Festival d’Avignon: Leurs Enfants après eux,d’après Nicolas Mathieu, mise en scène d’Hugo Roux

Festival d’Avignon

Leurs Enfants après eux,d’après Nicolas Mathieu, mise en scène d’Hugo Roux

©Yannick Perrin

© Yannick Perrin

Un beau titre -comme celui de La vie est un long fleuve tranquille, tirés de l’Ancien Testament : «Il en est dont il n’y a plus de souvenir, Ils ont péri comme s’ils n’avaient jamais existé. Ils sont devenus comme s’ils n’étaient jamais nés. Et, de même, leurs enfants après eux.» L’auteur qui a vécu près d’Epinal (Vosges) raconte la vie de ces très jeunes gens mais aussi, comme en filigrane celle de leurs parents, tous victimes de la désindustrialisation en Moselle dans les années quatre-vingt dix. Les hauts fourneaux et le métallurgie qui faisaient vivre toute une région, disparurent les uns après les autres, victimes programmées d’un manque de prévision à l’échelon de l’Etat…

Nicolas Mathieu parle aussi du désir sexuel et de la découverte du sentiment amoureux chez ces jeunes français ou enfants d’émigrés à peine issus de l’adolescence qui essaient de se construire, malgré un chômage endémique.Mais lil évoque aussi les embrouilles, l’humiliation,du sentiment de déclassement, les trafics de dop et la violence dans les trop fameuses ZUP, nouveau ghettos des grandes villes européennes. Le personnage central, sans doute d’origine autobiographique, Anthony quatorze ans, s’ennuie. Fasciné par les filles, toutes plus mûres que lui. Pas très bien dans sa peau, il rencontre tout de même Steph et pour aller avec son cousin à une fête chez des bourgeois, il emprunte la moto Yamaha de son père, sans doute une fierté et le fruit de bien des économies!
Mais il oublie l’antivol et, bien entendu, une fois la fête finie, il ne la retrouve pas… Volée par Hacine, un jeune de la ZUP. Anthony qui craint une violente colère de son père, ose quand même en parler à sa mère. Ils vont alors voir le père de Hacine pour essayer de récupérer la moto. Rendu furieux par cette histoire qu l’humilie, il frappe son fils à coup de ceinturon. Mais Hacine ira brûler l’engin devant l’appartement des parents d’Anthony qui, à son tour,  pour se venger, se bagarrera avec Hacine.

Deux ans plus tard, en 94, Anthony dont les parents ont divorcé, travaille dans un club nautique. Un soir, il retrouve Steph (dix-huit ans) qui ne semble plus si indifférente. Mais il part rejoindre la nuit sous sa tente, Vanessa. Steph, elle, a un amoureux : Simon qui l’a invitée cet été avec son amie Clem chez un cousin sur la côte basque. Mais, au dernier moment, Simon lui dit avec un certain cynisme qu’il s’en va aux Etats-Unis. Et elle rompt avec lui. Hacine lui a été prié d’aller au Maroc rejoindre sa mère pour lui éviter les tentations mais il monte un juteux trafic de hasch.

© Yannick Perrin

© Yannick Perrin

A un enterrement, il tombe sur Anthony qu’il agresse dans les toilettes d’un bar. Patrick, son père qui alors comprend tout, tabasse Hacine. Anthony part retrouve Steph qui pour se venge de Simon, fait l’amour avec cet encore adolescent. Puis il s’engage dans l’armée pour s’éloigner de sa mère déprimée et de son père alcoolo. Steph revient après être allée deux ans à Paris en classe prépa. Hacine, enfin un peu calmé, vite en couple avec Coralie et ils ont même eu un bébé

Les années ont passé. 1998 : Match de foot France/Croatie en demi-finale de la Coupe du monde. A Heillange, tout le monde regarde la retransmission. Comme Anthony, réformé de l’armée après une blessure. Hacine a juste un SMIC mais s’est offert une moto Suzuki TS 125. Colère de Coralie qui le menace de partir avec leur fille chez ses parents.
Dans un bar, Hacine et Anthony assistent à la seconde mi-temps du match. Début de réconciliation.entre les jeunes gens… Anthony réussit à lui emprunter sa Suzuki pour aller juste faire un tour ; en fait pour aller voir Steph qui le repoussera. Très déprimé, Anthony ira le lendemain avec sa mère pique-niquer au bord du lac où son père s’est noyé. Puis il remettra  la moto devant le magasin où travaille Hacine.

Les mots d’un langage quotidien sonnent juste et Nicolas Mathieu n’en rajoute pas quand il fait parler des jeunes de milieu défavorisé. Et il sait aussi bien montrer à la fois la disparition progressive d’une classe ouvrière dans l’industrie française et la coupure entre deux France qui s’ignorent. Le seul moment de communion sociale semblant être un grand match de foot… D’où sans doute le succès de ce roman couronné par le Goncourt puis adapté en série télévisée. et enfin recréé et mis en scène déjà par Simon Delétang au festival de Bussang (Vosges) avec treize jeunes acteurs issus de l’ENSATT.
Puis Hugo Roux en monte une autre version cette année à Thonon-les-Bains. D’abord les fleurs : impeccable direction d’acteurs -tous et tout de suite crédibles-  Diction et gestuelle d’une rare précision, grande unité de jeu, ce qui n’est pas si fréquent. Vérité des costumes et sobriété des quelques éléments de décor, des lumières et plages musicales. Tout ici est d’une rigueur absolue et bénéficie à l’évidence d’un long et fructueux travail de préparation et la mise en scène est d’une belle fluidité. Et il y a des moments particulièrement réussis comme une scène d’amour ou la confrontation entre Hacine et son père.
Là où cela va nettement moins bien : Hugo Roux ne maîtrise visiblement pas la dramaturgie de cette fresque sociale : c’est l’éternelle histoire du passage d’un roman à la scène. Ceux qui comportent beaucoup de dialogues s’y prêtent mieux. Et ceux où le récit est important ? Il n’y a pas de règle absolue et une adaptation de L’Odyssée même pas très bien montée, fonctionne presque à tous les coups. On comprend bien que le metteur en scène ait voulu garder la substantifique moelle du roman mais à l’impossible, nul n’est tenu et ici certaines scènes auraient pu être sans dommage aucun, être supprimées. Le spectacle -coup classique- diminue d’intensité vers la fin. Sans doute faudrait-il resserrer un peu le texte et Hugo Roux, épargnez-nous ces abondants jets de fumigènes qui ne servent rigoureusement à rien et qui sont devenus la tarte à la crème du théâtre contemporain. Votre spectacle mérite beaucoup mieux que cela et votre concepteur-lumière peut arriver au même résultat .
Ces réserves mises à part, allez voir ce spectacle très soigné et auquel on ne peut rester indifférent. Il faudra absolument suivre Hugo roux et son équipe.

Philippe du Vignal

Le Onze à 22 h 10, 11 boulevard Raspail, Avignon.

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