Un Certain penchant pour la cruauté de Muriel Gaudin, mise en scène de Pierre Notte

Un Certain penchant pour la cruauté de Muriel Gaudin, mise en scène de Pierre Notte

Elsa, une jeune femme a tout ce qu’il faut pour être heureuse : un mari Christophe avec lequel elle s’entend bien mais aussi un amant, une grande fille Ninon et une maison avec jardin. Ils ont pris la décision d’héberger Malik, un jeune Africain, absolument seul et mineur. Toute une aventure à priori dans l’axe pour fonctionner.. Accueillir un migrant peut être riche d’expérience. oui mais aussi d’aventures… sinon il n’y aurait pas de pièce.
Muriel Gaudin met au goût du jour un très ancien thème théâtral. L’étranger, un inconnu qui arrive et
sert de révélateur avec la confrontation entre différents modes de vie, de pensée et culture et perturbe ceux qui l’accueillent comme lui-même. Il y avait déjà Oedipe apprenant qu’il est en fait un double criminel: relation avec sa mère et meurtre de son père…
Et côté comédie, la veine est encore plus riche comme avec le séisme que provoque l’arrivée de 
Tartuffe dans la famille d’Orgon sur lequel il a une influence redoutable et qui (tiens, encore une histoire de sexe !) essaye de séduire son épouse et se marier avec sa fille. Bref, quand les règles de l’hospitalité ne sont plus respectées, c’est tout un équilibre socio-familial qui en prend un coup et les choses se mettent vite à dérailler. Même chose chez Marivaux qui adore ce thème de l’étranger bousculant la vie, jusque là tranquille, de ses personnages comme dans Le Prince Travesti, Le Triomphe de l’amour ou Les Fausses Confidences où sous la fausse identité d’un intendant, un aristocrate va pénétrer chez Araminte pour arriver à la séduire. Et un auteur contemporain comme Guillermo Pisani avec Je suis perdu, voit bien que cela cloche quand il faut faire une place à un étranger, non un soir ou deux mais plusieurs mois. Brutalement, tout est alors remis en question dans une famille ou un milieu professionnel.

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Ici, Muriel Gaudin, avec humour… et une certaine provocation, flingue nos certitudes et nous met face à nos contradictions malgré notre bonne volonté apparente de bien faire. Et si nous étions à leur place de ces étrangers, comment pourrions-nous supporter tant d’humiliations, discriminations pour obtenir l’indispensable permis de séjour, voire même un simple papier administratif…

« Un projet né d’une expérience autobiographique, dit Muriel Gaudin. Mon compagnon, mes deux enfants et moi, avons accueilli pendant deux ans un jeune migrant. Cette situation (une nouvelle personne entrant entre un foyer, :  un adolescent) m’est vite apparue comme une source de questionnements et de surprises.
J’ai alors découvert des fonctionnements étranges, mêlés d’altruisme et de repli sur soi, de générosité et de peur… (…) Peut-on accueillir l’autre, l’accepter, sans contreparties ? Je l’accepte pour qu’il me renvoie une image positive de moi-même ? Le mélange des cultures est-il un troc : je t’accueille sous mon toit, je te nourris, je te donne la marche à suivre pour t’intégrer, je te suis essentiel(le) et toi, en échange, tu me donnes toute ta gratitude et l’assurance du Bien que je fais ?
Le rapport est-il marchand, je te sauve de tout, j’exerce mon pouvoir, mon savoir, et toi, tu me déculpabilises ?
J’ai essayé de montrer comme il est difficile d’accepter l’autre sans contrepartie pour qu’il me renvoie une image positive de moi-même ? Comment résoudre cette équation insoluble ou ce qu’il faut mieux appeler un troc : je t’accueille sous mon toit, je te nourris, je te donne la marche à suivre pour t’intégrer, je te suis essentiel et toi, en échange, tu m’en es reconnaissant. Je te sauve mais je continue à exercer un certain pouvoir occidental. »

Ici, rien de très réaliste et c’est tant mieux: juste trois bancs-coffres à roulettes. Muriel Gaudin campe une Elsa qui n’en est pas à une contradiction près: elle adore la liberté mais est assez autoritaire. Vivre  ensemble n’est pas simple et chacun des autres personnages essaye de s’en sortir au mieux, c’est à dire au moins mal, avec sans doute une certaine culpabilité… Comment accueillir l’autre? La fin est assez grinçante mais nous ne la dévoilerons pas. Elsa restera seule, déchirée face au tsunami qui a emporté sa famille mais qu’elle a ( inconsciemment? ) contribué à faire naître.

