inapproprié : le prolo doit apprendre les «bonnes manières » (bonnes pour qui ? Toujours les mêmes), un détail de vêtement  et surtout une marche infranchissable : Fox ne sera jamais «en haut» et pour avoir osé essayer, sera jeté au ruisseau, dépossédé de tout ce qu’il a.
Le spectacle aurait pu s’arrêter là et nous aurions été comblés: mise en scène forte et rapide qui va  à l’essentiel, interprètes parfaits, décor simple et fonctionnel avec cette marche.

Mais Pierre Maillet et son équipe ont eu raison de continuer. Si profonde soit cette première pièce, les scénarios suivants viennent lui en donner plus encore. Cette trilogie est emblématique de la force des textes de Rainer Werner Fassbinder. Chose simple et rare, il donne une place centrale aux perdants.
Dans Maman Kusters s’en va au ciel, nous passons des minuscules tensions internes dans une famille petite bourgeoise, à la tragédie… « Un employé de l’usine, devenu fou après son licenciement, se suicide après avoir tué le fils du patron » ! L’article de presse tombe sur la tête de Maman Kusters : le fou, c’est son mari! Et la meute des paparazzis poursuivra cette veuve, jusqu’à la tombe de son époux et sa fille jusqu’au cabaret où elle chante (bien) heureuse de récupérer un brin de notoriété frelatée. Un journaliste insinuera qu’elle a trahi, un couple de communistes l’amènera à adhérer et enfin un « activiste » l’entraînera dans la mort.

Règle : celui qui est né perdant, doit perdre, même s’il lutte. Ici, nous verrons les deux fins du film, l’une cruelle et logique et l’autre; édulcorée pour le public nord-américain. Le dramaturge admirait Douglas Sirk et n’allait pas refuser le  mélo, art populaire par excellence, même s’il pratique la dialectique brechtienne.

En troisième partie, une adaptation de Tous les autres s’appellent Ali prend une forme surprenante que… nous ne dévoilerons pas. Les enchaînement d’une histoire à l’autre sont une totale réussite et il n’ y a aucune interruption du récit, puisque cette mise en scène relie entre eux ces personnages marginalisés et exclus.
Emmi, la soixantaine, rencontre Ali, un jeune travailleur marocain dans un bistrot où elle s’est abritée de la pluie. Il ne s’appelle pas Ali.  Mais, comme dit L’Affiche rouge, le célèbre poème d’Aragon : «L’affiche qui semblait une tache de sang/Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles/Y cherchait un effet de peur sur les passants.» Et l’Allemagne des années soixante-dix préfère le nom générique d’Ali. Accueil sincère et vraie rencontre : ils se marient, cela ne va pas de soi… Mais ils auront essayé de s’en sortir, en luttant contre le mépris et le scandale familial.

Cette dernière partie parachève le spectacle en liberté mais dans une forme toujours aussi rigoureuse. Acteurs parfaits, jeu sans fioritures ni tralala psychologique, avec plus d’humour peut-être que Rainer Werner Fassbinder ne pouvait s’en autoriser. Avec aussi autant d’émotion qu’il en faisait passer, de vrais moments de tendresse. Donc, chapeau à Arthur Amar, Valentin Clerc, Alicia Devidal, Luca Fiorello, Pierre Maillet, Thomas Nicolle, Simon Terrenoire, Elsa Verdon, Rachid Zanouda. Efficaces et bien aidés dans leur jeu et leur construction d’un type, par les maquillages et perruques de Cécile Kretchmar.
Mention spéciale à cette reine du jeu, irremplaçable dans les rôles de Maman Kusters et d’Emmi : la virtuose Marilu Marini avec une humilité et une sincérité remarquables. Le spectacle lui doit une grande part de sa poésie. Un théâtre tel qu’on l’aime, fort en goût, costaud et exact dans sa forme. Accord parfait avec un propos qui n’a pas vieilli. Le temps a simplement accordé au metteur en scène le droit à un humour que se refusait l’auteur, trop pressé, trop indigné. Nous en redemandons…

Christine Friedel

Jusqu’au 11 juin., Le Monfort, rue Brancion (Paris XV ème) T. : 01 56 08 33 88.


Archive pour 9 juin, 2022

Le Bonheur (n’est pas toujours drôle), d’après trois films de Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Pierre Maillet

Le Bonheur (n’est pas toujours drôle), d’après les films de Rainer Werner Fassbinder : Le Droit du plus fort, Maman Kusters s’en va au ciel, et Tous les autres s’appellent Ali, mise en scène de Pierre Maillet

Cela commence fort, à la foire comme si on y était, avec un Pierre Maillet en meneur de jeu, on ne dira pas : plus vrai que nature ,mais à la hauteur de ces talentueux bonimenteurs qui manipulent les foules en quête de bonheur. Allez ! Une bouteille de mousseux ! Une pomme d’amour !  Mais de ce bonheur-là, Franz, dit Fox, est chassé. Le voilà chômeur, puis chanceux : il a gagné le gros lot ! Et l’amour en même temps pour un Max qui le conduit à Eugen… et à sa perte. Le titre: Le Droit du plus fort. Et le droit, c’est le fait. Avec pour cette première partie, comme  fil conducteur, une série d’entourloupes: Franz, se fera entièrement dépouiller par son amoureux. Et pas une minute perdue dans cette lutte des classes, bien sûr gagnée par le bourgeois.

