Festival d’Aurillac ( suite) Héroïne par la compagnie des Art oseurs, mise en scène de Périne Faivrere
La compagnie qui a souvent joué à Aurillac est maintenant bien connue ( voir Le Théâtre du Blog). Cela se passe dans la cour d’une école à Arpajon-sur-Cère (Cantal), une commune limitrophe d’Aurillac. Pas de scène au sens strict du terme mais face public, plusieurs praticables sur roulettes, munis ou non, de vitrages en plastique. Mais aussi, sur les côtés, voire derrière les bancs en bois où sont assis quelque cent cinquante spectateurs.
Un inconfort revendiqué qu’ils partageront, dit la metteuse en scène, avec ceux qui assistent à une audience. Le spectacle a aussi un côté performance : un artiste commence à peindre une vaste fresque représentant des avocats, des prévenus, etc. qui sera achevée à la fin du spectacle fin.
Il est dix huit-heures et il fait donc encore grand jour et les bancs sont loin d’être pleins. Nous sommes prévenus: nous pourrons donc changer de place, sortir de la cour puis y rentrer pendant les quatre heures que va durer cette incursion dans la vie judiciaire française.
Le thème pas neuf! reste inoxydable… Et les tribunaux ont souvent quelque chose du comique mais aussi du tragique le plus absolu d’une scène théâtrale. Une source d’inspiration quasi permanente qu’ils soient correctionnels, en comparution immédiate, administratifs ou d’assises.
Scénario, jeu des protagonistes et des seconds rôles ou figurants, scénographie, lumière et son, public… Tout est déjà là. Et il y a foule de pièces qui ont pour thème, la Justice ou qui mettent en scène un procès. Déjà chez les Euménides d’Eschyle, troisième volet de L’Orestie puis chez Aristophane et ensuite dans de nombreux textes au Moyen-Age comme La Sottie des sots triomphants qui trompent chascun, commençant par un procès avec arguments des plaignants, comparution des accusés, réquisitoire et plaidoirie de la défense. Et aussi la fameuse Farce de Maître Pathelin (XV ème siècle). Ete ncore Les Plaideurs où Jean Racine n’épargne pas le monde de la Justice ! Et les pièces du XIX ème siècle, parodie d’un procès ne manquent pas… La Robe rouge de Brieux créée en 1900 dénonce un juge d’instruction, avide de promotion, faisant condamner un innocent pour plaire au Pouvoir. Mais le condamné sera acquitté grâce à l’honnêteté du Procureur.
Plus récemment, naquit le théâtre dit documentaire avec, entre autres, de Peter Weiss: Le Procès d’Oscar Wilde, et L’affaire Dreyfus sur le procès d’Emile Zola. Et le grand Jean Vilar monta L’Instruction, une pièce de ce même auteur sur l’affaire Oppenheimer, d’après les minutes de la Commission de sécurité de l’énergie atomique aux Etats-Unis. Nous avions vu aussi l’excellent Palais de Justice, un procès en correctionnelle magistralement recréé par Jean-Pierre Vincent (1981) d’après les enregistrements faits en cachette par son équipe! Avec la grande Evelyne Didi, en redoutable procureure.
L’Américain David Mamet est aussi l’auteur de Romance, un procès intenté à un homme dont on ignore le crime. Pauline Bureau ( voir Le Théâtre du Blog) a, elle, écrit et mis en scène Mon Cœur, une reconstitution du procès fait au laboratoire qui avait commercialisé un médicament le trop dameux Médiator avait des effets secondaires catastrophiques…Tiago Rodrigues le nouveau directeur du festival d’Avignon, a fait avec Bovary, une évocation historique du procès de Gustave Flaubert inculpé pour outrage à la morale publique.
Bref, le théâtre contemporain est donc lui aussi riche en procès en tout genre.Mais bien entendu, il est évidemment impossible de recréer une audition en la résumant sur le temps d’un spectacle. Il s’agit donc nécessairement d’une représentation condensée voire résumée, d’un moment de la vie d’un tribunal où il faut grossir le trait… Ce qu’avait fait Nicolas Lambert quand il avait monté Elf, la pompe Afrique ( voir Le Théâtre du Blog). La metteuse en scène n’est pas tombée dans le piège et a fait un autre choix : montrer l’image de la Justice en de courtes scènes indépendantes.
