Les Ritals de François Cavanna, mis en scène de Mario Putzulu

Les Ritals de François Cavanna, mise en scène de Mario Putzulu, musique de Grégory Daltin, Aurélien Noël ou Sergio Tomasi

Ancien pensionnaire de la Comédie-Française, Bruno Putzulu a joué entre autres sous la direction de Philippe Adrien, Jacques Lassalle, Roger Planchon, Charles Tordjman et tourné dans plus de cinquante films (Jean-Luc Godard, Bertrand Tavernier, Jean-Pierre Mocky…) et à la télévision reprend ici ces Ritals qu’il avait créé il y a cinq ans. Un livre-culte du créateur de Charlie-Hebdo sur son enfance à Nogent-sur-Marne auprès de son père maçon italien et de sa mère originaire de la Nièvre. Une adaptation pour la télévision avait été faite par par Marcel Bluwal en 1991. « Cela me semble important, nécessaire et cela fait sens, dit l’acteur. Une langue qui s’adresse à tout le monde, alors quel meilleur endroit qu’une scène de théâtre pour parler à tout le monde. »

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Un plateau nu avec juste, une table couverte d’une toile cirée à grosses fleurs blanches et quatre chaises paillées pour évoquer la pauvre maison familiale. Et pendu sur un cintre le bourgeron bleu d’ouvrier, il aurait mieux valu celui blanc de maçon mais bon on ne va pas chipoter.  Seul en scène aux côtés de son accordéoniste, le pied droit dans une botte orthopédique et muni des deux béquilles (rupture d’un tendon d’Achille), Bruno Putzulu a tenu à jouer… Malgré ce handicap, il raconte magnifiquement, avec une diction et une gestuelle remarquable la vie de cette famille de ces « macaronis » comme les gamins les appelaient dans les cours de récré… Ou « ritals »  venus travailler dans le Sud-Est mais aussi en région parisienne.

Bruno Putzulu, lui, d’origine sarde, raconte la vie au quotidien de cette famille et de leurs amis, mais surtout celle de ce maçon illettré. Volontaire, énergique et économe,  il ramasse sur les chantiers des bouts de mètres en bois jetés parce que cassés,  pour en refaire des mètres entiers: «Le dimanche matin, […], papa ouvre la fenêtre, […], et il répare des mètres. […] Avec un paquet de vieux mètres, papa en fait un neuf. Quand il est fait, il le regarde au soleil, content comme tout. Il y a juste le nombre de branches qu’il faut, cinq pour un mètre simple, dix pour un double mètre, juste le nombre, pas une branche de plus ou de moins, merde, c’est pas un con, papa. Je suis très fier de lui. » 
L’acteur raconte aussi la vie de cet adolescent à qui les filles italiennes comme françaises sont interdites et leur fascination pour les accordéonistes.. Avec deux copains, il file dans un bordel rue de l’Echiquier à Paris. Et il voit les films de l’époque dans le cinéma de Nogent-sur-Marne, évoque l’arrivée des premiers postes de radio  où il écoute les chansons de Tino Rossi qu’adorait sa mère mais aussi Edith Piaf et son fameux Légionnaire dont Bruno Putzulu chante quelques phrases…Non ce n’était pas au Moyen-Age mais il y a quelque mais un monde à jamais disparu.
Et puis, son dégoût de l’école et son entrée à treize ans comme fraiseur dans une petite usine pour aider ses parents. Mais il n’y est pas heureux et va quitter en lousdé la maison et veut en vélo avec un copain rejoindre Marseille pour aller vivre en Afrique… Ses parents qui le rêvaient postier ou au moins employé de bureau, sont accablés mais il reviendra piteusement une semaine après…
Bruno Putzulu raconte aussi la fierté qu’avait le père de Cavanna de savoir construire une maison, mais aussi la menace de chômage permanente, surtout quand on n’est pas français… et ,une fois la dernière paye versée, l’accablement de sa mère qui allait essayer de faire encore plus de lessives chez les bourgeois pour faire vivre la famille. Il dit aussi  la queue au guichet faite par son père honteux pour obtenir une maigre allocation. Mais attention, interdiction de toucher à une truelle donc nécessité de faire de petits boulots au noir.

Et cet Arabe qui venait tous les jours rester sur un chantier en hurlant : Travail, Travail… pendant un mois. Sans résultat. Jusqu’au jour où le patron l’embauche comme terrassier…. « Mon père qui ne faisait pas de politique lui donnait un peu d’argent pour se nourrir. » A la fin, l’acteur glisse en confidence la phrase de Cavanna: « J’étais parti pour raconter Les Ritals, je crois qu’en fin de compte, j’ai surtout raconté papa.»

Côté mise en scène, rien à dire: Mario Putzulu dirige bien son frère, même s’il y a quelques longueurs sur la fin. Les solos adaptés d’un roman ou d’une nouvelle, sont à Paris comme au festival d’Avignon, monnaie courante mais en général de qualité très moyenne. Et nous avons beaucoup, voire même trop donné! Mais ce spectacle, par la qualité du texte et de son interprète, est exceptionnel d’intelligence et de sensibilité.
Même si vous avez sans doute lu Les Ritals, cela vaut le coup d’aller le voir. Il est particulièrement émouvant. Jusqu’aux larmes? Oui… Bruno Putzulu fait aussi preuve d’un métier qu’il sait mettre avec humilité au service d’un texte. Et ce n’est pas si fréquent. Chapeau…

Philippe du Vignal

 Le Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris (VI ème) jusqu’au 30 octobre.

