Tout commence toujours par une histoire d’amour (soliloque autour d’une disparition) texte et mise en scène de Pauline Ribat

Tout commence toujours par une histoire d’amour (soliloque autour d’une disparition), texte et mise en scène de Pauline Ribat 


Mademoiselle R. serait l’histoire intime de l’autrice qui l’interprète, avec parfois quelques photos de famille projetées en fond de scène. Il s’agit de la disparition d’un père au regard bleu turquin qui vit dans une maison aux volets rouges. Avec le récit de ce parcours sans doute en partie autobiographique, elle va à la recherche d’elle-même et essaye de se construire. Pauline Ribat est impressionnante de vérité:  elle a une belle présence, une excellente diction,  un don évident pour nous embarquer avec pudeur dans cette histoire d’amour…

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Celle de ses parents qui commence dans un cours de théâtre amateur. « C’est là qu’ils se voient pour la première fois. Peut-être est-ce lui qui – effrontément – engage la conversation. Ou alors elle qui remarque ce beau blond au regard bleu turquin et se débrouille pour s’asseoir à côté de lui, l’air de rien. Ou bien peut-être lui propose-t-il – ou bien elle – la scène entre Marie Tudor et Fabiano Fabiani, celle où tous deux se retrouvent en secret dans la chambre royale – elle majestueusement installée dans son lit de reine. L’autrice – c’est-à-dire moi – dit à l’actrice – c’est-à-dire moi – de jouer LA REINE et Fabiano Fabiani. »

Admirative, elle paraît revivre leur bonheur: «Lui, est étudiant à Centrale Lyon, il a vingt-cinq ans. Elle, a dix-huit ans et vit encore chez ses parents – son visage est celui d’une enfant, elle se rêve danseuse. Lui est blond, le regard bleu turquin – hypnotique, il mesure 1m 83, porte des pattes d’eph et des chemises à fleurs. Elle a les yeux noisettes – pétillant de vie, les cheveux bruns bouclés et désordonnés, un port de reine et une passion pour les boucles d’oreille – en particulier les dormeuses élégantes. Lui est né à Paris dans le XV ème arrondissement à l’hôpital Cognac-Jay,15 rue Eugène Million,le 9 octobre 1951. Elle a grandi au Laos à Vientiane, avec sa soeur et ses deux frères. » Elle a grandi au Laos à Vientiane, avec sa sœur et ses deux frères. Ses parents se sont mariés à Saïgon. Son signe astrologique est le Lion. Lui aime la musique, c’est un collectionneur compulsif de vinyles et a pour modèle John Lennon. Elle aime se rouler dans l’herbe fraîche du matin et les poésies d’Emily Dickinson et de Charles Baudelaire. Ils ont sept ans d’écart. Ils sont jeunes, beaux et magnétiques. »

Mais bon, une fois de plus, la Bible a menti: la vie n’est pas un longue fleuve tranquille. Et, dit-elle, « Le jour où tu as repeint les volets de la maison aux volets rouges, j’ai compris que mon existence avait cessé de compter pour toi, que je n’étais plus ta fille. Qu’à tes yeux, j’avais cessé d’exister.» Et elle fume, se droguera. Je bois je fume. Elle accepte tout, ne dit rien.» Et le sexe d’un homme laboure mon corps d’adolescente. »
Puis elle a comme elle dit : trois fois sept ans, et son père disparaît totalement de sa vie. Et, à quatre fois sept ans, elle sort du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris et court vers la sienne. « Et à cinq fois sept ans- elle se tient devant vous et tente de raconter. »
Une fois le divorce prononcé, son père ne la verra plus. Elle le reprochera à sa mère et a l’impression qu’on lui a arraché son papa. Départ pour Paris. Ennuis divers puis avortement. Mais ce texte sonne comme un exorcisme personnel. « Maintenant je sais que le Père-Noël n’existe pas. Puis elle se tait. Maintenant je suis grande. »

Pauline Ribat a un talent indéniable de conteuse. Mais la réalisation ne suit pas toujours (refrain connu: un acteur gagne rarement à se mettre en scène) et la scénographie est un peu brouillonne et inutilement compliquée. Ce soliloque-exorcisme dure une bonne vingtaine de minutes de trop: dommage mais il n’est pas trop tard pour y remédier. A ces réserves près, cela vaut le coup d’aller découvrir une parole et une actrice…

Philippe du Vignal

Théâtre de Belleville, Passage Piver, Paris (XI ème). T. : 01 48 06 72 34 16.

Festival d’Avignon: Le 11, 11 boulevard Raspail, du 7 au 29 juillet.

Et du 11 au 15 octobre, Théâtre de la Renaissance, Oullins (Rhône).


Archive pour juin, 2022

Le Bonheur (n’est pas toujours drôle), d’après trois films de Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Pierre Maillet

Le Bonheur (n’est pas toujours drôle), d’après les films de Rainer Werner Fassbinder : Le Droit du plus fort, Maman Kusters s’en va au ciel, et Tous les autres s’appellent Ali, mise en scène de Pierre Maillet

Cela commence fort, à la foire comme si on y était, avec un Pierre Maillet en meneur de jeu, on ne dira pas : plus vrai que nature ,mais à la hauteur de ces talentueux bonimenteurs qui manipulent les foules en quête de bonheur. Allez ! Une bouteille de mousseux ! Une pomme d’amour !  Mais de ce bonheur-là, Franz, dit Fox, est chassé. Le voilà chômeur, puis chanceux : il a gagné le gros lot ! Et l’amour en même temps pour un Max qui le conduit à Eugen… et à sa perte. Le titre: Le Droit du plus fort. Et le droit, c’est le fait. Avec pour cette première partie, comme  fil conducteur, une série d’entourloupes: Franz, se fera entièrement dépouiller par son amoureux. Et pas une minute perdue dans cette lutte des classes, bien sûr gagnée par le bourgeois.

