Le Nid de cendres, texte et mise en scène de Simon Falguières

Le Nid de cendres, texte et mise en scène de Simon Falguières

Ce spectacle en treize heures sonne comme une éventuelle réponse à Ma jeunesse exaltée (dix heures seulement!) d’Olivier Py au Gymnase du lycée Aubanel. Nous avions vu en 95 -du moins en partie- sa Servante, en vingt-quatre heures qui l’avait lancé. Les longs spectacles, c’est un peu dans les gênes du festival d’Avignon où avait été créé le fameux Soulier de Satin de Paul Claudel dans la mise en scène-culte d’Antoine Vitez et le Mahabharata de Peter Brook à la Carrière Boulbon.

Nous avions vu Anne et Gabriel, première partie de ce Nid de cendres au Théâtre de l’Idéal- à Tourcoing, berceau du Théâtre du Nord-Centre Dramatique National à Lille. Cette œuvre- fleuve de douze pièces, écrite et mise en scène par Simon Falguières est créée au Festival cette année. « Le Nid de cendres, dit-il, est l’histoire d’une rencontre entre mon écriture et une famille de jeunes comédiens talentueux. Elle est écrite pour eux, pour leurs voix.»

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 Cette première partie avait résulté d’un long travail chaque été dans le jardin de la maison. C’est à la fois un long fleuve tranquille où se déroule une sorte de fable du présent comme un conte oral. « D’un côté, les machines qui gouvernent la finance se détraquent, dit Simon Falguières. Des hommes et des femmes se révoltent. Parmi eux, Jean, Julie et leur nourrisson, Gabriel, sont en fuite dans l’Occident en flammes. De l’autre côté, (…), une reine se meurt. Sa fille, la princesse Anne, prend la mer à la recherche d’un remède, traverse les limbes et se retrouve dans les cendres de l’Occident…”

Impossible déjà de résumer les cinq heures de ce spectacle, et encore moins ces treize heures de ce conte magnifique. Cela commence par une petite princesse Anne qui vient au monde mais aussi un enfant Gabriel qui va être abandonné par ses parents; ils fuient une Europe qui est entrée dans une guerre terrible et il  y a aussi une petite troupe de théâtreux avec leur roulotte, dirigée par Argan, un vieil acteur… Et encore la belle et jeune Etoile, tombée amoureuse de Gabriel, alors devenu le chef de troupe. Mais voilà, lui ne l’aime pas, parce qu’une voyante lui a prédit le bonheur avec une femme  qui est en haut d’une tour…

Comme dans cette première version, c’est ici un spectacle flamboyant, une sorte d’épopée, où Simon Falguières veut raconter le monde actuel mais à la façon d’un conte et où se succèdent de courtes scènes sur le plateau presque nu parfois tendu de tissu blanc et sur un formidable praticable monté sur roulettes conçu par Emmanuel Clolus, le scénographe attitré de Wouajdi Mouawad.

8D010E3C-4C1C-4B6A-8165-748FA71D8E04C’est long ? Oui et mais aussi bizarrement, pas du tout si on accepte de se laisser embarquer et même si parfois on est moins attentif mais cela fait partie du jeu.. Et il y a deux entractes et plusieurs pauses. La première partie (six heures) est à peu près la même qu’à Tourcoing. Quitte à nous répéter, c’est une aventure théâtrale comme on les aime: absolument hors-normes. Ici pas de vidéo, aucun pittoresque, rien dans le paraître et la frime. Mais une profonde exigence dans la direction d’acteurs qui ont toujours un ton juste en permanence -aucune criaillerie et tous les personnages sont absolument crédibles. alors qu’ils sont ceux d’un conte. Et il y a une fluidité exceptionnelle dans toute la mise en scène et une série d’images tout aussi exceptionnelle. Elles font parfois penser à celles que le jeune Bob Wilson, celui du célébrissime Regard du Sourd ou de La Lettre à la reine Victoria. Mais elle ne nuisent jamais à la parole et réciproquement.
Il y a sans cesse des inventions comme ce très beau moment où tous les volets d’une maison claquent en même temps. Et alors à un plein feux, succède un dialogue dans un noir absolu pendant quelques minutes. Sans doute quelques micros d’ambiance mais aucun surlignage sonore Juste un peu de fumigène comme partout mais on pardonnera…