Une première pièce, bien écrite avec humour et clairvoyance, jamais bavarde. Jouée avec humour et tendresse par Muriel Gaudin elle-même et quatre complices. Et servie par une mise en scène précise et sensible comme toujours, de Pierre Notte. Avec un musicien qui donne au spectacle une belle résonance et où chaque personnage est habillé d’un seule couleur. Elsa, en rouge. Christophe, en bleu. Pour Ninon en ocre et Julien en gris. Malik est lui en blanc. C’est une sorte de fable avec seulement suggérés: cuisine, bureau, chambre, etc.
Un théâtre qui se joue dans un espace aussi simple qu’intelligent, loin des grandes machines à jouer avec plateaux tournants, fumigènes et micros H.F.
Que demande le peuple? Seul bémol: il y aurait un peu moins de déplacements de  praticables à roulettes et de changements de costume, ce serait aussi bien. Ces réserves mises à part, la pièce devrait faire un tabac en Avignon…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 24 juin au Théâtre La Flèche, 77 rue de Charonne, Paris (XI ème).

Du 7 au 30 juillet à 13 h 05, La Scala Provence, 3 rue Pourquery Boisserin, Avignon (Vaucluse), relâche lundis 11,18 et 25 juillet. T : 04 65 00 00 90.

Le texte de la pièce sera publié à L’Avant-Scène théâtre en septembre prochain


Archive pour 27 juin, 2022

Le Théâtre de Verdure fait son festival !

Le Théâtre de Verdure fait son festival

Les deux Frères et les Lionsd‘Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, mise en scène de Vincent Debost et de l’auteur

Un lieu unique à Paris qui n’en manque pourtant pas mais le Théâtre de Verdure du Jardin Shakespeare a quelque chose de particulier. Situé au cœur du Bois de Boulogne, derrière le restaurant du Pré Catelan. Hédi Tillette de Clermont Tonnerre et Lisa Pajon ont repris cette année la direction de ce festival en plein air avec pièces de théâtre, musique, lectures, soirées, rencontres…
Ce théâtre avec une grande scène, des coulisses et quelque quatre cent places sur une pelouse avait présenté depuis soixante ans des classiques, entre autres,  sous la houlette de Carine Montag. Peu connu des Parisiens qui envahissent pourtant le Bois le dimanche comme en semaine, ce théâtre avec en fond de scène, des pins et des chênes centenaires a quelque chose d’enchanteur… Une parenthèse de nature bienvenue dans le paysage très urbanisé de la capitale. Avec de petits jardins thématiques s’inspirant du Songe d’une nuit d’été, La Tempête, Macbeth, Hamlet…

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Sans beaucoup d’aides, ces metteurs en scène ont entrepris avec courage de ressusciter ce festival avec un programmation axée sur le théâtre contemporain. Avec pour commencer Les deux Frères et les lions d’Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, une pièce qu’ils ont jouée des centaines de fois un peu partout. C’est l’histoire exceptionnelle de David et Frederick Barclay, des jumeaux écossais d’une famille très pauvre de Londres. Leur père meurt quand ils ont douze ans et quelques années après, ils travaillent comme aides-comptables à la General Electric. Ensuite, ils vont trouver des boulots de peinture et, en 1962, transforment d’anciens bureaux en hôtel, font de juteux placements immobiliers puis acquièrent l’Howard Hotel. Vingt ans plus tard, ils rachètent des entreprises, le groupe de transport et de brasserie Ellerman. Et en 92, ils deviennent patrons de presse et rachètent le groupe du Telegraph... dont gamins; ils vendaient des exemplaires dans la rue. En 1995, ils achètent l’hôtel Ritz et seront anoblis par la Reine cinq ans plus tard pour leur soutien aux plus démunis et à la recherche médicale.