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Un geste inapproprié : le prolo doit apprendre les «bonnes manières » (bonnes pour qui ? Toujours les mêmes), un détail de vêtement  et surtout une marche infranchissable : Fox ne sera jamais «en haut» et pour avoir osé essayer, sera jeté au ruisseau, dépossédé de tout ce qu’il a.
Le spectacle aurait pu s’arrêter là et nous aurions été comblés: mise en scène forte et rapide qui va  à l’essentiel, interprètes parfaits, décor simple et fonctionnel avec cette marche.

Mais Pierre Maillet et son équipe ont eu raison de continuer. Si profonde soit cette première pièce, les scénarios suivants viennent lui en donner plus encore. Cette trilogie est emblématique de la force des textes de Rainer Werner Fassbinder. Chose simple et rare, il donne une place centrale aux perdants.
Dans Maman Kusters s’en va au ciel, nous passons des minuscules tensions internes dans une famille petite bourgeoise, à la tragédie… « Un employé de l’usine, devenu fou après son licenciement, se suicide après avoir tué le fils du patron » ! L’article de presse tombe sur la tête de Maman Kusters : le fou, c’est son mari! Et la meute des paparazzis poursuivra cette veuve, jusqu’à la tombe de son époux et sa fille jusqu’au cabaret où elle chante (bien) heureuse de récupérer un brin de notoriété frelatée. Un journaliste insinuera qu’elle a trahi, un couple de communistes l’amènera à adhérer et enfin un « activiste » l’entraînera dans la mort.

Règle : celui qui est né perdant, doit perdre, même s’il lutte. Ici, nous verrons les deux fins du film, l’une cruelle et logique et l’autre; édulcorée pour le public nord-américain. Le dramaturge admirait Douglas Sirk et n’allait pas refuser le  mélo, art populaire par excellence, même s’il pratique la dialectique brechtienne.

En troisième partie, une adaptation de Tous les autres s’appellent Ali prend une forme surprenante que… nous ne dévoilerons pas. Les enchaînement d’une histoire à l’autre sont une totale réussite et il n’ y a aucune interruption du récit, puisque cette mise en scène relie entre eux ces personnages marginalisés et exclus.
Emmi, la soixantaine, rencontre Ali, un jeune travailleur marocain dans un bistrot où elle s’est abritée de la pluie. Il ne s’appelle pas Ali.  Mais, comme dit L’Affiche rouge, le célèbre poème d’Aragon : «L’affiche qui semblait une tache de sang/Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles/Y cherchait un effet de peur sur les passants.» Et l’Allemagne des années soixante-dix préfère le nom générique d’Ali. Accueil sincère et vraie rencontre : ils se marient, cela ne va pas de soi… Mais ils auront essayé de s’en sortir, en luttant contre le mépris et le scandale familial.

Cette dernière partie parachève le spectacle en liberté mais dans une forme toujours aussi rigoureuse. Acteurs parfaits, jeu sans fioritures ni tralala psychologique, avec plus d’humour peut-être que Rainer Werner Fassbinder ne pouvait s’en autoriser. Avec aussi autant d’émotion qu’il en faisait passer, de vrais moments de tendresse. Donc, chapeau à Arthur Amar, Valentin Clerc, Alicia Devidal, Luca Fiorello, Pierre Maillet, Thomas Nicolle, Simon Terrenoire, Elsa Verdon, Rachid Zanouda. Efficaces et bien aidés dans leur jeu et leur construction d’un type, par les maquillages et perruques de Cécile Kretchmar.
Mention spéciale à cette reine du jeu, irremplaçable dans les rôles de Maman Kusters et d’Emmi : la virtuose Marilu Marini avec une humilité et une sincérité remarquables. Le spectacle lui doit une grande part de sa poésie. Un théâtre tel qu’on l’aime, fort en goût, costaud et exact dans sa forme. Accord parfait avec un propos qui n’a pas vieilli. Le temps a simplement accordé au metteur en scène le droit à un humour que se refusait l’auteur, trop pressé, trop indigné. Nous en redemandons…

Christine Friedel

Jusqu’au 11 juin., Le Monfort, rue Brancion (Paris XV ème) T. : 01 56 08 33 88.

Untitled, carte blanche à Alice Laloy

Untitled, carte blanche à Alice Laloy

 

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© Mouffetard

Cette metteuse en scène tout terrain à qui nous devons le remarquable Pinocchio Live) (voir Le Théâtre du Blog) a investi le Mouffetard, dont elle est artiste associée, en compagnie du  collectif de musiciens Spat’Sonore. Ensemble, ils ont créé, en trois jours un orchestre insolite : cordes, claviers, grandes trompes, trompettes et autres vents reliés par des câbles rouges qui courent sur le plafond bas du théâtre, et transforment la petite salle en un espace ludique. « Nous avons, dit Alice Laloy, tiré parti de ce qui était un inconvénient de la salle. »

 Sur scène, d’étranges machines, récupérées de précédents spectacles, attendent, au repos. Sept musiciens (percussions, violon, violoncelle, clavier, trompes, orgue bricolée) vont improviser. Les spectateurs les accompagneront avec des instruments de fortune qui leur ont été distribués. Guidés par une partition de couleurs défilant sur un écran, ils activent tambourins, langues de belle-mère, pipeaux, maracas et autres joujoux dans une belle cacophonie. Heureux de contribuer aux inventions sonores et visuelles…

Ce bidouillage sophistiqué recycle les dispositifs scéniques de la Compagnie S’Appelle Reviens et les installations de Spat’Sonore. Ce collectif fabrique des instruments étranges : acousmoniums acoustiques tentaculaires, immenses orgues à bouche, amplificateurs-spatialisateurs-filtres de sons produits par la bouche, une corde ou une membrane.

