Festival d’Aurillac ( suite)

Festival d’Aurillac (suite)

«S’aérer la tête, prendre une pleine bouffée d’air bien frais puis l’expirer, dit Frédéric Rémy, le directeur du festival….Expirer comme on s’exprime, et ce, même sans entrave, comme on disait… À pleins poumons, crier sur tous les toits, dire ce qui doit, dire son histoire, dire des histoires… Regarder le monde qui ne tourne pas trop rond et redire encore, on n’est pas d’accord…Refaire le monde, refaire société, refaire ensemble ce qui nous lie et ce qui nous délie aussi… (…) Reprendre le pavé, sentir la rumeur, s’en approcher, pas trop, et puis si, carrément ! Être là, être bien là, être ensemble, être bien ensemble… » Ce plus important festival de théâtre dit « de rue » avec celui de Chalon, a lieu dans des cours de collège, places, etc.) ou dans des lieux intérieurs comme depuis longtemps, le théâtre d’Aurillac.

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Et cette année, plusieurs importantes manifestations gratuites réunissant des centaines de spectateurs avec en clôture, les Dark Daughters, célèbres chanteuses et musiciennes ukrainiennes très acclamées ou les remarquables équilibristes des Filles du Renard Pâle au-dessus du square Vermenouze sur cinq cent mètres de câble avec  deux scènes musicales. «Le fil sur lequel j’évolue, dit Johanne Humbert est le lien qui relie un point à un autre, au-dessus des frontières, des barrières, il rassemble. Un lien aussi symbolique que concret avec l’idée d’amener les spectateurs complètement ailleurs, par le bouleversement des codes du funambulisme. »

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Soit un programme éclectique avec quelque trente spectacles sur quatre jours.Et depuis une vingtaine d’années, les Préalables, une semaine avant le début du festival, les cantaliens (et les autres) bénéficient de petits spectacles gratuits dans les villes et villages autour d’Aurillac (Mauriac, Saint-Mamet-la Salvetat, Ytrac, Maurs, Cassaniouze, etc.) En 2020, ces Préalables sont devenus Champ Libre : une manifestation organisée avec vingt communes…
Le festival se porte bien même si comme en Avignon, la fréquentation surtout des jeunes gens, a chuté… Et celle de la consommation de bières aussi car interdites à la vente pendant ces quatre jours, ce qui n’était pas un luxe. Il y avait du monde, mais moins qu’avant le covid et le samedi soir, les rues du centre-ville étaient loin d’être pleines. Malgré cette année, semble-t-il, plus de spectacles en accès libre. Comme place des Carmes, Les Chiennes Nationales, (avec un jeu de mot plutôt confidentiel sur Scènes Nationales! ont monté Ce que la vie signifie pour moi  Je lis et je deviens le monde, dit Maïa Ricaud. La littérature me multiplie, me transforme, me déplace constamment. Mes certitudes s’ébranlent, vacillent, la curiosité de l’autre gagne du terrain, pages après pages, je deviens un homme voulant sauver les éléphants, intellectuelle féministe spécialiste du genre, transexuel philosophe, ouvrier faisant sauter la maison du patron, sculpteur aveugle, cheminot sauvant des enfants juifs, meurtrières sauvages et vengeresses, enfant de Belleville, vieille juive prostituée, vieux sur une barque, écrivain activiste, fou qu’ils disent décryptant le chant des oiseaux, poète intranquille, travailleuse précaire nettoyant les ferries , braqueuse de banque, aventurier à l’usage du monde, etc. »

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Elle invite des acteurs et des dramaturges mais aussi des artistes à collaborer avec elle pour créer une œuvre à base d’une thématique. Ici un court récit du fameux journaliste et écrivain américain Jack London (1876-1916) , auteur  de romans comme L’Appel de la forêt, Croc-Blanc, Le Talon de fer, Martin Eden, Le Cabaret de la dernière chance, la plupart auto-biographiques et quelque deux cent nouvelles. Dans Ce que la vie signifie pour moi, Maïa Ricaud raconte la vie souvent misérable sur fond d’alcool qu’il a menée avant d’arriver à être publié et pourquoi et comment il est devenu socialiste. Un texte à la pensée encore très virulente, est ici interprété par Maïa Ricaud, Stéphanie Cassignard et un dessinateur et comédien. Cela tient à la fois d’une performance et d’un spectacle sur l’actualité française avec des références à Pierre Bourdieu, Roselyne Bachelot, ex-ministre de la  Culture, et lié à une histoire de blablacar. Le spectacle souffre d’une scénographie approximative et d’une dramaturgie qui aurait mérité d’être plus fouillée. Et à moins d’être tout près des acteurs, on entendait mal et malgré deux tentatives, ce spectacle prétentieux et trop long (deux heures) ne nous a pas du tout convaincu et nous avons abandonné la partie… Sans doute aurait-il fallu laisser la place à Jack London, seul et dans une salle fermée. On peut se demander comment ces Chiennes nationales sont arrivées à Aurillac! Une erreur de programmation évidente.

