Molière 3.0 : Les Fâcheux et Dom Juan
Molière 3.0 :
Cette manifestation a eu lieu du 25 au 28 août, à l’occasion des quatre cent ans de la naissance de Molière, en partenariat avec les institutions culturelles de Pau. Molière 3.0 a rassemblé artistes, spécialistes et public autour des principes fondateurs du futur centre de de création et recherche théâtrale qui sera consacré au répertoire français des XVII ème XVIII ème et XIX ème siècles. Initié par la Ville de Pau et le metteur en scène Eric Vigner.
Il y a eu plusieurs conférences et débats sur l’œuvre de Molière et ont été présentés: dans la Cour d’honneur du château de Pau, Les Fâcheux. Mais aussi Le Malade imaginaire ou le silence de Molière dans la Salle des cent couverts. Dom Juan A4, d’après Molière, a été joué au Théâtre Saint-Louis. Et des films consacrés au travail de répétition et des captations de pièces ont été projetés à la médiathèque André Labarrère.
Les Fâcheux de Molière, mise en scène d’Hélène Babu
Pour une grande fête en l’honneur du Roi, Molière écrivit cette comédie-ballet en trois actes en 1661, qui a été créée dans le parc du château de Vaux-le-Vicomte. Cette petite pièce d’une heure avait été commandée par Nicolas Fouquet, surintendant des finances pour les divertissements de Louis XIV, et propriétaire du château.
Ici, cela se passe dans la très belle cour du château d’Henri IV où il est né en 1553. Construit du XII ème au XIX ème siècle et classé monument historique, il est consacré à la mémoire du roi de France et de Navarre. Le spectacle a eu lieu à 18h 30 donc à la lumière du jour devant la façade et la metteuse en scène a fait habilement jouer les acteurs à la fois dehors et dans les chambres du premier étage.
Les Fâcheux, malgré une belle écriture, est une œuvre bien mince avec des des esquisses de personnages. Très rarement jouée, elle a pour thème les ennuis d’Éraste qui est amoureux de la belle Orphise. Damis, son tuteur, veut en effet la marier à un autre jeune homme…Éraste doit se rendre à un rendez-vous avec Orphise quand des fâcheux vont venir l’importuner… Alcidor reste silencieux mais Lysandre veut absolument présenter à Éraste sa composition musicale pour une nouvelle danse : la courante sur un air de Lully. Alcandre lui, vient demander à Éraste de l’assister dans un duel.
Alcipe, un joueur de piquet -un ancêtre de la belote- tient à lui raconter pourquoi et comment il a perdu. Orante et Clymène demandent à Éraste de les départager quant aux qualités que doit avoir un bon amant. Dorante lui, tient à relater sa partie de chasse à courre qui a été gâchée. Caritidès demande à Éraste de porter au roi une requête pour obtenir une charge de contrôleur de l’orthographe. Et Ormin, un économiste réputé, a aussi une requête pour le Roi : le soutenir pour un projet de taxes portuaires sur les côtes françaises. Quant à Philinte, le grand ami d’Eraste, il veut l’accompagner partout afin de lui éviter une mésaventure! L’affaire se complique : Damis a appris qu’Éraste va aller voir Orphise chez elle et il veut le faire tuer mais est attaqué par les valets d’Éraste qui le défendra. Eraste obtiendra ainsi en remerciement la main d’Orphise…
Le spectacle qui n’est pas récent (2016), est honnêtement réalisé, même si parfois les alexandrins de Molière ne sont pas exacts. Hélène Babu, Agathe Dronne, Nicolas Martin, Thibault de Montalembert, Océane Mozas, Xavier de Guillebon et François Loriquet font le boulot… Mais l’ensemble a quelque chose d’appliqué et manque singulièrement de vie. « La pièce, dit justement la metteuse en scène a des allures de cauchemar c’est un aspect que j’ai choisi de développer afin de permettre aux acteurs de construire des personnages plus fous. ( …) Chaque nouvel arrivant semble jaillir du cerveau d’Éraste. Des personnages différents seront joués par les même acteurs afin d’accentuer la déformation qu’il y a dans les rêves. » Désolé mais mais tout cela n’apparait pas dans cette mise en scène trop sage et où il manque la vraie folie qui s’empare des personnages.
Même si Océane Mozas et Thibaut de Montalembert dans les rôles principaux sont convaincants et si la façade du château est un beau décor dont les acteurs se servent au mieux. Il y a, entre chaque acte, des petits ballets assez dérisoires qu’il vaut mieux oublier.. Loin «de ne faire qu’une seule chose du ballet et de la comédie » comme le voulait l’auteur. Les Palois et la magnifique façade en pierre du château méritaient mieux que cette mise en scène approximative…
Nous n’avons pu voir Le Malade imaginaire ou Le Silence de Molière, d’après Le Malade imaginaire de Molière et Il Silenzio di Molière de Giovanni Macchia, une reprise de la mise en scène et de l’adaptation d’Arthur Nauzyciel. Mais ce spectacle sera repris au Théâtre National de Bretagne et nous vous en rendrons compte.
Dom Juan A4, d’après Molière, adaptation et mise en scène d’Eric Vigner.