Pinocchio Live (2) © Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Ce concert-installation éphémère laisse libre cours à la fantaisie des deux équipes artistiques. La cocasserie poétique d’Alice Laloy et son théâtre d’objets avec comédiens et marionnettes se marie avec l’humour de ses complices musiciens. Et le public participe volontiers. Dommage qu’il n’y ait eu seulement deux représentations. Mais on retrouvera  bientôt Alice Laloy qui recrée Pinocchio Live (3) avec de nouveaux acteurs, car les enfants de la performance ont grandi.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 20 mai au Mouffetard-Théâtre des arts de la marionnette, 73, rue Mouffetard, Paris (Vème). T. : 01 84 79 44 44

 

 

Pourquoi les Lions sont-ils si tristes? de Leïla Anis et Karim Hammiche, mise en scène de Karim Hammiche

Pourquoi les Lions sont-ils si tristes? de Leïla Anis et Karim Hammiche, mise en scène de Karim Hammiche

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© Cie L’oeil brun

 «Toute ressemblance avec des personnes réelles n’est pas fortuite». Un des trois comédiens nous informe que l’écriture de  Pourquoi les Lions sont-ils si tristes?  s’appuie sur des témoignages recueillis par leur compagnie L’œil brun. A la ville et à la campagne, Leïla Anis et Karim Hammiche ont rencontré des personnels de santé mais aussi des agriculteurs, des ouvriers, des mères au foyer, et des assistantes sociales, retraités, directeurs d’usine. Notamment à Dreux (Eure-et-Loir), Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis) et Monistrol-sur-Loire (Haute-Loire). Leurs témoignages filmés ont permis d’alimenter cette histoire.

 « Nous sommes partis en écriture, dit le metteur en scène, avec la conscience d’une urgence sociale. Qu’allons-nous faire de nos vieux ?» La pièce explore des thèmes comme le grand âge et le droit à mourir dignement mais aussi les relations entre père et fils, grand-père et petite-fille. Malgré la distance instaurée par la structure dramatique et le jeu de Leïla Anis, Éric Charon et David Seigneur, nous nous attachons, au fil des dialogues, à cette famille brisée par des secrets enfouis…

 Sur le plateau, juste une longue table de bois et quelques chaises. Le texte emprunte à partir de la fable centrale, des chemins de traverse comme une émission de radio, un jardin, le bureau d’un cadre-infirmier ou Beyrouth en 1996. Autant d’appels d’air qui  emmènent Pourquoi les lions sont-ils si tristes? loin du pathos. Pour la compagnie l’Œil brun, la pièce constitue le premier volet d’une création portant sur «l’Individu social : regard sur l’histoire intime et singulière, prise dans l’histoire sociale. » Aux plus près de ses personnages, elle part de situations personnelles pour ouvrir sur le monde en posant des questions d’une actualité brûlante.

Mireille Davidovici

Spectacle vu en avant-première le 3 juin, au Théâtre de Belleville, 16 passage Piver, Paris (XX ème).

 Festival d’Avignon, du 7 au 26 juillet, au 11, 11 boulevard Raspail, Avignon T. : 04 84 51 20 10.

 

 

 

 

Les Préalables d’Alba 2022

 

Les Préalables d’Alba 2022

Ces rencontres circassiennes, en prélude au festival d’Alba-la-Romaine (voir Le Théâtre du blog), ont lieu de village en village dans la communauté de communes Ardèche-Rhône-Coiron, autour de son chef-lieu, Le Teil. Elles s’inscrivent dans le maillage territorial entrepris par La Cascade-Pôle national des Arts du Cirque depuis son installation en 2009 à Bourg-Saint-Andéol (Ardèche).
Ces préalables printaniers ont commencé modestement avec quelques spectacles et concernent aujourd’hui quatorze communes comme Le Teil (9.000 h), Cruas (3.000 h), ou des hameaux de cinquante foyers

Pour cette manifestation qui se veut festive comme celle de l’été, de nombreux habitants mettent la main à la pâte pour accueillir artistes et spectateurs. Une association organise une buvette en marge de la représentation, les enfants d’Aubignas concoctent une paella géante devant leur école… L’heure est aux pique-niques champêtres, aux conversations avec le public après le spectacle, quand l’orage ne menace pas.

Au programme, créations et avant-premières de jeunes compagnies que La Cascade accompagne toute l’année, sous la houlette de son directeur, Alain Reynaud, co-fondateur des Nouveaux Nez. L’ouverture prochaine d’un espace d’entraînement dans une chapelle désaffectée à Bourg Saint-Andéol, permettra à cette compagnie de clowns historique d’accueillir plus confortablement des circassiens sortant des écoles.

« Une vingtaine d’entre eux, dit Alain Raynaud. se sont déjà installés autour du Pôle. C’est une sorte de coopérative et iIls s’interrogent sur comment faire ce métier, produire, vendre, mutualiser leurs compétences. » Cette recherche s’inscrit aussi dans des préoccupations d’éthique écologique. Certains envisagent des tournées en vélo ou des diffusions locales comme celles de La Cascade. « Arrêtons de battre les chemins, dit aussi Alain Reynaud. Développons la proximité et des tournées sur place, à l’intérieur de la cité. Dans notre propre bourg, il y a des frontières. On va se dépayser en faisant cinq cents mètres.»

 À deux mètres, création de Jesse Huygh et Rocio Garrote

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© ¬a Cascade

Jesse Huygh mesure son taux d’oxygène au bout du doigt, après être grimpé sur un mât chinois sur la place de Rochemaure et être redescendu en vrille. « 92″, dit-il. On comprend qu’il doit contrôler son souffle quand sa partenaire le rejoint avec une bouteille d’oxygène. Et le combat de cet artiste avec son manque d’air devient la colonne vertébrale d’un spectacle sur l’étouffement, dans la vie, la pratique artistique et dans le  couple. Les deux acrobates réalisent des figures harmonieuses et compliquées, en solos ou corps enchevêtrés, entrecoupées de pauses ou chamailleries comiques. « La saturation d’oxygène normale est 90% », dit une voix off et Jesse Huygh nous parle de  «la mucovisidose, une maladie qui me freine  et je trouve l’énergie dans le faire-ensemble» avant de grimper, triomphant en haut de sa colonne.

