Festival de Marseille 2022 Depois do Silêncio ( Après le silence) mise en scène de Christiane Jatahy , images de Pedro Faersteinen (en portugais (Brésil) surtitré)
Festival de Marseille 2022
Depois do Silêncio ( Après le silence) mise en scène de Christiane Jatahy, images de Pedro Faersteinen (en portugais (Brésil) surtitré)
«Danse et corps en mouvement sont l’A.D.N. de ce festival créé en 1996 qui a déjà une longue histoire »,dit Marie Didier, sa nouvelle directrice. Elle a conçu la programmation dans la foulée de son prédécesseur Jan Goossens (voir le Théâtre du blog), mêlant artistes locaux et internationaux, spectacles hors normes ou plus traditionnels, et présentés dans quatorze lieux partenaires. En avant-première d’une longue tournée, Dopois do Silêncio trouve naturellement sa place dans ce programme ouvert sur la diversité et les mouvements citoyens.
Sur scène, trois actrices et un musicien vont rompre le silence qui s’est abattu sur les assassinats des militants des luttes paysannes et nous replonger dans la vie à des agriculteurs brésiliens d’hier et d’aujourd’hui, autochtones ou anciens esclaves: « Beaucoup de gens sont assassinés car ils défendent la terre. Des indigènes d’Amazonie d’aujourd’hui, aux activistes qui défendent les petits agriculteurs sur l’ensemble du territoire brésilien. Beaucoup de gens ont déjà sacrifié leur vie pour cette cause. »
Comme à son habitude, Christiane Jahaty mêle théâtre et cinéma, une forme adéquate pour ce documentaire-fiction, à partir d’un roman : Torto Arado (Sillon tordu) du géographe bahianais Itamar Vieira Junior qui raconte l’histoire des sœurs Bibiana et Belonísia dans une fazenda de l’arrière-pays de Bahia. Elles appartiennent à une communauté des Quilombolas, ces anciens esclaves devenus travailleurs ruraux sans terre et sans droits qui se battent pour leur survie. L’intrigue se passe à Água Negra, dans la Chapada Diamantina dans le nord-est du Brésil, où le romancier a longtemps travaillé et séjourné.
Cette fiction romanesque se conjugue avec l’action du film Cabra Marcado para Morrer (Un type désigné pour mourir), du célèbre documentariste brésilien Eduardo Coutinho. Il y est question de João Pedro Teixeira, leader paysan de la même région, assassiné en 1962. Le tournage, commencé en 1964, fut interrompu à cause du coup d’Etat militaire, et ne reprit que dix sept ans après, avec les témoignages des paysans qui avaient travaillé sur le premier film. Les images du documentaire sont projetées sur un triple écran en fond de scène, mêlées à celles tournées par l’équipe de Depois do Silêncio où témoignent des habitants de l’arrière pays de Bahia et apparaissent les artistes qui sont en même temps présents sur scène, donnant à la fiction théâtrale un double effet de réel. En superposant des vies, des époques, des lieux et des histoires, la pièce met en tension toutes ces strates, et ramène des questions locales à des problématiques universelles. La lutte d’une communauté d’agriculteurs descendants d’esclaves pour sa terre, sa liberté et son identité n’est-elle pas notre cause commune ?
Dans cette mise en abyme vertigineuse, les actrices ont des rôles multiples : l’une incarne l’arrière-petite fille de João Pedro Teixeira. « Assassiné par des policiers. Assassiné par des exploitants agricoles. Des politiciens. Par l’État, par les propriétaires terriens. Et ces personnes demeurent impunies. » Et dans le film d’Eduardo Coutinho, apparaît Elisabeth, la veuve de João Pedro Teixeira. En parallèle, sur scène, une autre veuve prend la parole, celle de Severo dos Santos, lui aussi assassiné pour avoir défendu son peuple… Ces destins de femmes se croisent avec ceux des sœurs Bibiana et Belonisa du roman d’Itamar Vieira Junior où les humains coexistent avec les esprits : les Enchantés ( du brésilien encantados). Invisibles, ils s’emparent de certaines personnes et par un enchantement leur donnent des pouvoirs magiques. Ils sont invités chez les Quilombolas d’Água Negra lors de cérémonies, le jarê. Christiane Jahaty met en scène une transe qui, jouée en direct, sera aussi filmée…
Née à Rio de Janeiro, l’artiste connaît bien le Brésil profond et, à travers les luttes des plus démunis, nous fait pénétrer dans leurs croyances ancestrales importées d’Afrique, que la colonisation et la christianisation n’ont pas déracinés. Les actrices Gal Pereira, Juliana França et Lian Gaia s’approprient leurs rôles avec conviction, ajoutant à l’effet de réel. Mais elles savent aussi rester à distance par des adresses au public. Sur scène avec elles, Aduni Guedes, qui cosigne la musique avec Vitor Araujo, joue une partition riche en bruitages. Nous sommes happés par un tissage complexe d’éléments scéniques et textuels mais jamais perdus dans ce labyrinthe et parfaitement maîtrisé.Ce spectacle très abouti constitue le troisième volet de la Trilogie des Horreurs entamé en 2021 par Christiane Jatahy, avec Entre Chien et Loup, sur les mécanismes du fascisme à partir du film Dogville de Lars Von Trier et Before the Sky falls (Avant que le ciel tombe), d’après Macbeth , sur le machisme toxique. Cette fois-ci, elle nous livre une œuvre sensible qui touche au plus près à ses origines.
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 1er juillet, au ZEF, Scène Nationale de Marseille, avenue Raimu, Marseille (XIV ème). Le Festival de Marseille se poursuit jusqu’au 9 juillet. T. : 04 91 99 00 20
Les 20 et 21 octobre De Singel, Anvers (Belgique) ; du 16 au 18 novembre, Théâtre National Wallonie, Bruxelles (Belgique) ; du 23 novembre au 14 décembre, Cent Quatre, Paris.
En 2023÷
Schauspielhaus, Zurich (Suisse), Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris;, Maison de la Culture, Grenoble (Isère) ; Madrid (Espagne); Piccolo Teatro,Milan (Italie), Théâtre populaire roman de La Chaux-de-Fonds (Suisse), Besançon, Villeurbanne, C.D.N. Dijon Bourgogne Dijon (Côte d’Or) .
* Torto Arado est édité au Brésil chez Todavia