Festival d’Avignon : Ma Jeunesse exaltée texte et mise en scène d’Olivier Py

 

Festival d’Avignon 2022

 Ma Jeunesse exaltée, texte et mise en scène d’Olivier Py

 L’épopée d’Arlequin, un ambitieux feuilleton de dix heures et quatre parties, consacre les adieux de l’artiste à la direction du festival et sonne comme un bilan de sa carrière. Ce gymnase, il y a vingt-sept ans, accueillait La Servante, pièce fleuve en vingt-quatre heures. Le titre renvoie à cette jeunesse, figurée par le personnage d’Arlequin, symbole du théâtre populaire, convoqué par Alcandre, un poète vieillissant. Avide de transmettre sa flamme d’antan au jeune homme dont il fait son porte-flambeau; comme Pygmalion, il en tombe amoureux. C’est celui qu’il attendait, comme l’annonce la phrase messianique écrite en lettres de lumière fluo sur le fronton de la scène (le manteau d’Arlequin): «Quelque chose vient. »

Les deux compères vont, d’un épisode à l’autre, imaginer des canulars pour piéger des Pantalons, ces vieillards grincheux et libidineux de la commedia dell’arte… Ici le président d’une multinationale (ou de la République), un ministre de la Culture, un prélat (bientôt cardinal). Ces suppôts du capitalisme se liguent contre Arlequin et son maître pour déjouer leurs ruses et avoir leur peau mais, de farce en farce, le héros de cette tétralogie épique retombera sur ses pieds.

 Dans la première partie, un jeune livreur de pizza se métamorphose en héros de théâtre. Il va, avec une troupe de jeunes comédiens, et grâce à la ruse d’Alcandre (le Magicien dans L’Illusion comique de Pierre Corneille), inventer un inédit d’Arthur Rimbaud que les requins de la Finance, de l’Eglise et de la Culture se disputeront aux enchères. «Ils veulent tous le poème mais pas pour le poème.  » Ils en désirent la valeur marchande, à l’instar des collectionneurs d’art qui construisent des musées pour défiscaliser leurs profits. Cela donne lieu à des scènes comiques savoureuses où ces rapaces sont prêt à s’humilier pour arriver à leurs fins : le P.D.G., (Damien Bigourdan) défèque en public, Olivier Balazuc, en évêque libidineux, se livre à un numéro de cabaret trans en bas résille et string rouges. Plus digne, le Ministre de la culture (Flannan Obe) accepte d’être fessé. Emilien Diard-Detoeuf, (un conseiller ministériel ahuri) n’est pas de reste parmi ces comédiens de la vieille garde. Et Céline Chéenne, transfuge de La Servante,  incarne une tragédienne ringarde et une bonne sœur féministe mais revêche. Au piano, Antoni Sykopoulos, qui joue aussi un pharmacien cynique, accompagne le spectacle avec Julien Jolly aux percussions.

Dans cette longue traversée, on retrouve la scénographie mobile de La Servante, signée Pierre-Andre Weitz avec des praticables sur roulettes et déplacés à vue, formant de petites alcôves à jouer. Echelles et escaliers permettent de se déployer en hauteur et se prêtent à des changements de cadrage rapide. Sous les lumières de  Bertrand Killy, ce dispositif rythme l’espace et permet aux interprètes de dépenser toute leur énergie.

D’arlequinade en pantalonnade, cela commence fort et le texte est bien enlevé, quoiqu’un peu ampoulé mais l’auteur le revendique sans complexe et cible allègrement les grands de ce monde, face à un Bertrand de Roffignac survitaminé, à qui le costume à losanges multicolores d’Arlequin va comme un gant. Il caracole en tête de théâtreux allumés (Geert Van Herwijnen, Pauline Dessous, Eva Rami).

 La deuxième pièce où Alcandre et Arlequin  inventent le canular d’une fausse sainte, s’enlise dans un débat théologique compliqué. Et l’on perd la fraîcheur du début, malgré les cabrioles verbales et physiques du remarquable Bertrand de Roffignac qui tiendra le rythme pendant dix heures… La troisième pièce, un repas cannibale avec gags assez graveleux, métaphore de la société marchande toujours plus avide de dévorer l’humain, ne nous a pas davantage convaincus.

 Il nous faudra attendre le dernier épisode pour trouver un état de grâce, notamment avec le magnifique monologue d’Alcandre où Xavier Gallais, déplorant la mort de son Arlequin, met tout son talent à servir le lyrisme inspiré d’Olivier Py. Mais bien sûr, son jeune alter ego va renaître, car pour l’auteur, il est porteur de l’espérance, «une libération mystique» qui nous manque aujourd’hui. «Vous êtes manipulés par le deuil, laissez-vous manipuler par l’espérance»,  dit Alcandre qui, à travers la jeunesse exaltée de sa créature, veut rendre « Rimbaud à Rimbaud, Dieu à Dieu » et… le théâtre au théâtre: «Quelque chose viendra toujours, tant qu’il y aura du théâtre. »

 Malgré de nombreuses longueurs et excès verbaux, mais pour les fréquents morceaux de bravoure et la beauté de la langue, nous n’avons pas regretté d’être resté jusqu’au bout de cette ode baroque au Théâtre. Suivie avec passion par ceux qui, malgré l’heure tardive et la fatigue, ont applaudi à n’en plus finir.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 15 juillet au Gymnase du lycée Aubanel, 14, rue Palapharnerie, Avignon (Vaucluse).

Du 11 au 19 novembre,  Théâtre Nanterre-Amandiers (Hauts-de-Seine) et les 25 et 26 novembre, T.N.P. de Villeurbanne (Rhône).

Le texte est publié aux éditions Actes Sud-Papiers.

 

 

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