Solitaire de Lars Norén, mise en scène de Sofia Adrian Jupither
Solitaire de Lars Norén, mise en scène de Sofia Adrian Jupither
Un amas de personnes, indistinctes, debout sur le plateau, dans un espace rectangulaire tellement réduit qu’elles ne peuvent bouger ni se voir dans la pénombre. Pourquoi sont-elles là ? Quelle sera l’issue de cette situation insupportable ?
Selon les didascalies : « Ils ne sont pas enfermés entre des murs, et pourtant ils ne peuvent pas s’en aller et ne savent pas pourquoi ils sont là ». Hommes et femmes, certaines avec des enfants, pressés comme dans un métro aux heures de pointe, voient leur vie courante brutalement suspendue: «J’étais en route pour faire des courses», dit l’un. «J’allais simplement chercher ma valise , explique une autre, « J’allais déposer ma fille au club de danse », raconte un père… D’interrogatifs, leurs échanges deviennent angoissés puis agressifs verbalement, voire physiquement.
Pour cette pièce de l’auteur suédois (1944-2021), l’une de ses dernières, Sofia Adrian Jupither a conçu une mise en scène minimaliste, sans autre décor qu’une orchestration des voix et bruits environnants : pluie, rats, vent… dans un espace exigu, sorte d’isolat sur le grand plateau et plongé, comme la salle de spectacle, dans l’obscurité. Nous ne les distinguons pas plus, qu’ils ne se distinguent entre eux… La metteuse en scène suédoise, familière de l’œuvre de Lars Norén, a créé sept de ses pièces dont six ont été présentées pour la première fois en public.. « Comme la réalisation repose sur une scénographie du rien, dit-elle, l’espace se construit principalement à partir du son, du travail de clair-obscur et du texte. »
« L’enfer c’est les autres » écrivait Jean-Paul Sartre dans Huis-Clos (1944) où les trois personnages auraient quelque chose à expier. Mais, ici personne n’a rien à se reprocher, ni à reprocher aux autres, si ce n’est leur présence gênante. Nous sommes loin aussi de la cruauté du Radeau de la Méduse, même si le dramaturge dépeint une humanité à la dérive, qui ne va nulle part. sinon à sa perte... Et nous ne saurons que très peu de ces gens, mais leur être essentiel se révèle dans cette situation de survie où chacun joue sa peau. Aucune psychologie mais un climat brut, étouffant et anxiogène.
Dans le noir, le rythme, les silences, pauses et reprises de paroles prennent une grande intensité. Et même si la mise en scène a ménagé de l’air entre les mots, il y a peu d’humour. Les interprètes de trois nationalités -la pièce est coproduite par six théâtres, en Suède, Finlande et Norvège- vont nous tenir en haleine une heure trente, dessinant leur personnage anonyme au fil de répliques banales. Dans l’écriture même, ils sont désignés par des numéros et nous saurons peu de choses de ces gens qui, dans la promiscuité, sont capable d’entraide comme de détestation.« Ce qui est génial dans cette pièce, dit Sofia Adrian Jupither, c’est le retournement de situation. »
Bravo à ces artistes endurants. Lars Norén, considéré comme le successeur d’August Strindberg, Ingmar Bergman, Henrik Ibsen, a connu l’enfermement en hôpital psychiatrique, à l’âge de vingt ans. Sans doute s’en est-il souvenu dans cette oeuvre tardive…
Mireille Davidovici
Jusqu’au 23 juillet à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, (Gard)
Bus n°5 , toutes les demi-heures.
27 août-1à septembre, Folkteatern, Gothenberg (Suède); 14-24 septembre, Svnska Teaterne, Helsinki (Finlande); 3-31 octobre, Riksteaterne, the national touring theatre of Sweden (Suède) .
La pièce, traduction d’Amélie Wendling, est publiée chez L’Arche-Éditeur.