 Malgré cette maladie diagnostiquée quand il avait douze ans, il n’a pas renoncé au sport ni plus tard à une carrière à la sortie de l’Ecole Supérieure des Arts du Cirque. Il a travaillé au cirque Eloize, et plus récemment avec le collectif Sous le Manteau. Mais il a dû renoncer aux spectacles grand format. Aujourd’hui, avec 40% de capacité pulmonaire, il promène ce duo conçu avec l’acrobate mâtiste argentine Rocio Garrote sur la plate-forme d’un camion qui leur sert de scène. Une belle performance et une leçon de courage.

 

Stek par le collectif Intrepidus

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© La Cascade

 Les clowns sont souvent tristes mais eux n’ont pas de vague à l’âme. Clochards célestes, tout droit surgis d’une grande poubelle, beaux diables multicolores ils n’ont pas peur de se cogner à la vie, et quand ils tombent, se relèvent illico pour mieux s’étaler au sol ou se prendre dans la figure le couvercle de cette poubelle qu’ils trimballent partout comme une malle aux trésors. Pantalons trop courts, vestes en haillons et manteaux trop longs ne les empêchent pas de se bagarrer ou de partager leur complicité. Analia Vincent, la fille du clan n’a pas froid aux yeux face aux jongleurs Ottavio Stazio et Mario de Jesus Barragan Martinez, et au clown Léo Morala.
Intrepidus : un nom qui va comme un gant à cette fine équipe de cascadeurs, sortis de l’école du Lido à Toulouse. Après ce galop d’essai de quarante minutes, elle nous promet un beau spectacle à découvrir l’année prochaine. Rire garanti.

 Dans le vide par la compagnie Crazy R

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© La Cascade

 Sept voltigeurs s’élancent dans le ciel de la Violette, un quartier populaire du Teil devant cinq cents spectateurs emportés par la virtuosité de cette compagnie bordelaise. Ces acrobates mettent en scène l’envol et la chute, avec la même énergie. Et leur agrès aux allures précaires supporte un trapèze, une balançoire russe et des plates-formes…

 Antoine Linsale, Cécile Cinelli, Cyril Toulemonde, Dianys Montavy, Karine Noel, Fragran Gehlker, Sylvain Rizzello, Ryan Lavie, Garance Hubert-Samson,réalisent de grands sauts dans le vide et un festival incessant de bonds, rebonds, saltos périlleux qui réjouissent le public.

Ils savent aussi se faufiler tels des animaux, entre les montants ou glisser lentement le long des câbles qui soutiennent le dispositif. Ils nous montrent que là où il y a du risque, il y a du plaisir, et que si on tombe, on peut aussi se relever et recommencer…Le deuxième représentation de ce spectacle aérien électrisant en cours de création, devrait trouver son rythme de croisière.

 

Mellow Yellow par le compagnie T.B.T.F. (Too Busy To Funk)

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© ¬a Cascade

 Ricardo S. Mendès, Ottavio Stazio, Juri Bisegna ont créé et interprètent une fantaisie acrobatique dansée et jonglée. De gag en gag, ils ratent ou réussissent leurs numéros : Juri s’acharne à manipuler des chapeaux et s’active au clavier, Ricardo, flegmatique et élégant, lance de nombreuses balles jaunes. Ert Ottavio, le rebelle du groupe, se livre à des clowneries et contorsions extravagantes. Puis refusant de jongler, se réfugie dans le public.

Sollicitent étroitement les spectateurs qui participent volontiers, entre jeu et hors-jeu, quotidien et performance, le trio flirte avec l’absurde et le surréalisme jusque dans ses accoutrements et postures. Il ne rechigne pas à tomber en panne pour repartir. Un joyeux désordre règne sur le petit plateau et au-delà.

Tout frais sorti de sa gangue, le spectacle se veut «en immersion, le but étant d’amener la public à redécouvrir sa commune ». Le village médiéval d’Aubignas, au pied du Coiron, où l’on exploita jusqu’en 2005 une mine de basalte, accueille cette performance de quarante-cinq minutes dans un pré, avec vue sur la vallée.

 Mireille Davidovici

Les Préalables d’Alba-la-Romaine ont eu lieu du 31 mai au 5 juin et le Festival aura lieu du 12 au 17 juillet.

 La Cascade, 9 avenue Marc Pradelle, Bourg-Saint-Andéol (Ardèche).  T. : 04 75 54 40 46.

 À deux mètres :

Le 9 juin Cirkuliacija Festival, Kaunas (Lituanie) .
Le 20 août festival StraPatZen Sint-Pieters-Leeuw (Belgique) ; 25 août De Donderdagen – Ninove (Belgique) ;28 août Internationaal Straattheaterfestivel, Beveren (Belgique) .
Le10 septembre, Ettelbrooklyn Street Fest, Ettelbruck (Luxembourg)  et le 24 septembre Sierk Masjiek – Ronse (Belgique) 

Dans le vide

25 juin, La Palène (Charente-Maritime) ;du 5 au 7 juillet CREAC Bègles (Gironde) ; le 17 Juillet CRABB, Biscarosse (Landes), 26 juillet, La Mouche Festival du Parc Beauregard (Rhône).

Mellow Yellow 

Les 11 et 12 juin Théâtre du Vellein, Villefontaine (Isère).

Le 19 juillet, Les Météores -Centre culturel de La Mouche,Saint-Genis-Laval (Isère )  et le 29 juillet, L’Eté culturel, Fleury-Mérogis (Essonne).

