Jours de joie d’Arne Lygre, traduction de Stéphane Braunschweig et Astrid Schenka, mise en scène de Stéphane Braunschweig
Jours de joie d’Arne Lygre, mise en scène de Stéphane Braunschweig
Le metteur en scène et directeur de l’Odéon connait bien l’œuvre du dramaturge norvégien et a déjà monté Jours souterrains, Je disparais, Rien de moi et Nous pour un moment (voir Le Théâtre du Blog). Ici en automne, un lieu paisible, sans doute un jardin public mais sans enfants près d’un cimetière et d’une rivière. Le plateau nu est tapissé d’un épais de matelas de feuilles mortes et un long banc à lattes en bois mais d’une longueur inhabituelle, capable d’accueillir huit personnes. Une très belle image qui fait penser à certains tableaux de René Magritte. Il y a d’abord ici une mère à la fois douce mais souvent fielleuse (remarquable Virginie Colemyn) avec sa fille ( Chloé Réjon, tout aussi remarquable) qui habite à l’étranger et à qui elle reproche de ne pas la voir très souvent.
Mais comme les autres personnages qui se succèderont, mère et fille n’ont ni prénom ni nom de famille. Elles retrouveront leur fils et frère qui en un: Askle, comme son compagnon: David. Et d’autres femmes et hommes les rejoindront sur ce banc où la mère les invite à s’asseoir. Ils ne se connaissent pas, ou très peu mais ont envie de partager une certaine joie de vivre, même si on la sent empreinte de nostalgie. C’est le lieu des confidences et proclamations d’amour mais aussi des regrets: la Fille dit qu’elle ne pourra jamais avoir d’enfants et des reproches…La Mère n’a pas de mots assez durs pour la famille de son mari.
Arrive un voisin avec son ex-femme pour une séance d’explications. Puis une femme qui a récemment perdu son mari, avec ses enfants venus voir ensemble le lieu où il a décidé d’être enterré. Askle (Pierric Plathier) n’est toujours pas là. Il y a donc ici trois groupes qui semblent appartenir à une même communauté de sentiments, même s’ils ne se connaissent pas. Et ces personnages se parlent beaucoup et avec sincérité, comme s’ils n’avaient rien à perdre en confiant leur intimité à des inconnus. Avec en filigrane, un grand besoin de tendresse. Pas loin de Tchekhov…
Arne Lygre sait très bien dire cela dans une langue précise et subtile, presque celle de tous les jours, que ce soit en Norvège ou en France. Avec, comme dénominateur commun entre ces gens si proches de nous, la mort, l’éloignement ou la disparition d’êtres chers. Aksle arrive enfin mais il fait part d’une décision irrévocable chez lui : disparaître de son milieu habituel, couper les ponts et rompre avec David, son amoureux qui l’a abandonné. Comme le héros de John Updike dans Cœur de lièvre …
Le dramaturge norvégien tresse habilement ces retrouvailles et, pour Stéphane Braunschweig, lui parait intéressant le travail « sur le rapport au bonheur, surtout quand on sent à quel point les spectateurs cherchent en ce moment au théâtre à retrouver de l’énergie positive. (…) Chacun des personnages est entièrement dans son univers mais cela n’empêche pas que se produise un point de rencontre entre eux. Et alors, tout à coup, même avec leur part de solitude, ces individus forment un monde, un paysage. »
Et ces jours de joie promis par le titre ? Peut-être de simples moments comme ceux où des femmes et des hommes ont plaisir à se retrouver ensemble, qu’ils se connaissent bien, un peu, voire même pas du tout. Le covid est passé par là… «Jouissez chaque jour des joies que la vie vous apporte, disait déjà l’immense Eschyle il y a vingt-cinq siècles… Toute cette première partie doit beaucoup à l’intensité du langage et au pouvoir de mots mais aussi à une direction d’acteurs très soignée. Cécile Coustillac, Alexandre Pallu, Lamya Regragui Muzio, Grégoire Tachnakian, Jean-Philippe Vidal sont tous remarquables.
Puis un mur blanc avec une seule porte descend des cintres et les accessoiristes apportent un grand canapé d’angle très confortable -la réplique domestique du grand banc- et une table avec deux chaises. Nous sommes chez David, au centre de cette seconde partie. Et les mêmes acteurs, comme l’a voulu l’auteur, jouent d’autres personnages comme la sœur et la mère de David, une voisine, trois amis d’enfance, la mère d’Askle. Elle a quitté son mari infidèle et arrive pour retrouver son fils. Dans la dernière scène, il y a une certaine connivence entre ces deux êtres abandonnés par leur conjoint.
Et il y a une sorte de chœur des voisins mais le texte assez bavard (la mise en scène reste aussi subtile) n’a pas le rythme des séquences précédentes. Sans doute, les répliques des personnages ( peut-être aussi sont-ils moins intéressants…) n’ont-elles pas non plus la même force et tout se passe comme si Arne Lygre avait eu quelque difficulté à faire tourner cette partie autour d’une disparition.
Malgré cette seconde partie, à l’évidence trop longue (la pièce dure deux heures vingt sans entracte), cette «tragédie des relations brisées» et la recherche de la joie vécue en commun vaut le déplacement, surtout si vous ne connaissez pas le théâtre d’Arne Lygre.
Philippe du Vignal
Jusqu’au 14 octobre, Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, Paris (VI ème). T. : 01 44 85 40 40.
Le texte de la pièce est publié chez L’Arche éditeur.