Les enjeux locaux dans une culture globalisée à l’Abbaye d’Ambronay

Les enjeux locaux dans une culture globalisée au Centre culturel de Rencontre de l’Abbaye d’Ambronay

Une réunion de ces Centres culturels de rencontre s’est récemment tenue à Ambronay autour du thème: « Jeunes créateur.trice.s et insertion professionnelle: entre mobilité européenne et circuits courts ». Les C.C.R. ont été imaginés par Jacques Rigaud, Jean Salusse et Jacques Duhamel en 1972, sur le modèle des Maisons de la Culture créés par André Malraux quand il était ministre des Affaires Culturelles. Le but: donner une vie culturelle, artistique à des monuments historiques qui n’ont plus leur fonction première. Ces centres  -six à l’origine-  sont à vocation patrimoniale et culturelle et forment aujourd’hui un réseau hexagonal, européen et mondial de trente-huit membres, animé par l’Association des Centres Culturels de Rencontre .Les derniers nés : à Ouidah (Bénin) et à Pioggiola, (Haute-Corse) avec le projet de l’A.R.I.A. :Théâtre et Nature.

© ccr Ambronay

©ccr ambronay

L’abbaye bénédictine d’Ambronay (Ain), fondée au Xl ème siècle, a été désacralisée à la Révolution, puis classée monument historique. Enfin, connue pour avec son festival de musique baroque. en 2003, elle a été labellisée: C.C.R.  Isabelle Battioni, nommée il y a peu directrice, nous invite à partager les préoccupations qui traversent actuellement le monde artistique à l’heure des méfaits climatiques et économiques dus à la globalisation.  Elle souhaite créer des passerelles avec d’autres disciplines artistiques et des lieux culturels voisins : «Le C.C.R. d’Ambronay sera un lieu d’hospitalité pour les ensembles de musiciens, les enseignants de la région Auvergne Rhône-Alpes et des espaces limitrophes, et pour les ensembles amateurs, en particulier ceux du département. Je compte développer les partenariats en Région et sur les bassins de vie.»

Pour souligner cette volonté d’explorer le patrimoine local, lors de la première journée, une partie des invités s’est rendue au Musée des Soieries Bonnet de Jujurieux. Un parcours en vélo, parmi les champs de blé et d’orge. Dans cette vallée du Bugey, que se disputèrent longtemps le Dauphiné et la Savoie avant qu’elle ne soit rattachée à la France au XVIl ème siècle, cette fabrique a été fondée en 1810 par un soyeux lyonnais. Et elle fut la première usine-pensionnat de textile installée à la campagne.

_DSC9623_DxO_Les_Rencontres_d_Ambronay_PFUE_200522_y

©_Bertrand_PICHENE-CCR_Ambronay

Une exposition présente le travail des treize mille jeunes filles qui ont séjourné dans ce couvent industriel jusqu’en 1940, sous la gouverne des sœurs de Saint-Joseph. L’usine malgré la crise du textile a, de père en petits-fils, maintenu ses activités en les diversifiant, jusqu’en 2011. Devenue un monument historique, elle accueille des artistes, des metteurs en scène de théâtre et des musiciens. Souvent en complicité avec l’Abbaye d’Ambronay qui enregistre les disques de son label dans la chapelle qui possède une acoustique exceptionnelle. Un bel exemple de coopération…

La visite guidée des locaux par le directrice Nathalie Foron-Dauphin a été suivie d’un concert par deux jeunes flûtistes. Issues du Conservatoire national supérieur musique et danse de Lyon, elles ont entrepris une tournée en vélo, soucieuses, comme de nombreux artistes, de diffuser leurs créations sans asphyxier la Planète. Répondant à la préoccupation des nouvelles générations et parmi les soieries et brocarts, les métiers à tisser dont certains fonctionnent encore, le philosophe néerlandais Errol Boon nous livra ses réflexions sur l’opposition, pour lui contestable, entre global et local.

Pour sortir de cette dialectique binaire, il avance la notion de trans-local, prenant pour exemple… les soieries Bonnet dont la qualité leur assura un rayonnement international. Mais selon lui, l’internationalisation comme promesse de coopération entre « citoyens du monde » n’a pas répondu aux espoirs d’un village global où tous vivraient heureux. Au contraire, la globalisation a repoussé à la périphérie la majorité des humains et tend à une reproduction généralisée des structures de pouvoir. La fin des frontières est un leurre, car aujourd’hui protectionnisme  nationalismes se trouvent renforcés. 