 

La Chanson de Roland, la bataille de Roncevaux de Jean Lambert-wild, Lorenzo Malaguerra et Marc Goldberg

La Chanson de Roland, la bataille de Roncevaux de Jean Lambert-wild, Lorenzo Malaguerra et Marc Goldberg

Il faut imaginer l’arrière-garde de la grande armée de Charlemagne rattrapée et piégée par les Sarrazins. En fait des Basques, transformés en Sarrazins pour justifier la première et prochaine- croisade. Une histoire écrite par un ou plusieurs poètes anglo-normands à la gloire de leurs suzerains.
Les Pyrénées au moins n’ont pas oublié la geste de Roland et le son mourant de l’olifant appelant l’armée de Charlemagne… qui arriva trop tard. « C’est l’histoire d’une pâtée militaire qui nous est racontée comme une victoire » dit Frédéric Boyer. Mais comment raconter sur scène une telle épopée et ses contradictions? Jean Lambert-wild a une fois de plus embauché Gramblanc, son personnage de clown blanc en pyjama rayé. L’idée savante : les chansons de geste étaient réellement chantées par les jongleurs devant un public populaire. Marc Goldberg a écrit une traduction actuelle, poétique et fidèle à la simplicité de l’original. Il nous fait entendre l’élan du décasyllabe et le rythme de l’assonance de la poésie parlée, et non la rime écrite et savante.

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Côté jardin, une baraque de foire aux couleurs vives: l’abri de l’ânesse Chipie de Brocéliande (c’est son nom !) et parfois des poules :Suzon et Paulette… Côté cour, un fauteuil avachi, une table de nuit à tout faire et un vieux poste de radio : le repaire de l’ancien combattant Turold, (Jean Lambert-wild) porteur du récit.
Vincent Desprez est le servant de scène mais aussi le partenaire, l’alter ego et le dresseur de poules, fournisseur d’inventions circassiennes qui font avancer les choses. Aimée Lambert-wild mène la gracieuse ânesse à la croix de Saint-André.


Ici, les animaux apportent beaucoup plus et mieux, qu’une présence insolite. Ils évoquent l’errance du jongleur et la place de village avec élégance et servent aussi de bouche-trous, quand il s’agit d’illustrer cette bataille héroïque. Le roi ennemi est un âne ? L’ânesse couronnée se couchera ainsi doucement en un beau mouvement très maîtrisé, pour figurer la mort des guerriers.

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De certains spectacles populaires actuels, les auteurs ont cru bon garder l’usage intempestif et constant de la musique à fond et d’une voix amplifiée à l’excès. A part cette réserve, nous avons pris un grand plaisir à voir ce travail très précis, sensible et d’un humour mesuré et surprenant. Cette Chanson de Roland nous a donné envie d’aller y regarder de plus près, même du côté d’Alfred de Vigny, dont Le Cor a pourtant occulté l’original.. Faut-il opposer les recherches et commentaires qui accompagnent La Chanson de Roland, à la figure populaire du personnage  comme, entre autres celle du fameux Orlando furioso écrit de 1516 à 1521 par L’Arioste et qui est toujours la vedette des marionnettes traditionnelles siciliennes? Certainement pas. Ce spectacle est comme un petit cirque de village,d’une poésie secrète et savante et nous avons facilement cédé à sa fantaisie ordonnée.

Christine Friedel

Jusqu’au 19 juin, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie. Route du Camp de manœuvre, Vincennes.
Métro : château de Vincennes + navette. T. : 01 43 28 36 36.

Le texte de la pièce est publié aux  Solitaires Intempestifs.

 

Une Histoire d’amour, texte et mise en scène d’Alexis Michalik

Une Histoire d’amour, texte et mise en scène d’Alexis Michalik

Justine, une jeune femme, se fait draguer par Katia qu’elle a rencontrée à un déménagement de copains. Elle n’est pas lesbienne mais va vite tomber amoureuse de Katia. Elle lui jure qu’elle ne la quittera jamais et qu’elles vont fonder une famille… Insémination artificielle pour les deux mais Katia est seule enceinte. Ensuite, vous ne savez pas quoi?  Justine a rencontré un homme, si, si! Elle en tombe amoureuse et fait donc sa valise… Adieu Katia, qui, désespérée, n’acceptera jamais cette rupture et élèvera seule sa fille.

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Douze ans plus tard -elle avait prévenu Justine des risques qu’il y avait à vivre avec elle car sa mère avait été emportée par un cancer foudroyant- Katia, elle aussi, est atteinte d’un cancer et sait qu’elle ne vivra pas longtemps.
Mais ses parents sont morts et personne dans la famille pour s’occuper de la petite fille! Braves gens, prenez vos mouchoirs et essuyez vos larmes… Katia
appelle au secours son frère William, un écrivain ou, du moins, quelqu’un qui essaye de l’être. Il a perdu sa femme dans une accident de voiture -c’est lui qui conduisait!- et noie son mal-être dans le whisky. Mais il avoue honnêtement ne pas être en mesure d’être un bon papa. Braves gens, reprenez vos mouchoirs et essuyez vos larmes…

Le cancer de Katia se généralise et l’oncologue est formel: elle a seulement quelques semaines à vivre. Et William a alors un coup de génie! Il réussit à retrouver Justine -elle s’est mariée avec un homme et a deux enfants- et elle lui demande si elle ne pourrait pas s’occuper de cette future orpheline.
Refus catégorique de la jeune femme qui consent, à la demande de William, à emmener Katia au vert: elles iront en voiture faire un tour au mont Saint-Michel… Et lui, s’occupera de la petite fille pendant quelques jours. Les rapports sont tendus car il a eu la grossièreté  de lire son journal intime mais tout va mieux, quand il lui dit qu’elle a de réels talents d’écrivaine. Bon!