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Partis de rien, ces frères jumeaux vont même en 1993, acheter la petite île anglo-normande de Brecqhou dépendant de Sercq, et vont y faire construire un château de style néo-gothique et y feront aussi planter des vignes ! Mais survivance du système féodal hérité de Guillaume le Conquérant qu’il ignoraient, le droit normand toujours en vigueur interdit  la transmission par héritage aux femmes. Et comme ils n’ont chacun qu’une fille… leur immense fortune risque de tomber dans les mains de l’Etat. Ce qu’ils ne veulent à aucun prix.

Sous la pression des Barclay, Sercq veut se mettre en conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme. . En 2008, première élection dans l’île des vingt-huit membres du conseil législatif avec vingt-six candidats donc certains soutenus par les frères Barclay veulent supprimer cette mesure féodale mais ils ne remportent que cinq sièges. Première mesure de rétorsion contre la centaine d’habitants qui ont voté contre le changement de la loi pratiquant le droit d’aînesse : seul le premier enfant mâle succède). Comme les frères Barcaly sont propriétaires de la majorité des hôtels et restaurants de l’île, ils vont les fermer et donc mettre les cent quarante habitants au chômage…Et cs hommes d’affaire expérimentés vont mener une lutte acharnée avec des avocats grassement payés pour trouver la faille et réussiront à faire modifier le droit. Et près avoir porté l’affaire devant la cour européenne, ils finiront par gagner…

L’
auteur-acteur Hédi Tillette de Clermont Tonnerre a écrit une pièce sur cette incroyable histoire pour au delà de l’anecdote, dénoncer les méfaits du capitalisme et du libéralisme. Mais un des frères portera plainte pour atteinte au respect de la vie privée et diffamation et essayera de faire interdire cette satire, coproduite avec courage par la Scène Nationale de Cherbourg et écrite avec la participation de Sophie Poirey, maître de conférences en droit normand, à l’université de Caen. Pour leur avocat, Olivier Morice : « La pièce est une fable satirique sur le capitalisme. Rien ne peut justifier les accusations d’atteinte au respect de la vie privée et de diffamation. « On exige l’interdiction de la pièce, la vente du texte, et des dommages et intérêts à hauteur de 100 000 € ! On a voulu nous faire taire, dit l’auteur. Mais la pièce est une œuvre de fiction. Je me suis inspiré de personnages réels, tout est inventé.«  Et la plainte sera heureusement rejetée par le tribunal civil de Caen…C’est en fait toute la liberté d’expression qui était mise en cause et sans qu’aucune attaque n’ait jamais été portée contre les frères Barclay…

En une heure et quelque Hédi Tillette de Clermont Tonnerre et Lisa Pajon racontent cette réussite financière exceptionnelle aux multiples rebondissements, fruit du travail de la ténacité des frères Barclay mais aux zones d’ombre et affaires scandaleuses. C’est une sorte de fable aux allures de théâtre d’agit-prop avec des dialogues souvent étincelants et d’une incomparable drôlerie. Cela se passe donc sur une belle pelouse d’un vert dont nos amis anglais seraient jaloux. Dans un silence total, il y a juste deux fauteuils vaguement Louis XIII, une table basse couverte de marbre et derrière, un écran où seront projetées une fragment de la très fameuse tapisserie La Dame à la licorne qu’on voit par moment ironiquement hocher la tête, quelques photos noir et blanc d’un groupe d’enfants pauvres et de la Londres des années cinquante…
Les frères en survêtement d’un bleu électrique (rien à voir avec les beaux costumes cravate blanche des vrais Barclay!) servent le thé au public avec scones et confiture. Un spectacle simple avec une fable comme on les aime, magistralement interprété et sans aucune prétention et qu’il faut aller savourer dans ce bel écrin de verdure .
Seul bémol: l’endroit n’est pas si facile à trouver mais il y a un bus depuis la porte Maillot, arrêt: pré Catelan, ou sinon vous pouvez passer le long du grand lac du bois de Boulogne depuis la porte de la Muette et utiliser votre GPS. Et il y a tout l’été mais par périodes des spectacles pour adultes et pour enfants, un concert de Bertrand Belin, des rencontres, etc.

Philippe du Vignal

Théâtre verdure du jardin Shakespare, Pré Catelan, allée de la Reine Marguerite, Paris (XVI ème). T. : 06 63 03 72 37  letheatredeverdure.com

Métro: Porte Maillot. et Bus 244 : station Bagatelle-pré Catelan. 

 

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