Adieu Peter Brook
Adieu Peter Brook
Un immense homme de théâtre a disparu à quatre-vingt dix sept ans. Comment dire en quelques lignes une œuvre aussi magistrale et aussi riche? Né en en 1925 dans une famille lituanienne émigrée en Grande-Bretagne, il a commencé par faire des études de littérature comparée et a écrit des scripts pour la télévision. Mais il a aussi commencé à faire à dix-sept ans une adaptation de La Tragique histoire du docteur Faustus de Marlowe. Et il met en scène déjà Shakespeare mais aussi assez curieusement des auteurs français contemporains comme André Roussin et Jean Anouilh (L’Alouette et Colombe) mais aussi d’un autre niveau: Jean-Paul Sartre, Jean Genet et Peter Weiss.
Influencé par des metteurs en scène, d’abord et surtout par Vsevolod Meyerhold, puis Jean Vilar, Jacques Copeau, Giorgio Strehler et Bertolt Brecht, il cherchera constamment à mettre en valeur le texte et condamnera un théâtre bourgeois où il ne se reconnaît pas. Il monte aussi des opéras au Covent Garden. Il réalise en 1953 pour la télévision américaine une belle adaptation du Roi Lear avec Orson Welles et six ans plus tard, à Blaye ( Gironde) un film Moderato Cantabile, d’après le roman de Marguerite Duras avec les jeunes Annie Girardot, Jeanne Moreau et jean-Paul Belmondo.
Il crée à Londres, nombre de pièces de Shakespeare, comme entre autres Hamlet, Le Roi Lear , etc. avec la Royal Shakespeare Company. Ou plus tard à Paris Le Songe d’une nuit d’été dans un espace vide ce dont il fera ensuite une de ses théories. Il avait aussi monté quelques années avant Marat-Sade de Peter Weiss et Us sur une pièce sur la guerre au Viet nam dans une mise en scène fondée sur un travail d’improvisation, ce qui était très novateur.
En 68, invité par Jean-louis Barrault alors directeur du Théâtre de l’Odéon pour participer à un atelier théâtral et fonde trois ans plus tard , le Centre International de Recherche Théâtrale où il va travailler avec des acteurs de différents pays. Ce sera comme sa marque de fabrique au cours d’une vie de travail théâtral particulièrement fécond.. Invitée par le shah en Iran, il crée Orghast, en 1971. Puis avec ses acteurs, il ira découvrir les formes traditionnelles du théâtre africain et travaillent ensuite aux Etats-Unis. Puis Peter Brook s’installe à Paris en 1970. et l’année suivante découvre un ancien théâtre devenu cinéma puis laissé à l’abandon. Le désormais fameux Théâtre des Bouffes du Nord qu’il va laisser ou presque dans son état d’origine. Mais il transforme la plus garde partie du parterre en avant-scène : il créée donc une grande proximité des acteurs avec le public. Il y créera toute une série de spectacles qui feront date dans l’histoire de la mise en scène contemporaine. Dont La Tragédie de Carmen, avec Hélène Delavault, musique de Marius Constant adaptée de l’opéra de Georges Bizet et avec seulement quelques accessoires une magnifique Cerisaie.
Et un choc pour tous ceux qui comme nous ont ont eu le privilège en 85 de le voir neuf heures durant dans la carrière Boulbon au festival d’Avignon le majestueux 1985, création du Mahâbhârata, d’après la célèbre épopée hindoue . Il en fera aussi une adaptation au cinéma mais nettement moins réussie sans doute à cause d’une scénographie peu convaincante. Ou encore sa magistrale Conférence des Oiseaux.
Quel metteur en scène contemporain autre que lui, aura réussi au moins une dizaine d’excellents spectacles et un bon film? Il y faut une curiosité des théâtres étrangers, une énergie mais aussi une intelligence et une sensibilité scéniques exceptionnelles. Peter Brook aura aussi été un grand théoricien qui influencera plusieurs générations d’acteurs et de metteurs en scène surtout dans les années 80. Et ce que l’on sait moins, il a généreusement prêté sa belle salle de répétitions à nombre de jeunes compagnies désargentées, entre autres le Trace Théâtre.
Dans son Espace vide, il veut montrer « que le théâtre est un art autodestructeur. Il est écrit sur le sable. Le théâtre réunit chaque soir des gens différents et il leur parle à travers le comportement des acteurs. Une mise en scène est établie et doit être reproduite – mais du jour où elle est fixée, quelque chose d’invisible commence à mourir. » Avec lui disparaît un metteur en scène au travail exemplaire avec de dizaines de mises en scène qui a donné un sacré coup de dépoussiérage à un théâtre français bien fait mais souvent dépourvu d’imagination notamment en faisant entrer dans sa compagnie des de grands acteur étrangers comme l’Anglais Bruce Myers,le Japonais Yoshi Oïda, le Malien Sotigui Kouyaté, le Japonais Yoschi Oïda ou le Polonais Andrzej Seweryn et en revoyant les grands principes de la scénographie. ce qui à l’époque n’était pas si courant…
Nous avons vu la presque totalité de ses réalisations théâtrales Tous n’avaient pas la même intensité mais tous avaient une âme et une très haute qualité d’interprétation. Et les Bouffes du Nord resteront habités à jamais par son esprit. Impossible d’y aller sans penser à tous ses spectacles qui attiraient à chaque fois tellement le public. Merci à Peter Brook pour tout ce ce que vous aurez apporté au théâtre français.
Philippe du Vignal
Les obsèques de Peter Brook auront lieu dans la stricte intimité le lundi 11 juillet. En accord avec sa famille, des hommages lui seront rendus prochainement au Théâtre des Bouffes du Nord.