Les retrouvailles sont d’abord du genre acide entre les amoureuses… d’autrefois. Justine pleurniche et dit à Katia qu’elle se sent coupable de l’avoir quittée. Et vous ne devinerez jamais la suite: elles vont se retrouver et faire à nouveau l’amour. Si, si!
Mais Justine trouve Katia inanimée dans le lit et la fait transporter d’urgence à l’hôpital du coin. C’est la fin. Braves gens, prenez encore vos mouchoirs et essuyez vos larmes… La Juge pour la protection de l’enfance la fera au chantage: si William ne boit plus et s’il se fait opérer du caillot de sang qu’il a dans le cerveau, il pourra s’occuper de l’enfant. La chirurgienne présente à côté de la Juge, fixe l’opération au lendemain (du jamais vu!) et il aura le droit de garder la petite fille qui a choisi de rester avec lui au lieu d’être aussitôt placée dans un foyer, puis dans une famille d’accueil… Ouf! Braves gens, vous pouvez ranger vos mouchoirs…

Alexis Michalik a une habileté indéniable à installer une situation tragique et très actuelle comme le cancer de Katia.  Mais les dialogues, certes bien enlevés comme on dit, sont pâlichons, sauf dans quelques rares scènes, comme celle entre William et sa nièce. Cet auteur et metteur en scène qui avait fait un tabac avec Le Porteur d’histoire et Le Cercle des illusionnistes (voir Le Théâtre du Blog)  remet au goût du jour et exploite les vieilles ficelles du mélo qui fait pleurer Margot. Situation de départ posant un grave problème (sinon il n’y aurait pas de pièce!), intrigue mouvementée et sans aucun temps mort avec les protagonistes et de nombreux personnages secondaires joués par les mêmes acteurs, multiples rebondissements ponctuant un torrent verbal.
L
e spectacle est soutenu par la musique (ici Charles Aznavour et des standards américains). Tout comme dans le mélo (musique en grec ancien) populaire au XIX ème siècle où sentiments et successions de malheurs étaient accentués et s’imposaient comme une règle de base, même si la vraisemblance n’était pas toujours au rendez-vous.
Ici, les deux  héroïnes comme la pauvre enfant, sont victimes du destin et sympathiques, le pauvre écrivain un peu moins…. Les ficelles sont plutôt des cordes et il n’y a aucune surprise: chaque petit épisode a quelque chose de téléphoné. Et on ne voit pas très bien ce que vient faire le personnage fantomatique de l’épouse disparue de William en robe rouge, qui esquisse (très mal) quelques pas de danse.

Cela se termine comme cela a commencé, par un chant choral avec Et pourtant de Charles Aznavour. Sur le plateau, tout un mobilier monté sur roulettes: canapé, chaises, bureau, rangée de sièges pour salle d’attente, meuble de cuisine avec évier et frigo, lit, voire même cuvette de w.c. en bord de scène que Katia et Justine vont utiliser mais sans toutefois enlever leur slip. Même chose quand elles font l’amour ensemble. Petite provoc? Oui, mais bon, il ne faut quand même pas choquer un public bourgeois!
Au fond du plateau des images vidéos pour situer l’action: le mur de l’appartement sale et triste de William avec pendule, ou la campagne quand Justine emmène Katia au mont Saint-Michel, etc. Ce genre de béquille ne sert strictement à rien mais ne pénalise pas non plus l’action. Il y a une erreur de mise en scène plus évidente: les scènes sont courtes, voire très courtes et les acteurs passent leur temps à faire circuler ces meubles: nous avons l’impression d’assister à un déménagement permanent en accéléré. Cela parasite le jeu et ne rend pas service aux pauvres dialogues.

Heureusement, Alexis Michalik est plus adroit que l’auteur du même nom, quand il dirige ses acteurs qui jouent (en alternance) Katia, sa petite fille, Justine, son frère écrivain et nombre d’autres personnages secondaires. Ils n’en font pas trop et sont tous crédibles. Une des jeunes filles (elles sont plusieurs, loi oblige) est aussi très juste mais, comme elle a une petite voix, on l’entend parfois mal. Bref, cette heure et demi passe lentement, surtout à cause d’une intrigue et de dialogues pas loin de Plus belle la vie… Et le public? Pas très nombreux, il a applaudi sans enthousiasme.
A vous de décider, si vous avez envie de voir cette Histoire d’amour qui ne fera pas date,  sauvée de justesse par ses interprètes… Et pour les élèves des écoles de théâtre, c’est l’occasion de voir comment plus d’un siècle après, on peut faire ressurgir le mélo comme genre dramatique. Même si bien entendu, le public très bourgeois de la Scala n’est plus du tout le même qu’à l’époque! Cela vaudrait dans doute le coup de jouer la pièce ailleurs qu’à Paris, pour voir les réactions du  public…

 Philippe du Vignal

Spectacle vu à La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème) . T. :01 40 03 44 30.

La Scala-Provence, festival d’Avignon, du 6 au 26 juillet.

Le texte de la pièce est paru en 2020 aux éditions Albin Michel.

J’ai trop d’amis, texte et mise en scène de David Lescot

J’ai trop d’amis, texte et mise en scène de David Lescot

 Dans son précédent spectacle pour la jeunesse, J’ai trop peur (2014), le héros âgé de dix ans s’inquiétait pendant les grandes vacances, de son entrée en classe de sixième… Le début nous laisse quelques instants plongés dans le noir. Seuls, résonnent en voix off, des bruits, mots épars, rires et cris: la cour de récréation n’est pas loin. Dans l’obscurité, le public se sent aussitôt intégré à l’espace  de l’école et de l’amitié. Un monde lointain pour certains, encore proche pour d’autres mais à jamais gravé  dans nos mémoires.

J’ai trop d’amis est aussi le récit tumultueux des premières amours ou des pénibles embrouilles. « Basile : T’es d’accord ou pas ? Moi : Eh ! Oh, Basile ! C’est ma vie privée ! C’est un message secret, je te signale ! Comment tu sais ce qu’il y a dedans ? Tu l’as lu ou quoi ? Basile. Ben oui. Tout le monde l’a lu. Ça vient du fond de la classe. Moi : J’hallucine ! Basile. Bon, est-ce que t’es d’accord ou pas ? Moi. : D’accord pour quoi ? Basile : Ben, pour être avec Marguerite. C’est ça qu’il y a écrit sur le message non ? (Il lit.) “Est-ce que tu es d’accord pour être avec Marguerite? ” Tu vois? » Dur de voir s’effacer un secret et son espace intime glisser dans l’espace public ! Les nouveaux moyens de communication ont sans doute brisé les charmes et les tensions des premiers émois… Sur scène l’apparition soudaine de la clarté, symbole de changement, marque aussi une continuité entre J’ai trop peur et J’ai trop d’amis.
Et leurs personnages sont des caractères, au sens classique du terme. Continuité et échos se perçoivent entre les deux pièces, soulignés par la répétition dans le titre de: trop. Sur le thème du passage de l’enfance à l’adolescence, ces fictions ont chacune leur indépendance. Pourtant David Lescot n’a pas envisagé de retrouver ses personnages dans une prochaine aventure : «Au départ, je ne pensais pas du tout écrire une suite. Mais le spectacle a beaucoup tourné et tourne encore aujourd’hui. Du coup, nous avons eu envie avec le Théâtre de la Ville, d’aller plus loin avec ces personnages. Je pensais aussi aux comédiennes dont certaines ont joué la pièce des centaines de fois et à leur envie d’endosser à nouveau ces rôles dans une autre histoire. Même ressenti pour le public ! Le héros: Moi, revient pour le plus grand plaisir des jeunes et des moins jeunes. Un bon nombre d’entre eux, souhaitait faire un bout de chemin avec lui, savoir ce qu’il devenait. Rien de plus normal entre camarades de classe…  