 En revanche, dans la cour du collège de la Jordanne, étaient joués trois épisodes du fameux Littoral de Wajdi Mouawad (voir Le Théâtre du Blog). Une adaptation pour l’extérieur de cette œuvre.  « Littoral, dit sa metteuse en scène, nous ramène au rapport à nos pères, à la transmission, à l’affranchissement du passé, à la nécessité de lutter pour faire de la place. » Un texte poétique, ce qui est plutôt rare dans un festival consacré aux arts de la rue et en accès libre, c’est à dire gratuit, avec tout de même cent cinquante personnes environ ( dont pas mal de jeunes) qui avaient eu envie de voir à quoi pouvait ressembler ce Littoral.
Nous n’avons pu voir la première partie mais la seconde et un bon moment  de la troisième. Un théâtre avec huit interprètes pour trente personnages mais « aux mains nues » comme un acte de résistance à la puissance du fric: lumière naturelle, aucun siège sauf quelques chaises en plastique du collège, pas de décor autre qu’un monticule de terre avec deux stèles blanches et au centre, un mât surmonté de deux hauts-parleurs, auquel on peut monter. Dans le dernier épisode, joué à quelques dizaines de mètres de là dans une autre cour, juste une petite palissade en métal, avec devant, une machine à faire de la mousse pour figurer la mer…

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Des costumes très proches du quotidien sauf une sorte d’armure dorée… Bref, le minimum scénique dans cette « mise en rue » signée Maxime Coutour et Fanny Imber. Et une bande de jeunes acteurs à la diction et à la gestuelle irréprochable -cela devient rare par les temps qui courent- tous remarquablement dirigés.

Pour raconter l’histoire de Wilfrid, cet orphelin apprenant la mort de son père inconnu. Il veut placer son corps près de sa mère, mais  la loi ne le permet pas et sa famille n’est pas d’accord! Il va donc lui falloir durement lutter pour trouver une sépulture. Wilfrid décide alors de l’enterrer dans son pays natal, ravagé par la guerre et où il n’y a plus de place dans les cimetières. Et ce sera la mer qui ensevelira le corps.
C’est une sorte d’Odyssée en Orient comme celle de l’auteur d’origine libanaise qui a d’abord vécu avec sa famille en exil au Canada puis en France. Wilfrid se retrouve dans les lieux ruinés par les guerres civiles. «Dans les villages, les morts ont pris toute la place » et tous les jeunes sont orphelins. Le père mort devient la figure symbolique de tous les vivants comme des morts. Sans précision de lieu…  Un deuil et une recherche de sépulture qui sont aussi l’occasion pour lui de partir en quête de son identité. La mise en scène frappe par son dénuement et son efficacité dans ce grand espace goudronné et cerné par des bâtiments d’une rare laideur! 

Et le jeu comme la subtilité des enchaînements est tout à fait remarquable mais nous avons aussi été étonnés par la capacité qu’ont ces jeunes acteurs à s’emparer de ce beau texte, pas toujours facile et plutôt écrit pour être joué dans une salle. Avec une rare maîtrise, ils réussissent à nous emmener collectivement dans le parcours de Wajdi Mouawad… Chapeau! Et cela donne envie de voir la prochaine création de cette compagnie.

Philippe du Vignal 

Spectacles vus au festival d’Aurillac.

 

 


Archive pour 24 août, 2022

Insuline et Magnolia, texte et mise en scène de Stanislas Roquette

Insuline et Magnolia, texte et mise en scène de Stanislas Roquette

 

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Un titre sonnant comme celui d’un poème ou d’un conte qui attise notre curiosité: le nom de personnages dont nous allons découvrir l’histoire ou celui d’un breuvage magique? Ce récit autobiographique est d’une rare intensité. « Je voudrais, nous dit l’auteur-acteur, partager combien l’art et en particulier la poésie, pourtant si fragile et éphémère, nous sont d’une grande aide face à l’épreuve.» Un souhait ici réalisé brillamment. Les thèmes : école, famille, handicap, maladie, médecine, art, foi, ne sont jamais évoqués avec ironie ou cynisme mais avec humour et nuances. Les situations dramatiques construites  un dans un esprit théâtral et une adresse remarquables.

