La Mousson d’été 2022: Écrire le théâtre aujourd’hui

 La Mousson d’été 2022:  Écrire le théâtre aujourd’hui

Événement européen majeur en matière de découverte, de promotion des écritures théâtrales contemporaines mais aussi de transmission avec l’Université d’été européenne de La Mousson d’été, le festival a eu lieu la dernière semaine d’août comme depuis vingt-sept ans à Pont-à Mousson (Meurthe-et-Moselle) près de Nancy et Metz . Une  belle fin de vacances ! 

Sept jours durant, des interprètes offrent au public, texte à la main, des lectures de pièces contemporaines et inédites. Présélectionnées par le comité de lecture de La Mousson d’été de quatorze personnes, elles sont mises  en espace par des metteurs en scène ou par leurs auteurs. « Une pièce de théâtre, c’est quelqu’un ; disait Victor Hugo, dans Faits et croyances, c’est une voix qui parle, c’est un esprit qui éclaire, c’est une conscience qui avertit. » Citation qui résume bien la vivacité, l’organique, la pensée poétique, et/ou politique omniprésents lors de cette vingt-septième édition. Le public a pu apprécier une constance artistique de ce festival : Avec peu de répétitions et des textes inédits, tout juste découverts, c’est pour les interprètes et le public, une première !

Nous avons été enthousiasmés  par la qualité de ces rencontres et la prouesse des comédiens et metteurs en scène. En cette dernière journée du festival, comme toute la semaine : trois lectures de textes et parfois un spectacle. De belles découvertes !  Incendier la forêt avec toi dedans de Mariana De Althaus (Pérou), traduction de l’espagnol de Victoria Mariani. Histoire étrange et violente sur  la famille, la nature et l’Homme, la condition de la femme. Une lecture dirigée avec sensibilité par Pauline Bureau, avec Coco Feilgerolles, Zakariya Gouram, Céline Milliat-Baumgartner et Lola Roy. Puis Soox Méduse de Laurent Leclerc (France), mise en espace par l’auteur dont l’écriture lyrique ou proche du témoignage (mais il s’agit bien d’ une pure fiction), produit en notre imaginaire et nos sens, des visions tragiques, des sensations, des odeurs, des lumières d’une incroyable authenticité.  Un texte lu, tout en nuances par Biran Ba de la Comédie française, sur une musique originale et superbe de Hervé Legeay.

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©x L’Ange Abimé

En fin d’après-midi, L’Ange abîmé de Sara Stridsberg, (Suède), traduction par Marianne Ségol-Samoy, dirigée par Véronique Bellegarde, avec Jacques Bonnaffé et Clotilde Hesme. Une mise en espace dense, et subtile : la tension dramatique de la pièce, les déplacements des comédiens dans le jardin au bord de la Moselle, ne cessaient d’être ici tout en communion/exclusion, et mettait en résonance les non-dits et silences chargés de sens, avec la parole proférée. Une extrême sensibilité et un jeu tout en légèreté profonde. En soirée, le public s’est réuni pour assister à un spectacle (hors les murs) drôle et bouleversant: Privés de feuilles, les arbres ne bruissent pas de Magne van Den Berg, traduction d’Esther Gouarné, mise en scène de Pascale Henry, sobre et poétique et le jeu des actrices, magnifique !    Le jeudi 25 août, on avait pu découvrir un autre texte de l’autrice : Long développement d’un bref entretien.

Pour chacun des participants, au fil des oeuvres, un pont se construit mentalement d’une lecture à l’autre. Comme ce 28 août où le thème de la famille est apparu sous de multiples visages : oppression, absence douloureuse du père ou de la mère, du pays, une autre forme de famille, mais aussi absence des mots ! Du plus profond des âges jusqu’à nos jours, ce thème s’est fait entendre dans toute sa beauté et violence. La famille, évoquée de plein fouet dans Incendier la forêt avec toi dedans bénéficie d’une mise en voix remarquable et avec peu de gestes, d’une belle présence des acteurs,    là également, mais plus en sous entendus, non-dits, visions, rêves dans L’Ange abîmé et en blessures et souffrance dans Soox Méduse.