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Sur la scène à présent éclairée, notre pré-adolescent: Moi, (rôle masculin interprété par une actrice comme tous les autres de la pièce) juché sur un module, semble bien agité ! À la fois fier et inquiet, il s’adresse à la salle. Comme pour se libérer et nous faire part de son inquiétude et de sa joie. Moi: «Alors ça y est. J’’y suis. Je suis en sixième. » Un début, touchant et très drôle où il soliloque en répétant sur tous les tons : «J’ai peur», «J’ai pas peur»,  «J’ai peur» .Comment ne pas faire le lien avec J’ai trop peur ! Mais cette fois, peur de quoi ? De l’entrée en sixième? Le collège est une micro-société où l’intimité et le social se confrontent pour le meilleur et pour le pire. Moi : « Oscar n’est pas du tout mon meilleur ami de CM2, mais c’est quand même quelqu’un de mon CM2. Il fait partie de ma vie ».

Pour Moi et son entourage, amitié, amour et solitude occupent souvent une plus large place que la joie ou le labeur d’apprendre: Moi :« Être dans la bonne sixième, ça veut dire être dans la même sixième que tes copains de CM2. ». La pièce est riche en micro-évènements et contextes comiques, romantiques: Moi«Et j’ai bien vu que la seule qui ne rigolait pas, c’était Marguerite. Mais j’ai l’’impression qu’elle m’a regardé avec un petit sourire très spécial. Et je devrais pas dire ça, mais je suis bien obligé d’avouer que… ça m’a fait plaisir. », ou violents. Expression bigarrée de cet âge,  en pleine exploration de ses désirs, à l’écoute de ses rêves et révoltes : Moi-« Et là normalement là je devrais être mort.  Mais je suis sauvé par la sonnerie de la fin de la récré.(Sonnerie.) Je me dépêche de rentrer en classe pour rester en vie, et derrière moi j’entends les autres rire et répéter à Clarence :“Cassé ! Cassé !”.

Autre pépite de ce spectacle :une  écriture et une mis en scène remarquables. Tous ces points forts de la pièce ne sauraient être aussi éblouissants sans un rythme parfait entre les différents tableaux : 1. Première heure, 2 dans la classe 3 Raconter sa rentrée 4 Elections 5 Clarence 6 Téléphone . Soit douze courtes scènes où dialogues et situations dramatiques s’entrecroisent ou se succèdent sur le thème de l’amour ou de l’amitié : Moi.« J’étais sûr que cette amitié, elle durerait toujours. Et puis je sais pas, on change de classe, on change de vie, et on n’a plus de place pour les gens d’avant. Pourtant avec ceux de ma nouvelle classe, j’ai que des galères.  Ben même.(…)» Entre les différentes séquences,  la question de la réputation, du paraître et les multiples facettes de l’adolescence avec ses découvertes et ses tourments, prennent vie sur un tempo soutenu, avec humour ou parfois brutalité. Nous découvrons le paysage subtil et très contemporain de cet âge instable, en recherche et où les illusions perdues ont parfois déjà leur place. Un moment comique parmi d’autres, l’échange entre Basile et Moi, assis en classe l’un à côté de l’autre : Basile. -« Ma grand-mère elle est norvégienne. Moi: Je sens qu’il a envie de me raconter sa vie, mais je suis déjà assez occupé comme ça avec la mienne. Basile: Pour les téléphones, t’en fais pas, c’est interdit d’en apporter au collège, mais,  comme c’est interdit de fouiller les sacs des élèves, tout le monde a un téléphone dans son sac. Moi: Je comprends rien à ce qu’il me dit, Basile. Je crois qu’il est un peu… débile. Il me demande si je suis populaire. Basile: T’es populaire, toi ou pas ? Moi: Populaire ? Qu’est-ce que ça veut dire, populaire ? »

Ce spectacle s’adresse aux jeunes comme aux adultes. En une suite de moments riches en théâtralité, il nous offre un portrait jubilatoire et émouvant de l’adolescence. Au cours des époques, cette période fragile et intense de l’existence  n’a pas eu les mêmes contours et vibrait différemment. Mais ici, l’auteur-metteur en scène ne cède jamais à la facilité, à une séduction mercantile, à une naïveté vide de sens ou à la caricature. Dans cette réalisation avec une scénographie simple mais très astucieuse de François Gautier-Lafaye, la poésie rayonne sans masquer une lucidité impitoyable, consciente des dérives d’aujourd’hui, « C’est fou, des enfants de douze ans perçoivent des sommes énormes pour être influenceurs sur des réseaux sociaux.» dit  cet auteur-metteur en scène qui travaille avec minutie tel un artisan, l’agencement des situations, et tel un musicien, le maniement des mots. Il façonne à travers son écriture, les multiples visages de la jeunesse actuelle. Écrivain, musicien et homme de théâtre, il met en scène avec une perception profonde et contemporaine, ses personnages pleins de vie, traversés par le printemps de leur existence. Dans toute sa splendeur, joyeuse ou mélancolique !

