Insuline et Magnolia, texte et mise en scène de Stanislas Roquette
Insuline et Magnolia, texte et mise en scène de Stanislas Roquette

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Un titre sonnant comme celui d’un poème ou d’un conte qui attise notre curiosité: le nom de personnages dont nous allons découvrir l’histoire ou celui d’un breuvage magique? Ce récit autobiographique est d’une rare intensité. « Je voudrais, nous dit l’auteur-acteur, partager combien l’art et en particulier la poésie, pourtant si fragile et éphémère, nous sont d’une grande aide face à l’épreuve.» Un souhait ici réalisé brillamment. Les thèmes : école, famille, handicap, maladie, médecine, art, foi, ne sont jamais évoqués avec ironie ou cynisme mais avec humour et nuances. Les situations dramatiques construites un dans un esprit théâtral et une adresse remarquables.
Le public dès les premiers instants rit, touché intimement : tous les premiers lundis du mois, la maîtresse, Madame Sardinet, invite ses élèves à une journée de poésie : «L’Homme: Récitations devant toute la classe/Avec note dans le carnet,/qui démarraient à huit heures. » Manque de chance : L’Homme, alors jeune écolier, et le premier désigné pour cet exercice de haut vol, est incapable de mémoriser les poèmes: L’Homme – « Je n’arrivais pas à les apprendre/ Parce que je ne les comprenais pas. /Le seul endroit où j’arrivais à connaître par cœur /Des textes entiers, même sans les comprendre, /C’était le dimanche, à la messe. »
Ce handicap va faire naître tout un univers poétique et existentiel, frappé soudain par une information à la fois tragique et heureuse qui, tel un moment épiphanique, viendra modifier à jamais l’existence de ce jeune homme de quinze ans. Seul en scène et aussitôt, l’acteur, auteur et metteur en scène Stanislas Roquette, fascine et retient l’attention. Dans une scénographie simple et suffisante, un jeu de lumière tout en finesse créé par Yvan Lombard, une musique originale de Christian Girardot, en correspondance subtile avec les tableaux dramatiques, il passe d’un personnage à l’autre, avec une aisance étonnante.
Le texte ne cesse de jouer entre situations humoristiques ou tragiques, selon un tempo enthousiasmant et une poésie qui vont droit au cœur.. Nous passons sans cesse du rire à l’émotion… École, départ en famille pour les grandes vacances, évocation du milieu médical, rencontre, amitié. Et coup de théâtre avec l’annonce de la maladie : Le Docteur: « Combien : il nous fait en glycémie, ce matin ?/ C’est pas mal/… Ça va, il a bien dormi ? Il a mangé sa compote ? Bien…/ Bonjour jeune homme/. Bon, tes parents te l’ont déjà dit ? Tu es diabétique/ Type 1, insulino-dépendant. » À ce renversement brutal de situation et à l’image d’une fée, vient en écho, la rencontre d’ une camarade de classe, au joli prénom de Fleur. Cette amitié amoureuse va, comme l’apparition de la maladie, bouleverser l’existence du jeune homme. Dans une tension dramatique créée par un balancement régulier entre le noir et la lumière de l’existence.
Tel un messager d’un autre monde, Fleur lui ouvre le chemin de la poésie, des mots et de leurs images ludiques ou troublantes. Libérateur et merveilleux, cet univers artistique et la présence de son amie vont transfigurer l’existence de ce garçon, lui révéler la force de vie face à la maladie et à la banalité des jours : «L’Homme : Et tous ces corps qu’on a touchés ou caressés, tous ces paysages qu’on a perforés, tous ces animaux qui nous ont inspirés, toute la généreuse imposture, le bel élan qui n’anticipe rien, tous ces mots qui nous remâchent, la perpendiculaire du ciel qui nous assomme, le vol d’étourneaux, la paille séchée dans les chaussures, et le vin et le vent, et les cailloux, la pendule qui chavire, rien jamais sera nul, rien non plus non avenu ! Tout ça survivra grand, survivra petit bas. L’horizon se dégage, tout s’offre et se consume. »
Les tableaux, tous subtils et hauts en couleurs et les scènes, remarquablement agencées, ne cessent de nous surprendre. Emotion et enthousiasme du public: le sens du titre s’éclaircit en toute beauté, plein d’esprit et d’amour. De cette amitié entre l’adolescent et Fleur, surgit un univers où la réalité fait place à l’enchantement mais avec une perception du monde, de la société, très lucide. Le récit et le jeu jubilatoire de l’acteur nous mettent en joie, face aux épreuves. Ce spectacle, hymne à l’art poétique et à la création esthétique, est d’une nécessité absolue pour combattre le tragique du chaos. Un moment théâtral d’une grande force où l’auteur ne tombe jamais dans la facilité.
Elisabeth Naud
Spectacle vu au Théâtre du Train bleu, Avignon.