Le public dès les premiers instants rit, touché intimement : tous les premiers lundis du mois, la maîtresse, Madame Sardinet, invite ses élèves à une journée de poésie : «L’Homme: Récitations devant toute la classe/Avec note dans le carnet,/qui démarraient à huit heures. » Manque de chance : L’Homme, alors jeune écolier, et le premier désigné pour cet exercice de haut vol, est incapable de mémoriser les poèmes: L’Homme – « Je n’arrivais pas à les apprendre/ Parce que je ne les comprenais pas. /Le seul endroit où j’arrivais à connaître par cœur /Des textes entiers, même sans les comprendre, /C’était le dimanche, à la messe. »

Ce handicap va faire naître tout un univers poétique et existentiel, frappé soudain par une information à la fois tragique et heureuse qui, tel un moment épiphanique, viendra modifier à jamais l’existence de ce jeune homme de quinze ans. Seul en scène et aussitôt,  l’acteur, auteur et metteur en scène Stanislas Roquette, fascine et retient l’attention. Dans une scénographie simple et suffisante, un jeu de lumière tout en finesse créé par Yvan Lombard, une musique originale de Christian Girardot, en correspondance subtile avec les tableaux dramatiques, il passe d’un personnage à l’autre, avec une aisance étonnante.
Le texte ne cesse de jouer entre situations humoristiques ou tragiques, selon un tempo enthousiasmant et une poésie qui vont droit au cœur.. Nous passons sans cesse du rire à l’émotion… École, départ en famille pour les grandes vacances, évocation du milieu médical, rencontre, amitié. Et coup de théâtre avec l’annonce de la maladie : Le Docteur: « Combien : il nous fait en glycémie, ce matin ?/ C’est pas mal/… Ça va, il a bien dormi ? Il a mangé sa compote ? Bien…/ Bonjour jeune homme/. Bon, tes parents te l’ont déjà dit ? Tu es diabétique/ Type 1, insulino-dépendant. » À ce renversement brutal de situation et à l’image d’une fée, vient en écho, la rencontre d’ une camarade de classe, au joli prénom de Fleur. Cette amitié amoureuse va, comme l’apparition de la maladie, bouleverser l’existence du jeune homme. Dans une tension dramatique créée par un balancement régulier entre le noir et la lumière de l’existence. 

Tel un messager d’un autre monde, Fleur lui ouvre le chemin de la poésie, des mots et de leurs images ludiques ou troublantes. Libérateur et merveilleux, cet univers artistique et la présence de son amie vont transfigurer l’existence de ce garçon,  lui révéler la force de vie face à la maladie et à la banalité des jours : «L’Homme : Et tous ces corps qu’on a touchés ou caressés, tous ces paysages qu’on a perforés, tous ces animaux qui nous ont inspirés, toute la généreuse imposture, le bel élan qui n’anticipe rien, tous ces mots qui nous remâchent, la perpendiculaire du ciel qui nous assomme, le vol d’étourneaux, la paille séchée dans les chaussures, et le vin et le vent, et les cailloux, la pendule qui chavire, rien jamais sera nul, rien non plus non avenu ! Tout ça survivra grand, survivra petit bas. L’horizon se dégage, tout s’offre et se consume. »
Les tableaux, tous subtils et hauts en couleurs et les scènes, remarquablement agencées, ne cessent de nous surprendre. Emotion et enthousiasme du public: le sens du titre s’éclaircit en toute beauté, plein d’esprit et d’amour.
De cette amitié entre l’adolescent et Fleur, surgit un univers où la réalité fait place à l’enchantement mais avec une perception du monde, de la société, très lucide. Le récit et le jeu jubilatoire de l’acteur nous mettent en joie, face aux épreuves. Ce spectacle, hymne à l’art poétique et à la création esthétique, est d’une nécessité absolue pour combattre le tragique du chaos. Un moment théâtral d’une grande force où l’auteur ne tombe jamais dans la facilité.

 Elisabeth Naud

 Spectacle vu au Théâtre du Train bleu, Avignon.

 

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