Errol Boon :  » Dans le monde culturel, il y a en réaction deux tendances: les artistes qui veulent tirer profit de la globalisation et d’autres qui veulent revenir au local, comme ceux que nous avons rencontrés. Ils cherchent plutôt une synthèse entre leurs ambitions internationales et leurs activités locales. Avec cette notion de trans-local, nous nous référons à des activités artistiques qui s’orientent vers l’ailleurs tout en s’ancrant dans le territoire (…) Le trans-local transcende les limites du local sans entrer dans le monde global. On repense ce local dans son rayonnement, en créant des œuvres accessibles aussi bien ici qu’ailleurs. La question reste ouverte : comment dépasser les limites de son territoire sans perdre son ancrage? Comment utiliser la richesse de l’histoire locale comme source d’inspiration ? Comment mettre en place des échanges internationaux, sans reproduire les rapports de domination et en protégeant le climat et la Planète ? »`

 Le lieu patrimonial est, dit-on, le lieu culturel le plus partagé sur un territoire et permet de rééquilibrer localement l’action culturelle. On le pense passéiste et pétrifié mais les C.C.R. sont, pour la plupart, des laboratoires qui se donnent pour mission de relier l’histoire séculaire, au présent.

 Mireille Davidovici

 Le 20 mai, abbaye Notre-Dame d’Ambronay, Place de l’abbaye, Ambronay (Ain). T. 04 74 38 74 00.

 Du 10 septembre au 3 octobre, Festival du musique baroque d’Ambronay

Prochaines Rencontres de l’A.C.C.R. sur le thème:  les droits culturels, les communautés patrimoniales et l’hospitalité
Château de Goutelas (Loire) , du 12 au 14 décembre


Archive pour 15 juin, 2022

Nosztalgia express, texte et mis en scène de Marc Lainé

Nosztalgia express , texte et mise en scène de Marc Lainé

Un certain Victor Zellinger qui a été détective privé pendant trente ans, nous raconte comment il a été associé à une enquête difficile sur l’affaire Simone Valentin, une affaire qui l’a marqué à vie. Le 4 novembre 1956, cette Simone Valentin et Daniel son fils de dix ans, prennent un train pour Strasbourg. Nous les voyons dans un petit film très réussi, seuls dans un compartiment.  Puis un homme vient s’asseoir avec eux. Assez indiscret, il cherche le contact avec mais elle se méfie de lui. Il lui dit qu’il l’a connue mais ses propos sont du genre confus. Il roule les r et a un accent slave prononcé. Peut-être est-il russe ou d’un pays de l’Est. Bizarrement, il lui déconseille de poursuivre son voyage.
Avant de descendre à une gare, il oublie (intentionnellement?) son journal. Simone s’en empare et lit horrifiée le titre de la première page. Le train s’arrête en gare de Reims et Simone dit alors à son fils de descendre avec une valise et qu’elle va le rejoindre. Mais elle reste dans le train qui repart… Qui est cette Simone? Pourquoi a-t-elle laissé son petit garçon sur un quai de gare? Où va-t-elle si seule? Est-elle un agent double et au service de qui ? Dans Les Origines du totalitarisme, Hannah Arendt remarque qu’une nouvelle catégorie d’êtres humains a émergé trente ans avant: les «sans-droits». Simone, la jeune Française,  va sans doute en faire partie mais elle va là où son destin l’attend… Et elle va découvrir en Hongrie « ce qui est également, dit Hannah Arendt,  propre à notre époque, l’intrusion massive de la criminalité dans la vie politique. »

© christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Nous sommes dix ans plus tard. Le petit Daniel est devenu Dany, un chanteur yé-yé en costume bariolé. Il a eu du succès mais semble être très mal dans sa peau, se gave de médicaments et de whisky, dort sur une banquette du studio d’enregistrement. Bref, la dépression n’est pas loin! Hervé Marconi son imprésario comme Daphné Monrose, son assistante qui l’admire beaucoup, n’arrivent pas à lui remonter le moral : Dany est en effet marqué à jamais par la disparition de sa mère… Ils décident alors de faire appel à ce Victor Zellinger pour essayer de retrouver sa trace.  Le détective (qui a tous les dons!) va alors hypnotiser Dany et essayer de lui faire revivre la scène du train pour avoir quelques éléments d’enquête. Il retrouve ainsi une carte postale et un article de quotidien sur l’insurrection de Budapest face à l’invasion du grand frère soviétique ( tiens déjà ? L’ histoire décidément bégaie ! Selon lui, Simone Valentin serait sans doute allée en Hongrie pour rejoindre un homme, son grand amour qui est peut-être le père de Dany. Et sans doute a-t-elle joué un rôle essentiel dans la résistance hongroise ? Hervé Marconi et Daphné Monrose emmènent alors Dany en Hongrie sous prétexte de faire un concert pour relancer sa carrière. Mais le but est bien de retrouver cette mère disparue et ainsi de réconcilier le chanteur avec un passé qui l’obsède…. Intimidations politiques d’un agent du gouvernement qui voit bien que ce soi-disant concert dissimule autre chose, micros cachés dans la chambre d’hôtel, valet de chambre apportant des boissons alors que les personnages n’ont jamais rien demandé, épisodes à rebondissements: tout ici tient du polar sur fond d’invasion de la Hongrie par l’Union soviétique mais aussi d’une sorte de comédie musicale, puisque l’on y chante souvent, surtout Dany….  

©x

©x

Il y a dans ce spectacle une maîtrise absolue de l’espace qui se transforme à vue. Marc Lainé a été et reste un scénographe expérimenté: nous passons du train (en vidéo) au studio d’enregistrement puis à une chambre d’hôtel, et à la fin, au grand hall triste d’un hôtel hongrois. Mais il y a aussi, projetées sur grand écran, de tristes photos en noir et blanc avec des rues de Budapest parsemées de cadavres devant des immeubles bombardés, une tête de la statue de Staline fichée dans les pavés entre les rails du tramway. Des images en noir et blanc d’une force inouïe. Ce que nous racontait, à nous étudiants de Sorbonne médusés, une jeune Hongroise qui avait réussi à s’enfuir et à se réfugier à Paris. Marc Lainé s’amuse à retrouver la marque des années soixante-dix dans meubles, accessoires et rideaux aux teintes orange ou bleu foncé et aux dessins ondulés. Nostalgie, quand tu nous tiens… Tout ici est très soigné comme les lumières virevoltantes ou les costumes et perruques des nombreux personnages que jouent la plupart des neuf acteurs. Tous très crédibles malgré parfois l’invraisemblance des situations. Mention spéciale à François Praud( Dany) presque toujours en scène qui est aussi au synthé et au piano. Marc Lainé sait maîtriser les enchaînements d’une courte scène à l’autre et nous conte une histoire avec parfois cinq personnages sur le plateau en flirtant avec le second degré mais qui reste jusqu’au bout, d’une remarquable fluidité.

Pari gagné? Pas tout à fait… Les micros H.F. ne rendent aucun service au spectacle et quand les personnages se mettent à crier, cela devient même assez pénible et c’est dommage. Marc Lainé a quelque mal avec le dialogue théâtral souvent inconsistant, sauf dans une belle scène entre un soldat russe prêt à tuer Simone… qu’il va finalement protéger. Et l’auteur-metteur en scène maîtrisait beaucoup mieux le temps dans Vanishing Point et Nos Paysages mineurs, ses précédents spectacles (voir Le Théâtre du Blog). Si la première heure passe assez vite, le voyage à Budapest avec ses nombreuses ramifications et une fausse fin, beaucoup moins. Et il y a de sacrées longueurs: le spectacle aurait beaucoup gagné s’il avait duré quarante  minutes de moins. Marc Lainé avait-il besoin de deux heures quarante pour raconter cette affaire d’espionnage aux allures de B.D., aussi compliquée que loufoque avec arrières-plans historiques? Sûrement pas! Bref, un spectacle intelligemment conçu et attachant par bien des côtés dont une scénographie virtuose, mais souvent bavard et peu maîtrisé sur le plan dramaturgique. A vous de voir si cela vaut le coup…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 23 juin, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème). T. : 01 74 22 22 77.

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...