Nous avons vu le spectacle, la veille de la cérémonie des Molières. Quelle heureuse nouvelle d’apprendre le lendemain sa récompense: Prix jeune public »!  David Lescot avait déjà reçu en 2008 le Grand prix de littérature dramatique et l’année suivante, le Molière de la Révélation du théâtre de l’enfance.

Elisabeth Naud

 Jusqu’au 7 juin, Espace Cardin-Théâtre de la Ville, 1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème).

June Events Listen Here: This Cavern,chorégraphie de Daniel Linehan

 June Events

 Listen Here: This Cavernchorégraphie de Daniel Linehan

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© DannyWillems

 Dans l’obscurité, le public, assis des quatre côtés du plateau nu est invité par une voix douce à s’ouvrir à ses propres sensations. A la flamme vacillante d’une bougie, tel un gourou, le chorégraphe nous appelle à l’introspection… Des ombres viennent se glisser parmi eux : magma compact de corps indifférenciés, les cinq interprètes se répandent en mouvements vibrionnants, oiseaux ou insectes nocturnes au vol saccadé, feux follets affolés… La musique minimaliste et électronique des années soixante de Pauline Oliveros,Stuart Dempster et Panaiotis, enregistrée dans une gigantesque grotte souterraine, a des échos gothiques pour accompagner les déplacements de cette horde humaine, terrifiée par des grondements sourds et des éclairs intempestifs qui percent les ténèbres.

La tribu prend conscience de l’existence d’une nature et de ses lois qui régissent jusqu’à l’homo sapiens et le spectacle se termine en un tourbillon où les danseurs, convertis en derviches tourneurs, épousent les mouvements des planètes, des atomes et électrons qui composent nos organismes. «On oublie vite, dit Daniel Linehan. que nous sommes connectés à d’autres créatures et plantes qui font partie du même système vivant. Elargir notre conception de la chorégraphie en y incluant la danse de toutes les formes de la vie ne peut que nous aider à faire face aux problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui »,

 En ouverture du festival, le chorégraphe belge présentait dans le bois de Vincennes le premier volet de son diptyque Listen Here : These Woods. Les cinq interprètes dansaient avec les sons, l’air, les arbres et la lumière naturelle. Le second volet, Listen Here: This Cavern, plus sombre, s’articule aussi autour du concept : deep listening (écoute profonde) et correspond à une démarche très personnelle de l’artiste à la recherche de conjonctions, juxtapositions et parallèles entre textes, mouvements, images, chansons, vidéos et rythmes.

 Gorka Gurrutxaga Arruti, Renaud Dallet, Anneleen Keppens, Jean-Baptiste Portier et Louise Tanoto se meuvent en liberté dans cette caverne aux échos inquiétants, mais selon une construction structurée par les effets sonores et musicaux. Nos sens sont aiguisés à l’écoute et à la perception des interprètes à peine visibles et dont nous suivons l’évolution erratique grâce à leurs costumes clairs, signés Frédérick Denis et décorés par Geoffroy Darconnat.

D’abord agacés par un texte «new-age» un peu trop abondant, nous nous laissons vite entraîner dans cet univers poétique. «J’essaye d’être poreux, dit le chorégraphe, d’écouter mes organes, leur sombre symphonie, pleine d’espoir». Il est présent au milieu de sa troupe dont les mouvements chaotiques trouvent enfin l’harmonie.

A suivre…

 Mireille Davidovici

Spectacle vu 2 juin, à l’Atelier de Paris-C.D.C.N. 2 route du Champ de Manœuvre, Vincennes. Métro: Château de Vincennes+navette gratuite. T. : 01 41 74 17 07.

June Events se poursuit jusqu’au 18 Juin à l’Atelier de Paris.

 

 

 

June Events 2022 : Earths, chorégraphie de Louise Vanneste

June Events 2022

Earths, chorégraphie de Louise Vanneste

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© Caroline Lessire

Cette artiste belge nous invite à méditer parmi les mousses printanières dans un paysage sonore créé par Cédric Dambrain. Quatre danseuses se mettent à l’écoute des infimes vibrations de la terre. Immobiles, elles s’éveillent poussées par les énergies telluriques. D’abord chacune se déploie lentement, comme pour saisir d’imperceptibles surgissements végétaux… La Nature semble leur dicter des gestes très personnels qui rendent concrète la singulière présence d’un monde vivant.

Paula Almiron, Amandine Laval, Léa Vinette et Castelie Yalombo développent, les unes avec les autres mais à distance, de subtils échanges. Puis elles amorcent des déplacements aux quatre coins du plateau et leurs lignes d’erre se croiseront parfois mais pas toujours. Quand les éclairages du scénographe Arnaud Gerniers deviennent crépusculaires, elles mèneront alors, telles des nymphes de la mythologie, une danse aux accents lunaires sous les faibles pulsations de la musique qui s’éteint progressivement. Inspirée depuis plusieurs années par le potentiel d’incarnation et d’imagination du végétal, Louise Vanneste construit ici une pièce fluide, fondée sur des interactions intuitives entre les interprètes dans un écosystème forestier propice à la sérénité.

Après une formation en danse classique, cette chorégraphe s’est dirigée vers la danse contemporaine, entre autres à la Trisha Brown Dance Company. Avec sa troupe Rising Horses, elle travaille en collaboration avec des artistes issus d’autres disciplines. Elle répète actuellement une pièce pour l’extérieur, coproduite par le réseau Nos lieux communs Metakutse. La  première aura lieu en juillet à l’Essieu du Batut (Aveyron). A suivre.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 2 juin à l’Atelier de Paris-C.D.C.N., Cartoucherie de Vincennes, 2 route du Champ de Manœuvre. Métro: Château de Vincennes + navette gratuite. T. : 01 41 74 17 07.
June Events se poursuit jusqu’au 18 juin.

Le 9 août, Tanzwerkstatt Europa-Joint Adventures, Munich (Allemagne).

Du 13 au 15 décembre, A.D.C., Genève (Suisse);

 

 

 

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