Lazzi, texte et mise en scène de Fabrice Melquiot

Lazzi, texte et mise en scène de Fabrice Melquiot

©Christophe Raynaud de Lage

©Christophe Raynaud de Lage

Un auteur a tous les droits, en tant que responsable -c’est le sens du latin: auctor et capable aussi d’augmenter la réalité ! Même celui de faire des mots d’auteur. Et Fabrice Melquiot ne se prive pas de ces lazzis, souvent bien venus et parfois, non. Il peut délivrer des sentences solennelles mais aussi des observations fines et justes, d’une drôlerie irrésistible. Ou donner au passage son opinion sur l’état du monde: entre autres, la disparition des vidéoclubs et de leurs collections de films-cultes.

Nous pensons au Soyez sympa, rembobinez de Michel Gondry, qui portait le deuil très inventif des vieilles cassettes pour magnétoscopes. À chaque génération, l’obsolescence d’une nouvelle technique du rêve, même si l’auteur se refuse à imaginer le deuil à venir du streaming, remplacé par on ne sait quoi… De l’extinction des CD, émergent quelques souvenirs de cinéphiles et l’invention d’un concept, celui du plan Hamelin: à savoir, l’image ou la séquence d’un film, comme celle du joueur de flûte, qui tire un cortège des souvenirs, mais surtout qui vous réunit avec vous-même et fait penser que cela vaut la peine de vivre. Il faut bien quelque chose, un motif, un moteur pour que ces hommes abandonnés : l’un veuf et l’autre quitté par sa femme, et effacés du monde par la disparition de leur métier, continuent à avancer. Et pourquoi pas à la campagne? Ici, Vincent Garanger et Philippe Torreton, acteurs «fictionisés» sous leur propre nom et nouveaux avatars de Bouvard et Pécuchet y trouveront leur lot de surprises, de joies, d’amour et même d’effroi.

La scénographie de Raymond Sarti, que l’on a connu plus inspiré, est à réserver aux salles toutes neuves, et encore… Des fauteuils de cinéma à demi-brûlés, une atmosphère post-apocalyptique, avec un aérolithe qui descend lentement des cintres. Ils encombrent, un comble aux Bouffes du Nord, le théâtre de Peter Brook qui a écrit L’Espace vide ! Ils font pléonasme avec le texte comme avec le lieu lui-même, dans son fier abandon apparent qui est déjà le décor le plus juste pour cette comédie parfois noire.

Mais comptent surtout ici ces acteurs sont à leur affaire, avec un texte écrit pour eux, comique, sentimental, dramatique, capricieux, sur musique d’Emily Loizeau. Ils ont mille occasions de jouer, saisies au vol en un ping-pong des plus réjouissants. Le plateau, même rendu ici malcommode, est à eux. Et ils peuvent tout se permettre, y compris le mime qu’ils interdiraient peut-être à leurs élèves dans un atelier, le pathétique, les ruptures et adresses au public, la gravité, un one man show à deux, et même l’émotion d’un gracieux moment de danse, au lointain.

Nous rions beaucoup : à chaque fois, Philippe Torreton et Vincent Garranger tapent juste. Et  la vérité des mots et de leur jeu fait rire, comme la vérité du désarroi de leurs personnages et leur amitié. La pièce est parfois décousue mais peu importe, et même tant mieux : l’énergie des acteurs la recoud sans cesse. C’est leur tremplin, et leur liberté répond à la sienne. L’essentiel du théâtre: un texte, des acteurs et un public. Cela marche. Mais qu’aurons-nous appris ? Rien que nous ne sachions déjà, sur un monde qui se défait, sur des vies décevantes et des corps qui prennent un coup de vieux.
Les personnages ? Leur histoire de planter des arbres et leur donner un nom, d’avoir peur des fantômes de la maison, leur tendresse envers les moutons voisins qui débouche sur une violence aveugle… Nous croyons tout, même quand ils le disent parfois avec un clin d’œil et un point d’ironie… Ces acteurs font naître devant nous un grand cinéma. Finalement, la fermeture des vidéo-clubs est un crime contre la liberté de choix du cinéphile. Mais tant qu’il y aura des acteurs de cette trempe, rien ne sera perdu.

Christine Friedel

Théâtre des Bouffes du Nord, Paris ( X ème), jusqu’au 24 septembre. T. : 01 46 07 34 50.

Les 29 et 30 septembre au Château-Rouge, Scène conventionnée d’Annemasse (Haute-Savoie).

Les 4 et 5 octobre, Anthéa d’Antibes (Alpes-Maritimes) ; le 8 à L’Eclat, Pont-Audemer (Eure) ; le 12 Maison de la culture de Nevers, (Nièvre) ; le 15, Les Quinconces, Scène nationale du Mans (Sarthe).

Le 25 novembre, Théâtres en Dracénie, Draguignan (Var).

Le 10 décembre, Théâtre municipal Ducourneau, Agen (Lot-et-Garonne) ; les 13 et 14, Théâtre Saint-Louis, Pau ( Hautes-Pyrénées).

Les 5 et 6 janvier, Scène nationale de Narbonne (Aude) ; le 9, Le Parvis, Scène nationale de Tarbes-Pyrénées, (Hautes-Pyrénées) ; le 12, L’Estive, Scène nationale de Foix et d’Ariège ; le 27, Théâtre Gérard Philipe, Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne; le 31, MA, Scène nationale de Montbéliard (Doubs).

La pièce est publiée aux éditions de l’Arche.

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...