Le Moine noir, d’après Anton Tchekhov, traduction de Gabriel Arout, adaptation et mise en scène de Kiril Serebrennikov
Festival d’Avignon :
Le Moine noir, d’après Anton Tchekhov, traduction de Gabriel Arout, adaptation et mise en scène de Kiril Serebrennikov
Le metteur en scène russe a déjà été invité au festival avec Les Idiots en 2015 et l’année suivante avec Les Ames mortes et Outside en 2019. Sa mère était ukrainienne, comme, entre autres, le grand Nicolas Gogol, et il est devenu une figure emblématique de la résistance au pouvoir de Vladimir Poutine. Très mal vu pour des raisons politiques par le Kremlin (Kiril Serebrennikov a signé des lettres ouvertes demandant la libération de Svetlana Bakmina, une des membres du groupe Pussy Riot).Et il a depuis quelque dix ans, a fait l’objet de perquisitions dans le cadre d’une enquête diligentée soit disant pour détournement de fonds publics de 68 millions de roubles (un million d’euros). Arrêté après deux années d’assignation à résidence, il a été condamné à trois ans de prison mais avec sursis.
Il a donc préféré s’exiler en Allemagne et a construit ce spectacle avec la troupe du Thalia Theater de Hambourg et certains de ses acteurs russes. Le grand metteur en scène Thomas Ostermeier, le directeur de la Schaubuhne à Berlin l’a beaucoup soutenu et mis en ligne une pétition signée entre autres par l’écrivaine Elfriede Jelinek et par de nombreux artistes, exigeant du Pouvoir russe l’arrêt de ses poursuites…
Le Moine noir,une nouvelle d’Anton Tchekhov est inspirée de légendes russes et bien connue mais peu en France. A la relire, ce n’est pas sans doute non plus l’une de ses plus réussies. Andreï Kovrine, un jeune et brillant philosophe très abattu, va aller se refaire une santé dans la grande et belle propriété d’arbres fruitiers où vit son grand ami Pessotski avec sa fille Tania.
Mais il va vite être atteint par une hallucination, aux limites de la folie : il voit souvent un moine vêtu de noir qui lui répète que la liberté n’est peut-être qu’une illusion mais qu’il vaut mieux la vivre, et comme un jeune arbre pousser librement. Il y a dans cette nouvelle, toute une leçon sur la nécessaire taille des arbres si on veut qu’ils produisent beaucoup de bons et beaux fruits, sur l’obligation aussi de les récolter par temps sec, pour arriver à les conserver en bon état. Visiblement, une arboriculture très bien maîtrisée et depuis longtemps par Pessotski. C’est aussi une réflexion sur le bonheur et le prétendu génie des êtres d’exception et la vie des hommes soit est libre et donc forcément plus risquée comme celle des végétaux, soit très conforme mais pas très passionnante, et qu’on retrouve en filigrane entre autres, chez Tchekhov dans Les Trois Sœurs ou La Mouette.
Kirill Serebrennikov, à partir de cette longue nouvelle, a écrit avec les mêmes personnages une sorte de quête existentielle en quatre épisodes sur la vie de Pessotski très attaché à son domaine et qui craint de le voir disparaître après sa mort. Il rêve de voir Tania se marier avec Kovrine ou au moins avoir une liaison avec lui. Et il ne lui demande pas tellement son avis.
