La Foire de Madrid, adaptation de Félix Lope de Vega et mise en scène de Ronan Rivière
La Foire de Madrid, adaptation du texte de Felix Lope de Vega et mise en scène de Ronan Rivière
Le grand écrivain espagnol à vingt-cinq ans est déjà reconnu quand il écrit cette pièce. Il mourra en 1635 après en avoir écrit des centaines mais aussi des poèmes, romans… C’est un des meilleurs dramaturges du fameux Siècle d’or espagnol avec l’immense Calderon et Tirso de Molina.
En France, il a été vite apprécié et a inspiré, entre autres Molière,mais aussi Marivaux et les dramaturges du XVII ème et XVIII ème. Il a écrit un théâtre -facile d’accès et populaire, fondé sur une action simple et vraisemblable, avec des personnages dont un essentiel : le « gracioso », un valet-bouffon qui sera le modèle du Sganarelle de Molière. Dans un habile mélange à la Shakespeare entre comédie et tragédie… Lope de Vega, très habile scénariste et dialoguiste sait vite entraîner un public.
Cela se passe à Madrid pendant une foire. Il y a là Leandro, Adrian, Claudio et son épouse Eufrasia, Escudero le valet d’Eufrasia, un voleur, Violante et Patricio son mari, une servante, Belardo, le père de Violante. Les jeunes gens s’amusent, essayent en vain de draguer de belles filles souvent inaccessibles parce que mariées, ou très surveillées. Et il y a du cynisme dans l’air ! Claudio: «Cela fait deux ans maintenant que nous sommes mariés. Elle est élégante ! Elle me plaît ! J’ai du bien, je peux être généreux. (…) «Sur le papier, elle était femme de qualité, Intelligente et physiquement passable. (…) Vieille fille riche et noble, aucun parent, plus qu’un vieil écuyer… Pour moi, désargenté, C’était une chance inespérée Mais, en vérité, elle m’est odieuse, Je ne peux plus la voir en peinture, Elle est sinistre et mauvaise en amour. » Adrian en rajoute côté cynisme : « Celle-là, il n’y a pas un chien qui ne l’ait sauté. » Quant aux vols de bourse ou de gâteaux chez le pâtissier, ils sont fréquents…
Et ce n’est pas mieux du côté des femmes: Eufrasia ne supporte plus Claudio… «Le joli manteau, Je ferais n’importe quoi pour avoir un manteau comme ça. D’autres font le tapin pour avoir des cadeaux. Moi, je n’ai besoin de rien ! Mais si je me dévergondais… Voilà justement des jeunes gens qui arrivent avec … Mince, mon mari ! Cachons-nous. » « Gardez vos malédictions, Quand on souhaite la mort de quelqu’un, il vit toujours plus longtemps. Les dernières années de mon défunt mari me furent interminables. »
Lope de Vega connait visiblement très bien ce milieu populaire madrilène et en dragueur impénitent, fut mêlé à de nombreuses histoires… Il réussit à se marier trois fois et a donc eu plusieurs familles, une dizaine d’enfants et de nombreuses amoureuses de passage. Mais il fut condamné à l’exil plusieurs années.
Parmi ces jeunes gens, Leandro (Ronan Rivière) est fasciné par la jeune Violante (Laura Chetrit) et réciproquement. Elle n’est pas très heureuse. Et Patricio, son mari jaloux (Michaël Giorno-Cohen) très violent, estmis devant devant le fait accompli: ils ont une liaison. Le père de Violante devant sa colère veut protéger sa fille et n’hésitera pas à le tuer. La jeune veuve dit avec un peu de pitié : « Je n’ai jamais eu une heure de paix avec lui, Sa jalousie l’avait rendu insupportable à mon cœur, Mais c’était mon mari, et son décès m’afflige. »
Mais sa peine sera de courte durée et les amoureux pourront donc se marier. Lope de Vega s’en tire par une pirouette… Adrian couvre le corps de Patricio et dit juste: « Finie la comédie…
La pièce récemment traduite en français n’a sans doute pas la qualité de celles déjà connues en France comme Fuenteovejuna, Pedro et le Commandeur, La Dama Boba, Le Chien du Jardinier… Mais comme Lope de Vega est un très habile scénariste et dialoguiste, elle se laisse voir et il y a, du moins dans la version présentée ici, d’étonnantes répliques. Et nous écoutons avec plaisir les ponctuations musicales signées Manuel de Falla dont la célèbre Danse rituelle du feu et jouées ici au piano par Olivier Mazal. « La puissance de ce texte réside dans son dépaysement, dit Ronan Rivière, on a envie de faire plonger les spectateurs dans le Madrid fantasmé par Lope de Vega avec le regard d’une troupe d’aujourd’hui. » Pourquoi pas et à condition de s’en donner les moyens, ce qui est nettement plus difficile.
Mais cette mise en scène assez appliquée manque singulièrement de rythme et de folie: médiocre et peu crédible interprétation (orale aussi bien que gestuelle) sauf celle de Ronan Rivière et Laura Chetrit. Et la diction n’est pas toujours au rendez-vous.
La scénographie, un peu dans le style de Léon Guischia, le collaborateur de Jean Vilar, est assez maladroite (avec fenêtres en perspective!) et vieillotte dans la façon dont son auteur structure l’espace. Quelques éléments de décor aurait suffi dans cette belle salle aux murs de pierre blancs…
Et, comme le tout est mal éclairé par des douches, au milieu de la salle, nous avions de la peine à voir les visages des acteurs, ce qui est quand même ennuyeux pour une comédie ! Bref, rien ici n’est vraiment dans l’axe dans la mise en scène de cette comédie encore jamais jouée en France, sauf au Lucernaire et par cette même troupe, «accueillie en résidence artistique depuis 2016 par la ville de Versailles. »
Les quelque cinquante spectateurs ont applaudi frileusement et vous aurez compris qu’il n’y a aucune urgence à aller jusqu’à la Cartoucherie voir cette Foire de Madrid . Elle mérite mieux que cette réalisation trop approximative et perdue dans ce vaste espace scénique. Dommage…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 25 septembre, Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. T. : 01.48.08.39.74.
Métro : Château de Vincennes, et ensuite navette gratuite.