Et la gestuelle très précise, n’a rien de roublard et reste mise au service du  texte. Simon Falguières a un sens exceptionnel de l’espace et du temps et a réussi à constituer une sacrée équipe de jeunes acteurs (aucun vedettariat), de bons créateurs de costumes: Lucie Charvet et Clotilde Lerendu, et de lumières: Léandre Gans.
John Arnold, ancien comédien du Soleil et que l’on a souvent vu chez dans les spectacles de Christophe Rauck joue là aussi et très bien ce Roi et Argan, le chef de troupe, très souvent sur le plateau. entoure avec affection ces jeunes comédiens qui ont tous plusieurs rôles. Simon Falguières et Mathias Zakhar interprètent deux simples d’esprit en chemise à carreaux et pantalon à bretelles, très drôles, à la Jérôme Deschamps…

Nous assistons toujours attentifs et intrigués par ce qui va suivre à cette suite de scènes comme dans un rêve. Juxtaposées, elle forment cependant un tout cohérent et où il y a sans doute, aussi grâce à cette formidable bande d’acteurs et techniciens, une réelle unité. Simon Falguières est aussi un bon dramaturge et il a une écriture d’une are qualité. Parfois volontairement prosaïque ou empreinte de poésie c’est selon, comme dans une pièce de Shakespeare : «Jean: N’est-ce pas qu’on grandit vite quand on a la mort sur l’épaule. Et toi comment parleras-tu ? Que lui diras-tu demain ? «Mon fils Je n’ai pas de lit pour toi. Je n’ai pas de petite lumière à mettre à côté de toi. Je n’ai pas de bonne nourriture pour toi. Je n’ai pas de musique pour toi De petits amusements ni de jouets pour toi. Je n’ai plus de mots pour toi. Ton père est parti bien loin je vais te laisser là. Courage mon fils. » Argan : Le jour sera cure de silence Un grand dessin à l’eau sur une page blanche. Pas de trace de nos voix dans les airs Non Seulement nos yeux. Et la nuit A la pudeur de l’abri A la bougie de notre roulotte Nous réciterons Homère, Shakespeare, Sophocle… Bélise : « Et nous ferons des rondes de sommeil Pour que la parole ne s’arrête pas. »

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Simon Falguières a été fortement influencé par Homère mais aussi par le grand Will et les tragiques grecs ( il y a pire comme école de dramaturgie !) mais aussi par Maurice Maeterlinck et Arthur Rimbaud. Et cette quarantaine de personnages semblent tout droits sortis d’un conte: comme le Le Roi, Le Grand médecin, La Princesse Anne, l’accoucheuse, l’Architecte, le valet du roi… Les différentes parties qui suivent après le premier long entracte sont sans doute d’une écriture moins maîtrisée et le scénario, moins solide. Mais une infime partie du public a quitté la salle mais les autres sont restés jusqu’au bout c’est à dire minuit et la fin avec tous les acteurs réunis est d’une beauté sublime. Et le public a continué à suivre le spectacle avec attention et salué debout toute la troupe.
Nous pouvons être sûr que Simon Falguières va trouver une forme plus courte et encore plus efficace à ette épopée théâtrale qui sera jouée au Théâtre des Amandiers à Nanterre à la rentrée. La création de ce Nid de cendres aura été à l’évidence l’événement du festival, loin de la grande machine prétentieuse du Moine Noir dans la Cour d’honneur et aura prouvé que ce jeune poète dramaturge-metteur en scène sera le Valère Novarina des années qui viennent. Et qu’il ne s’inquiète pas, il est loin de provoquer l’ennui et est même tout proche du théâtre vraiment populaire dont il rêve. Allez voir si vous le pouvez au moins la première partie de ce Nid de cendres (mais c’est quand même 45 €!) : là, il y a grave erreur de stratégie du festival, ce qui explique que la salle soit loin d’être pleine. Mais prenez avec vous de quoi boire et manger un morceau : les tarifs du camion sont aussi exorbitants!

Philippe du Vignal

Jusqu’au 16 juillet de 11 h à minuit, La FabricA, Avignon.

Le Nid de Cendres est publié chez Actes Sud-Papiers. 23 €.

 

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