 Autre thèmes forts: le patriarcat et la condition féminine notamment dans Incendier la forêt avec toi dedans. La langue théâtrale des pièces et des spectacles, qu’elle soit lyrique, documentaire, réaliste ou plus symbolique, participe d’une mise en images, en corps et en voix d’une esthétique dramatique à l’écoute de notre temps.
En partageant des écritures d’une riche variété et d’origines diverses, La Mousson d’été ouvre grand la fenêtre, sur le théâtre d’aujourd’hui et offre auprès des lecteurs et spectateurs, une meilleure visibilité de l’art dramatique contemporain.  En une semaine, chacun des textes, tous d’une actualité poignante et/ou d’une écriture de l’intime,  donne à l’esprit et au théâtre, une matière à réflexion. Combien précieuse dans un monde envahi par les écrans, réseaux sociaux et par le tout, tout suite.
Aux lectures, viennent s’ajouter des moments tout aussi captivants. Comme les lectures-rencontre, citons En pleine France, de et avec Marion Aubert qui pose la question de l’héritage socio-culturel et de son lien, ses conséquences, avec l’Histoire. La fiction dramatique commence ainsi:  » En 1958, en pleine guerre d’Algérie, onze footballeurs « musulmans d’Algérie » quittent clandestinement leur club de métropole pour créer l’équipe du F.L.N. et participer à la lutte pour l’Algérie indépendante. En perspective, il y a  un match qui aura lieu (ou pas) au Stade de France dans un futur proche et auquel les enfants et petits-enfants des onze joueurs de la première équipe de foot d’Algérie s’apprêtent à se rendre ». Ce texte sera mis en scène par Kheireddine Lardjam. On peut aussi assister à des conversations, toujours liées à l’une des lectures programmées.
Ainsi Ring d’Aïko Solovkine (Belgique) a donné suite à une conversation autour de l’écriture du réel, en présence de l’autrice et avec la participation de Carole Thibaut, autrice et metteuse en scène. Ces échanges sont l’occasion d’une prise de parole avec le public.

Si les lectures occupent une place de prédilection, les spectacles à l’abbaye des Prémontrés et hors les murs ne manquent pas à l’appel ! Cette saison, trois spectacles (Hors les murs) : Les Vieilles carettes, de et avec Jacques Bonnaffé, en tournée dans le bassin mussipontain, Disparitions d’Élise Wilk (Roumanie), traduction de Mirella Patureau, dirigée par Christine Koetzel avec une troupe d’amateurs éphémère du Bassin mussipontain. Et déjà citée, Privés de feuilles, les arbres ne bruissent pas de Magne van Den Berg (Pays-Bas).

Utopie, imagination, poésie, pensée vagabonde ou réflexion plus cadrée occupent pour notre plus grand bonheur ce moment unique consacré à l’écriture théâtrale actuelle.
Le soir venu, respiration dionysiaque avec humour et jubilation lors du cabaret : C’est extra, conception et interprétation formidables de Céline Milliat-Baumgartner, sous le regard artistique de Véronique Bellegarde, la musique de Hervé Legeay et Philippe Thibault. Un salut festif à la poésie, au jeu des mots, à la chanson ! Pour finir, sous le ciel étoilé, la joie de la danse, rendez-vous à tous sur le parquet de bal !  

Véronique Bellegarde, nouvelle directrice artistique, a mené de mains de maitre cette édition, en y apportant quelques nouveautés à venir et souhaits d’évolution : «Je pense à des Moussons. La Mousson d’été est un travail continu qui gagnerait à être partagé et rendu plus visible, même si sa dimension nationale et internationale est inscrite et reconnue de par le monde à présent. La Mousson d’hiver est toute aussi vivace et a pris  une place importante auprès des enseignants, élèves et étudiants lorrains. Une Mousson d’automne organisé à l’espace Bernard-Marie Koltès avec sa directrice Lee-Fou Messica, sera une nouvelle étape : du 5 au 9 décembre 2022, et développera des chantiers accompagnés d’un dispositif pédagogique. Ce dispositif pourrait perdurer et serait rejoint par le Nest à Thionville. Et d’autres partenariats sont en train de naître.» Sous sa direction, le quotidien Temporairement contemporain, toujours mis à disposition du public, a changé de mise en page  et est en couleurs, tout comme la rédaction avec cette année,  Sarah Cillaire et Arnaud Maïssetti assistés de Julie Douet-Zingano, c’est une réussite !À l’année prochaine ! 

Elisabeth Naud

La Mousson d’Été a eu lieu du 23 au 29 août à l’abbaye des Prémontrés, à Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle)

 


Archive pour 10 septembre, 2022

Lazzi, texte et mise en scène de Fabrice Melquiot

Lazzi, texte et mise en scène de Fabrice Melquiot

©Christophe Raynaud de Lage

©Christophe Raynaud de Lage

Un auteur a tous les droits, en tant que responsable -c’est le sens du latin: auctor et capable aussi d’augmenter la réalité ! Même celui de faire des mots d’auteur. Et Fabrice Melquiot ne se prive pas de ces lazzis, souvent bien venus et parfois, non. Il peut délivrer des sentences solennelles mais aussi des observations fines et justes, d’une drôlerie irrésistible. Ou donner au passage son opinion sur l’état du monde: entre autres, la disparition des vidéoclubs et de leurs collections de films-cultes.

