Nosztalgia express, texte et mis en scène de Marc Lainé

Nosztalgia express , texte et mise en scène de Marc Lainé

Un certain Victor Zellinger qui a été détective privé pendant trente ans, nous raconte comment il a été associé à une enquête difficile sur l’affaire Simone Valentin, une affaire qui l’a marqué à vie. Le 4 novembre 1956, cette Simone Valentin et Daniel son fils de dix ans, prennent un train pour Strasbourg. Nous les voyons dans un petit film très réussi, seuls dans un compartiment.  Puis un homme vient s’asseoir avec eux. Assez indiscret, il cherche le contact avec mais elle se méfie de lui. Il lui dit qu’il l’a connue mais ses propos sont du genre confus. Il roule les r et a un accent slave prononcé. Peut-être est-il russe ou d’un pays de l’Est. Bizarrement, il lui déconseille de poursuivre son voyage.
Avant de descendre à une gare, il oublie (intentionnellement?) son journal. Simone s’en empare et lit horrifiée le titre de la première page. Le train s’arrête en gare de Reims et Simone dit alors à son fils de descendre avec une valise et qu’elle va le rejoindre. Mais elle reste dans le train qui repart… Qui est cette Simone? Pourquoi a-t-elle laissé son petit garçon sur un quai de gare? Où va-t-elle si seule? Est-elle un agent double et au service de qui ? Dans Les Origines du totalitarisme, Hannah Arendt remarque qu’une nouvelle catégorie d’êtres humains a émergé trente ans avant: les «sans-droits». Simone, la jeune Française,  va sans doute en faire partie mais elle va là où son destin l’attend… Et elle va découvrir en Hongrie « ce qui est également, dit Hannah Arendt,  propre à notre époque, l’intrusion massive de la criminalité dans la vie politique. »

© christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Nous sommes dix ans plus tard. Le petit Daniel est devenu Dany, un chanteur yé-yé en costume bariolé. Il a eu du succès mais semble être très mal dans sa peau, se gave de médicaments et de whisky, dort sur une banquette du studio d’enregistrement. Bref, la dépression n’est pas loin! Hervé Marconi son imprésario comme Daphné Monrose, son assistante qui l’admire beaucoup, n’arrivent pas à lui remonter le moral : Dany est en effet marqué à jamais par la disparition de sa mère… Ils décident alors de faire appel à ce Victor Zellinger pour essayer de retrouver sa trace.  Le détective (qui a tous les dons!) va alors hypnotiser Dany et essayer de lui faire revivre la scène du train pour avoir quelques éléments d’enquête. Il retrouve ainsi une carte postale et un article de quotidien sur l’insurrection de Budapest face à l’invasion du grand frère soviétique ( tiens déjà ? L’ histoire décidément bégaie ! Selon lui, Simone Valentin serait sans doute allée en Hongrie pour rejoindre un homme, son grand amour qui est peut-être le père de Dany. Et sans doute a-t-elle joué un rôle essentiel dans la résistance hongroise ? Hervé Marconi et Daphné Monrose emmènent alors Dany en Hongrie sous prétexte de faire un concert pour relancer sa carrière. Mais le but est bien de retrouver cette mère disparue et ainsi de réconcilier le chanteur avec un passé qui l’obsède…. Intimidations politiques d’un agent du gouvernement qui voit bien que ce soi-disant concert dissimule autre chose, micros cachés dans la chambre d’hôtel, valet de chambre apportant des boissons alors que les personnages n’ont jamais rien demandé, épisodes à rebondissements: tout ici tient du polar sur fond d’invasion de la Hongrie par l’Union soviétique mais aussi d’une sorte de comédie musicale, puisque l’on y chante souvent, surtout Dany….  

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Il y a dans ce spectacle une maîtrise absolue de l’espace qui se transforme à vue. Marc Lainé a été et reste un scénographe expérimenté: nous passons du train (en vidéo) au studio d’enregistrement puis à une chambre d’hôtel, et à la fin, au grand hall triste d’un hôtel hongrois. Mais il y a aussi, projetées sur grand écran, de tristes photos en noir et blanc avec des rues de Budapest parsemées de cadavres devant des immeubles bombardés, une tête de la statue de Staline fichée dans les pavés entre les rails du tramway. Des images en noir et blanc d’une force inouïe. Ce que nous racontait, à nous étudiants de Sorbonne médusés, une jeune Hongroise qui avait réussi à s’enfuir et à se réfugier à Paris. Marc Lainé s’amuse à retrouver la marque des années soixante-dix dans meubles, accessoires et rideaux aux teintes orange ou bleu foncé et aux dessins ondulés. Nostalgie, quand tu nous tiens… Tout ici est très soigné comme les lumières virevoltantes ou les costumes et perruques des nombreux personnages que jouent la plupart des neuf acteurs. Tous très crédibles malgré parfois l’invraisemblance des situations. Mention spéciale à François Praud( Dany) presque toujours en scène qui est aussi au synthé et au piano. Marc Lainé sait maîtriser les enchaînements d’une courte scène à l’autre et nous conte une histoire avec parfois cinq personnages sur le plateau en flirtant avec le second degré mais qui reste jusqu’au bout, d’une remarquable fluidité.

Pari gagné? Pas tout à fait… Les micros H.F. ne rendent aucun service au spectacle et quand les personnages se mettent à crier, cela devient même assez pénible et c’est dommage. Marc Lainé a quelque mal avec le dialogue théâtral souvent inconsistant, sauf dans une belle scène entre un soldat russe prêt à tuer Simone… qu’il va finalement protéger. Et l’auteur-metteur en scène maîtrisait beaucoup mieux le temps dans Vanishing Point et Nos Paysages mineurs, ses précédents spectacles (voir Le Théâtre du Blog). Si la première heure passe assez vite, le voyage à Budapest avec ses nombreuses ramifications et une fausse fin, beaucoup moins. Et il y a de sacrées longueurs: le spectacle aurait beaucoup gagné s’il avait duré quarante  minutes de moins. Marc Lainé avait-il besoin de deux heures quarante pour raconter cette affaire d’espionnage aux allures de B.D., aussi compliquée que loufoque avec arrières-plans historiques? Sûrement pas! Bref, un spectacle intelligemment conçu et attachant par bien des côtés dont une scénographie virtuose, mais souvent bavard et peu maîtrisé sur le plan dramaturgique. A vous de voir si cela vaut le coup…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 23 juin, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème). T. : 01 74 22 22 77.

 

 

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