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Un geste inapproprié : le prolo doit apprendre les «bonnes manières » (bonnes pour qui ? Toujours les mêmes), un détail de vêtement  et surtout une marche infranchissable : Fox ne sera jamais «en haut» et pour avoir osé essayer, sera jeté au ruisseau, dépossédé de tout ce qu’il a.
Le spectacle aurait pu s’arrêter là et nous aurions été comblés: mise en scène forte et rapide qui va  à l’essentiel, interprètes parfaits, décor simple et fonctionnel avec cette marche.

Mais Pierre Maillet et son équipe ont eu raison de continuer. Si profonde soit cette première pièce, les scénarios suivants viennent lui en donner plus encore. Cette trilogie est emblématique de la force des textes de Rainer Werner Fassbinder. Chose simple et rare, il donne une place centrale aux perdants.
Dans Maman Kusters s’en va au ciel, nous passons des minuscules tensions internes dans une famille petite bourgeoise, à la tragédie… « Un employé de l’usine, devenu fou après son licenciement, se suicide après avoir tué le fils du patron » ! L’article de presse tombe sur la tête de Maman Kusters : le fou, c’est son mari! Et la meute des paparazzis poursuivra cette veuve, jusqu’à la tombe de son époux et sa fille jusqu’au cabaret où elle chante (bien) heureuse de récupérer un brin de notoriété frelatée. Un journaliste insinuera qu’elle a trahi, un couple de communistes l’amènera à adhérer et enfin un « activiste » l’entraînera dans la mort.

Règle : celui qui est né perdant, doit perdre, même s’il lutte. Ici, nous verrons les deux fins du film, l’une cruelle et logique et l’autre; édulcorée pour le public nord-américain. Le dramaturge admirait Douglas Sirk et n’allait pas refuser le  mélo, art populaire par excellence, même s’il pratique la dialectique brechtienne.

En troisième partie, une adaptation de Tous les autres s’appellent Ali prend une forme surprenante que… nous ne dévoilerons pas. Les enchaînement d’une histoire à l’autre sont une totale réussite et il n’ y a aucune interruption du récit, puisque cette mise en scène relie entre eux ces personnages marginalisés et exclus.
Emmi, la soixantaine, rencontre Ali, un jeune travailleur marocain dans un bistrot où elle s’est abritée de la pluie. Il ne s’appelle pas Ali.  Mais, comme dit L’Affiche rouge, le célèbre poème d’Aragon : «L’affiche qui semblait une tache de sang/Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles/Y cherchait un effet de peur sur les passants.» Et l’Allemagne des années soixante-dix préfère le nom générique d’Ali. Accueil sincère et vraie rencontre : ils se marient, cela ne va pas de soi… Mais ils auront essayé de s’en sortir, en luttant contre le mépris et le scandale familial.

Cette dernière partie parachève le spectacle en liberté mais dans une forme toujours aussi rigoureuse. Acteurs parfaits, jeu sans fioritures ni tralala psychologique, avec plus d’humour peut-être que Rainer Werner Fassbinder ne pouvait s’en autoriser. Avec aussi autant d’émotion qu’il en faisait passer, de vrais moments de tendresse. Donc, chapeau à Arthur Amar, Valentin Clerc, Alicia Devidal, Luca Fiorello, Pierre Maillet, Thomas Nicolle, Simon Terrenoire, Elsa Verdon, Rachid Zanouda. Efficaces et bien aidés dans leur jeu et leur construction d’un type, par les maquillages et perruques de Cécile Kretchmar.
Mention spéciale à cette reine du jeu, irremplaçable dans les rôles de Maman Kusters et d’Emmi : la virtuose Marilu Marini avec une humilité et une sincérité remarquables. Le spectacle lui doit une grande part de sa poésie. Un théâtre tel qu’on l’aime, fort en goût, costaud et exact dans sa forme. Accord parfait avec un propos qui n’a pas vieilli. Le temps a simplement accordé au metteur en scène le droit à un humour que se refusait l’auteur, trop pressé, trop indigné. Nous en redemandons…

Christine Friedel

Jusqu’au 11 juin., Le Monfort, rue Brancion (Paris XV ème) T. : 01 56 08 33 88.

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