Héroïne commence par un avertissement : « Mesdames, Messieurs, je vous invite dans ce faux tribunal, aussi faux que sont vraies les histoires que je vais vous raconter. Dans cette fausse salle d’audience, aussi fausse que sont vraies les personnes que j’ai rencontrées,dix comédiennes et comédiens, danseuses et danseurs, régisseurs, peintre et musicien sont parmi vous. Je commencerai la lecture de mon journal de bord et tous les membres de la troupe vont surgir à tous moments pou tenter quelque chose, afin… que le théâtre tente quelque chose. Cette audience va durer quatre heures, peut-être moins, peut-être plus. Comme tous les tribunaux, cette maison est la vôtre, la justice va être rendue au nom du peuple français, vous en êtes ses représentants. »
Ici sont évoquées entre autres, l’histoire d’une jeune femme qui assiste tous les jours au procès d’un homme qu’elle ne connait pas du tout, convaincue de son innocence. Mais il sera reconnu coupable. Et elle commencera à lui envoyer des lettres.. Le début d’un amour…
Il y a aussi la galère d’un émigré sans papiers qui doit lutter avec la procédure dite Dublin. «J’ai traversé la mer, dit-il, j’ai traversé la mort.. » Il sera interné dans un centre de rétention puis libéré. Le droit des étrangers, bête noire des magistrats, dit un avocat. Et ensuite nous pourrons assister à une brève séance de formation des avocats avec mise en garde contre les mesures prises illégalement. «La garde à vue n’est ps toujours obligatoire. « Vous pouvez exiger le démenottage. » Soit deux heures où se succèdent de petites scènes.
Après un entracte de trente minutes, est jouée, en comparution immédiate, une affaire de proxénétisme, des histoires de vol, une dispute qui tourne mal : Brahim a fini par casser la gueule de son voisin. Le tribunal va ensuite juger un étranger qui se prétend mineur, alors que les expertises osseuses prouveraient que non… Et seront examinés un cambriolage en bande organisée et un viol sur deux de ses belles-filles et une jeune fille de quinze ans : l’homme déclaré coupable, sera condamné à dix ans de réclusion…
Et nous aurons droit à un extrait d’une séance au tribunal pour enfants pour un lancer de pierres sur les forces de l’ordre, dans une manifestation. Suivra le procès d’un entrepreneur responsable d’un chantier, même s’il n’était pas présent : un ouvrier, en l’occurrence son beau-frère, a fait une chute grave à cause d’absence de garde-corps sur un échafaudage… Une vraie tragédie familiale!
Bref, au travers de ces courtes scènes où les tribunaux jugent des infractions mineures mais aussi de graves délits et des crimes, c’est toute la vie d’un pays qui défile. Avec la responsabilité des délinquants mais aussi, en filigrane, de la société toute entière. Tout le spectacle est remarquablement joué, avec beaucoup de nuances et souvent sans différenciation de sexe dans les rôles : aucun temps mort et les acteurs changent à vue de costumes pendus sur des cintres dans les coulisses derrière les bancs. Le public-pas très jeune mais comme partout dans le in des festivals de théâtre- suit avec attention et a longuement applaudi.
C’est un spectacle intelligent où on ne s’ennuie pas mais dont la dramaturgie reste un peu faible… Cette suite de petites scènes avec ses ballets d’avocats, est très bien réalisée mais mériterait quelques coupes. Et ces quatre heures ne nous ont pas semblé vraiment indispensables pour arriver à donner une image de la vie judiciaire en France. Qui trop embrasse, mal étreint! Héroïne gagnerait beaucoup à être resserré mais c’est sans doute un des meilleurs spectacles du In d’Aurillac, cette année.
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 19 août à l’école élémentaire d’Arpajon-sur-Cère (Cantal).