Obsédé qu’il est par son désir de faire perdurer sa réussite en arboriculture et sa sœur aussi se méfie du jeune homme. Mais Pessotski voit vite que le génial Kovrine n’est pas le gendre idéal: il délire, injurie Katia et devient vite un personnage sans intérêt. Finalement, le jeune philosophe et chercheur orgueilleux n’aura apporté que le malheur et la souffrance ! Dure leçon…
Sur le grand plateau de la Cour d’ Honneur, un saxophoniste joue une musique d’ouverture. Il y a trois serres, ou du moins des apparences de serres, assez laides, couvertes d’un simple film plastique où il a fallu faire des incisions pour qu’elles résistent hier soir au violent mistral peu fréquent, mais qui a ici par le passé détruit quelques spectacles. A l’intérieur d’une des serres, un pianiste et un violoniste, et dans une autre, une bande d’ouvriers agricoles. C’est souvent la fête, il y a de la bonne musique et la vodka coule à flots. Et nous assisterons avec des images en gros plan retransmises côté jardin sur un écran rond (et tant pis pour les spectateurs des rangs éloignés ou non, du côté cour!), aux scènes d’hallucination de Kovrine et à d’autres. Mais il n’y a jamais d’émotion, les micros H.F. avec leur son écrasant et sans nuances n’y étant pas pour rien… Non, ce n’est pas, comme on a pu le dire, un spectacle magistral mais magistralement monté, ce qui n’est pas la même chose…
Il y a pourtant de très belles images sans doute inspirées de celles que nous offrait le grand Polonais Tadeusz Kantor: Katia en mariée avec un très long voile écharpe blanche flottant dans le mistral, ou ces ouvriers agricoles tassés dans la serre et regardant Kovrine, Katia et son père. Ou encore ce moine noir multiplié par vingt jeunes acteurs alignés sur une série de bancs face public. Et les chœurs d’hommes aux voix graves sont de toute beauté. Mais le plateau est très souvent noyé de fumigènes et de lumières rouges, des procédés bien conventionnels…
La première heure se laisse regarder mais ensuite l’auteur-metteur en scène ne semble plus très bien savoir où il va et il reste encore presque deux heures ! Avec un texte bavard, et souvent les mêmes phrases répétées comme si Kiril Serebrennikov avait peur que nous nous ne comprenions pas et des considérations sur la souffrance, la liberté ou l’absence de liberté, le sacré, la mort, la souffrance…
On s’ennuie? Oui, assez vite même s’il se passe toujours quelque chose de nouveau. Il y a eu peu de départs de spectateurs qui semblent comme anesthésiés- à la fois par le mistral et un texte bavard et répétitif qui n’a plus grand chose à voir avec la nouvelle d’Anton Tchekhov. Ils regardent souvent leur portable plutôt que la scène…
Puis dans la dernière partie, l’auteur et metteur en scène veut nous emmener vers une vision mystique avec projections de beaux cercles graphiques sur le mur du Palais des Papes mais que viennent-ils faire là. Il y a aussi d’immenses images sur le mur du visage d’Andreï Kovrine… Puis, comme si Kiril Serebrennikov ne savait pas trop comment finir, son spectacle qui manque déjà d’unité, vire à une sorte d’opéra, avec de très beaux chants et quelques parties dansées par un dizaine de moines habillés (ou presque pas) en noir. Et cela se termine sur une dernière danse… Comme si le temps imparti s’était écoulé, et donc le contrat rempli. Bon…
L’auteur-metteur en scène a déjà prouvé qu’il savait diriger et il le fait encore avec une grande virtuosité. Ses nombreux acteurs, à la fois russes et allemands, sont tous excellents. Mais pourquoi faire appel pour jouer Andreï à trois comédiens différents? Et désolé, c’est un spectacle brillant mais vide de sens ou presque, et finalement assez prétentieux. A l’extrême fin, s’affiche : STOP THE WAR en grandes lettres sur fond rouge sur le mur du Palais… Un peu facile?
Le public a applaudi les acteurs, l’autre non et il y a eu peu de rappels. Certains spectateurs se sont levés sans doute pour applaudir aussi ce STOP THE WAR… Décidément, après la très contestable Cerisaie de Tchekhov (voir Le Théâtre du Blog) mise en scène l’an dernier par Tiago Rodrigues, la grande Cour ne porte pas bonheur à Tchekhov. Vous voilà prévenus. A vous de voir…. Et les bonnes places: à 40 ou 35 €, sont par les temps qui courent, quand même chères pour un spectacle aussi peu convaincant.
Philippe du Vignal
Jusqu’au 15 juillet, Cour d’honneur du Palais des papes, Avignon.
La nouvelle Le Moine noir d’Anton Tchekhov, traduction de Gabriel Arout, suivie de l’adaptation de Kiril Serebrennikov, est éditée chez Actes Sud-Papiers.