Nous pensons au Soyez sympa, rembobinez de Michel Gondry, qui portait le deuil très inventif des vieilles cassettes pour magnétoscopes. À chaque génération, l’obsolescence d’une nouvelle technique du rêve, même si l’auteur se refuse à imaginer le deuil à venir du streaming, remplacé par on ne sait quoi… De l’extinction des CD, émergent quelques souvenirs de cinéphiles et l’invention d’un concept, celui du plan Hamelin: à savoir, l’image ou la séquence d’un film, comme celle du joueur de flûte, qui tire un cortège des souvenirs, mais surtout qui vous réunit avec vous-même et fait penser que cela vaut la peine de vivre. Il faut bien quelque chose, un motif, un moteur pour que ces hommes abandonnés : l’un veuf et l’autre quitté par sa femme, et effacés du monde par la disparition de leur métier, continuent à avancer. Et pourquoi pas à la campagne? Ici, Vincent Garanger et Philippe Torreton, acteurs «fictionisés» sous leur propre nom et nouveaux avatars de Bouvard et Pécuchet y trouveront leur lot de surprises, de joies, d’amour et même d’effroi.

La scénographie de Raymond Sarti, que l’on a connu plus inspiré, est à réserver aux salles toutes neuves, et encore… Des fauteuils de cinéma à demi-brûlés, une atmosphère post-apocalyptique, avec un aérolithe qui descend lentement des cintres. Ils encombrent, un comble aux Bouffes du Nord, le théâtre de Peter Brook qui a écrit L’Espace vide ! Ils font pléonasme avec le texte comme avec le lieu lui-même, dans son fier abandon apparent qui est déjà le décor le plus juste pour cette comédie parfois noire.

Mais comptent surtout ici ces acteurs sont à leur affaire, avec un texte écrit pour eux, comique, sentimental, dramatique, capricieux, sur musique d’Emily Loizeau. Ils ont mille occasions de jouer, saisies au vol en un ping-pong des plus réjouissants. Le plateau, même rendu ici malcommode, est à eux. Et ils peuvent tout se permettre, y compris le mime qu’ils interdiraient peut-être à leurs élèves dans un atelier, le pathétique, les ruptures et adresses au public, la gravité, un one man show à deux, et même l’émotion d’un gracieux moment de danse, au lointain.

Nous rions beaucoup : à chaque fois, Philippe Torreton et Vincent Garranger tapent juste. Et  la vérité des mots et de leur jeu fait rire, comme la vérité du désarroi de leurs personnages et leur amitié. La pièce est parfois décousue mais peu importe, et même tant mieux : l’énergie des acteurs la recoud sans cesse. C’est leur tremplin, et leur liberté répond à la sienne. L’essentiel du théâtre: un texte, des acteurs et un public. Cela marche. Mais qu’aurons-nous appris ? Rien que nous ne sachions déjà, sur un monde qui se défait, sur des vies décevantes et des corps qui prennent un coup de vieux.
Les personnages ? Leur histoire de planter des arbres et leur donner un nom, d’avoir peur des fantômes de la maison, leur tendresse envers les moutons voisins qui débouche sur une violence aveugle… Nous croyons tout, même quand ils le disent parfois avec un clin d’œil et un point d’ironie… Ces acteurs font naître devant nous un grand cinéma. Finalement, la fermeture des vidéo-clubs est un crime contre la liberté de choix du cinéphile. Mais tant qu’il y aura des acteurs de cette trempe, rien ne sera perdu.

Christine Friedel

Théâtre des Bouffes du Nord, Paris ( X ème), jusqu’au 24 septembre. T. : 01 46 07 34 50.

Les 29 et 30 septembre au Château-Rouge, Scène conventionnée d’Annemasse (Haute-Savoie).

Les 4 et 5 octobre, Anthéa d’Antibes (Alpes-Maritimes) ; le 8 à L’Eclat, Pont-Audemer (Eure) ; le 12 Maison de la culture de Nevers, (Nièvre) ; le 15, Les Quinconces, Scène nationale du Mans (Sarthe).

Le 25 novembre, Théâtres en Dracénie, Draguignan (Var).

Le 10 décembre, Théâtre municipal Ducourneau, Agen (Lot-et-Garonne) ; les 13 et 14, Théâtre Saint-Louis, Pau ( Hautes-Pyrénées).

Les 5 et 6 janvier, Scène nationale de Narbonne (Aude) ; le 9, Le Parvis, Scène nationale de Tarbes-Pyrénées, (Hautes-Pyrénées) ; le 12, L’Estive, Scène nationale de Foix et d’Ariège ; le 27, Théâtre Gérard Philipe, Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne; le 31, MA, Scène nationale de Montbéliard (Doubs).

La pièce est publiée aux éditions de l’Arche.

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