 


Archive pour 15 septembre, 2022

Les Ritals de François Cavanna, mis en scène de Mario Putzulu

Les Ritals de François Cavanna, mise en scène de Mario Putzulu, musique de Grégory Daltin, Aurélien Noël ou Sergio Tomasi

Ancien pensionnaire de la Comédie-Française, Bruno Putzulu a joué entre autres sous la direction de Philippe Adrien, Jacques Lassalle, Roger Planchon, Charles Tordjman et tourné dans plus de cinquante films (Jean-Luc Godard, Bertrand Tavernier, Jean-Pierre Mocky…) et à la télévision reprend ici ces Ritals qu’il avait créé il y a cinq ans. Un livre-culte du créateur de Charlie-Hebdo sur son enfance à Nogent-sur-Marne auprès de son père maçon italien et de sa mère originaire de la Nièvre. Une adaptation pour la télévision avait été faite par par Marcel Bluwal en 1991. « Cela me semble important, nécessaire et cela fait sens, dit l’acteur. Une langue qui s’adresse à tout le monde, alors quel meilleur endroit qu’une scène de théâtre pour parler à tout le monde. »

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Un plateau nu avec juste, une table couverte d’une toile cirée à grosses fleurs blanches et quatre chaises paillées pour évoquer la pauvre maison familiale. Et pendu sur un cintre le bourgeron bleu d’ouvrier, il aurait mieux valu celui blanc de maçon mais bon on ne va pas chipoter.  Seul en scène aux côtés de son accordéoniste, le pied droit dans une botte orthopédique et muni des deux béquilles (rupture d’un tendon d’Achille), Bruno Putzulu a tenu à jouer… Malgré ce handicap, il raconte magnifiquement, avec une diction et une gestuelle remarquable la vie de cette famille de ces « macaronis » comme les gamins les appelaient dans les cours de récré… Ou « ritals »  venus travailler dans le Sud-Est mais aussi en région parisienne.

Bruno Putzulu, lui, d’origine sarde, raconte la vie au quotidien de cette famille et de leurs amis, mais surtout celle de ce maçon illettré. Volontaire, énergique et économe,  il ramasse sur les chantiers des bouts de mètres en bois jetés parce que cassés,  pour en refaire des mètres entiers: «Le dimanche matin, […], papa ouvre la fenêtre, […], et il répare des mètres. […] Avec un paquet de vieux mètres, papa en fait un neuf. Quand il est fait, il le regarde au soleil, content comme tout. Il y a juste le nombre de branches qu’il faut, cinq pour un mètre simple, dix pour un double mètre, juste le nombre, pas une branche de plus ou de moins, merde, c’est pas un con, papa. Je suis très fier de lui. » 
L’acteur raconte aussi la vie de cet adolescent à qui les filles italiennes comme françaises sont interdites et leur fascination pour les accordéonistes.. Avec deux copains, il file dans un bordel rue de l’Echiquier à Paris. Et il voit les films de l’époque dans le cinéma de Nogent-sur-Marne, évoque l’arrivée des premiers postes de radio  où il écoute les chansons de Tino Rossi qu’adorait sa mère mais aussi Edith Piaf et son fameux Légionnaire dont Bruno Putzulu chante quelques phrases…Non ce n’était pas au Moyen-Age mais il y a quelque mais un monde à jamais disparu.
Et puis, son dégoût de l’école et son entrée à treize ans comme fraiseur dans une petite usine pour aider ses parents. Mais il n’y est pas heureux et va quitter en lousdé la maison et veut en vélo avec un copain rejoindre Marseille pour aller vivre en Afrique… Ses parents qui le rêvaient postier ou au moins employé de bureau, sont accablés mais il reviendra piteusement une semaine après…
Bruno Putzulu raconte aussi la fierté qu’avait le père de Cavanna de savoir construire une maison, mais aussi la menace de chômage permanente, surtout quand on n’est pas français… et ,une fois la dernière paye versée, l’accablement de sa mère qui allait essayer de faire encore plus de lessives chez les bourgeois pour faire vivre la famille. Il dit aussi  la queue au guichet faite par son père honteux pour obtenir une maigre allocation. Mais attention, interdiction de toucher à une truelle donc nécessité de faire de petits boulots au noir.

Et cet Arabe qui venait tous les jours rester sur un chantier en hurlant : Travail, Travail… pendant un mois. Sans résultat. Jusqu’au jour où le patron l’embauche comme terrassier…. « Mon père qui ne faisait pas de politique lui donnait un peu d’argent pour se nourrir. » A la fin, l’acteur glisse en confidence la phrase de Cavanna: « J’étais parti pour raconter Les Ritals, je crois qu’en fin de compte, j’ai surtout raconté papa.»

Côté mise en scène, rien à dire: Mario Putzulu dirige bien son frère, même s’il y a quelques longueurs sur la fin. Les solos adaptés d’un roman ou d’une nouvelle, sont à Paris comme au festival d’Avignon, monnaie courante mais en général de qualité très moyenne. Et nous avons beaucoup, voire même trop donné! Mais ce spectacle, par la qualité du texte et de son interprète, est exceptionnel d’intelligence et de sensibilité.
Même si vous avez sans doute lu Les Ritals, cela vaut le coup d’aller le voir. Il est particulièrement émouvant. Jusqu’aux larmes? Oui… Bruno Putzulu fait aussi preuve d’un métier qu’il sait mettre avec humilité au service d’un texte. Et ce n’est pas si fréquent. Chapeau…

Philippe du Vignal

 Le Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris (VI ème) jusqu’au 30 octobre.

 

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