Molière écrit Dom Juan ou Le Festin de pierre en 1664. Il vient de créer Tartuffe mais subit à nouveau de virulentes attaques d’une partie de la Courqui l’accuse de ne pas respecter la religion catholique et de faire preuve d’athéisme et d’immoralité, quand il prône une vie sans entraves et une liberté sexuelle qui lui conviennent parfaitement. Ses ennemis faisaient semblant d’oublier que le grand dramaturge en fait, avait de nombreux exemples autour de lui chez les nobles… Ainsi comme le rappelle Maurice Rat dans l’édition de la Pléiade, Henri de Lorraine avait trois femmes et de nombreuses amantes, le Grand Condé et l’abbé mais aussi médecin, Berthelot, voulaient brûler un morceau de la vraie croix, le marquis de Manicamp avait appris à louis XIV enfant, à blasphémer, le duc de Nevers, lui, faisait baptiser un cochon et Madame Deshoulières, un petit chien mais pas sa fille…
Le thème des aventures de Dom Juan avait déjà été exploité par d’autres écrivains français après l’Espagnol Tirso de Molina. Molière écrivit Dom Juan en quinze jours mais la pièce connut un beau succès. Malgré la protection dont lui témoignait Louis XIV, la pièce fut interdite de représentation et Molière jugea plus sage de renoncer à l’imprimer… Il s’agit ici, non d’une adaptation mais, dit Eric Vigner, d’une traversée de la célèbre pièce. Cela se passe à Pau dans le beau théâtre Saint-Louis à l’italienne. Nous entrons par une porte de service puis suivons un long couloir pour arriver sur le plateau nu. Nous allons assister à la représentation mais sur la scène où ont été disposés des sièges pour quelques quatre-vingt spectateurs. Pas nouveau mais efficace pour ceux qui ne l’ont jamais expérimenté. Face à un rideau qui va se lever sur la salle de ce théâtre à l’italienne aux murs bleu pâle et aux fauteuils en velours rouge où s’est échoué le grand lustre. Une superbe image comme on en voit rarement. Les acteurs joueront sur la scène éclairée par une rampe-guirlande puis par une autre, dans une grande proximité avec le public. Puis, ils diront le texte dans les rangs du parterre ou par les portes d’accès au premier ou au deuxième balcon.
Cela commence avec la célèbre déclaration de Sganarelle sur le tabac, avec Jules Sagot, un jeune acteur absolument remarquable qui a souvent travaillé avec Eric Vigner.Enfin un Dom Juan jeune ce qui n’est pas si fréquent. Très crédible malgré un costume deux pièces bleu pâle, vraiment laid, il incarne avec toute la fougue de la jeunesse, son attirance pour une vie sexuelle loin de toute entrave et son aversion pour la religion catholique. Avec tous les risques que cela comporte à l’époque et chez Molière, il mourra foudroyé. L’Église de France en effet ne badinait pas avec la morale et le respect absolu de la religion: juste un siècle plus tard, en 1766, le jeune chevalier de la Barre de vingt-et un an fut condamné à mort pour blasphème et sacrilège par le tribunal d’Abbeville, puis par la Grand-Chambre du Parlement de Paris et décapité !
Ce Dom Juan, sarcastique et se réjouissant de son immoralité, a sans doute conscience que malgré sa jeunesse, il a trop tiré sur la corde, qu’il est épuisé et que ses jours sont comptés. Et ce jeune acteur renouvelle le personnage et sait remarquablement dire cette provocation assumée et en même temps la sourde inquiétude face à ce qui l’attend. Bénédicte Cerutti, non pas travestie mais en robe longue, réussit à incarner un Sganarelle, loin du personnage traditionnel. Sûrement pas l’idée du siècle mais l’actrice est comme d’habitude tout à fait remarquable et nous nous nous laissons prendre à cet admirable dialogue à l’écriture ciselée. Et que tous les acteurs reconnaissent aussitôt. Le metteur en scène Jacques Livchine avait ainsi dit à François Chaumette quelques lignes de la pièce et l’acteur, d’abord très étonné avait avait aussitôt reconnu Dom Juan ! » .
Eric Vigner avec une traversée de la pièce sait créer de belles images. Comme ce grand lustre du théâtre échoué sur les sièges rouges. A quelque pas dans une grande proximité avec le public, a lieu la fameuse entrevue où Don Juan, pas très à l’aise, rencontre Elvire, la jeune femme qu’il a séduite puis abandonnée. Mais la jeune Eva Loriquet en robe vert acide, qu’on entend mal, n’est pas très convaincante !
Particularité de cette mise en scène : une distribution avec un seul acteur et trois actrices qui joueront aussi: le Pauvre rencontré dans la forêt à qui Dom Juan fait miroiter un louis d’or à condition qu’il abjure, le Commandeur, M. Dimanche… Le père de Dom Juan sera représentée par une simple voix issue d’une trappe sur la scène que le fils refermera d’un coup sec de talon. Nombre de scène sont aussi jouées au parterre de la salle ou dans les balcons. Jutta Johanna Weiss joue en béarnais, ce Pierrot, jeune paysan amoureux de Charlotte que Dom Juan veut séduire en lui faisant miroiter tout le bonheur qu’il y a de vivre à la ville mais à une condition… Pourquoi pas? Et les Palois visiblement comprenaient bien le texte. Un joli clin d’œil…
Côté scénographie, quelques éléments mais peu significatifs: une sorte de totem noir de quatre mètres de hauteur et côté cour, descendue des cintres, une grande fleur blanche proche d’une estampe japonaise. Puis un rideau de fils comme pour séparer deux mondes celui de Dom Juan sur la scène, proche de la mort et celui de ses interlocuteurs qu’il n’écoute plus. Nous avons été séduits par la grande rigueur du jeu des interprètes de Don Juan et de Sganarelle et par la grande qualité des images que propose Eric Vigner. Mais moins par la dramaturgie de cette traversée.Ce Dom Juan de poche semble plus destiné à ceux qui connaissent déjà la pièce. Le spectacle en tout cas, se voit avec plaisir et grâce à ces bons acteurs, il a tout pour réussir. A suivre…
Philippe du Vignal
Spectacles vu à Pau le 26 août.
La saison du Théâtre à Pau dont la programmation a été assurée par Eric Vigner débutera en octobre prochain. T. : 05 59 27 27 08.