Le Menteur de Corneille, adaptation et mise en scène de Marion Bierry
Le Menteur de Corneille, adaptation et mise en scène de Marion Bierry
Richelieu meurt en 1642 puis Louis XIII, lui, à quarante-trois ans seulement l’année suivante suivante où Pierre Corneille écrit cette pièce quelque peu autobiographique. Né à Rouen, il y était revenu après la querelle du Cid et son triomphe exceptionnel en 1637. Il voit dans sa ville natale une représentation de La Vérité suspecte de Juan Ruiz de Alarcón, un des grands dramaturges du Siècle d’or espagnol avec Tirso de Molina, Calderon et Lope de Vega mais moins connu en France. Et il s’en inspirera beaucoup pour écrire Le Menteur. Une pièce très applaudie par l’aristocratie qui s’imposait de plus en plus…
Le beau et jeune Dorante, lui, est de Poitiers, (pour ne pas dire Rouen? une ville citée neuf fois par lui et par les autres personnages! Le Menteur est la dernière des six comédies (dont la merveilleuse Illusion comique) de Corneille qui, ensuite, n’écrira plus que des tragédies.
L’argument, au départ simple, est ensuite truffé d’imbroglios souvent farcesques … Dorante, qui a fini ses études en province, revient à Paris et, avec Cliton, son valet, se promène aux Tuileries où il fait la connaissance des jeunes et belles Lucrèce et Clarice. Pour se faire mousser et les séduire, il s’invente une somptueuse carrière militaire. Et il dit aussi -assez mythomane- qu’il mène la grande vie : «J’avais pris cinq bateaux pour mieux tout ajuster. Les quatre contenaient quatre chœurs de musique, Capables de charmer le plus mélancolique. Au premier, violons ; en l’autre, luths et voix ; Des flûtes, au troisième ; au dernier, des hautbois, Qui tour à tour dans l’air poussaient des harmonies Dont on pouvait nommer les douceurs infinies. Mais face à son ami Alcippe comme à son père, Dorante va être obligé de mentir de plus en plus. Avec bien sûr, des quiproquos en rafale. Plus de deux siècles avant, Eugène Labiche, Georges Feydeau, puis le théâtre de boulevard ne sont pas loin!
Dorante, sans aucun scrupule et au mépris même de la parole donnée et de l’amitié, pratique le mensonge comme discipline artistique à part entière, exigeant nerfs solides, cynisme absolu, sens de la répartie, confiance en soi, imagination sans bornes… Le pauvre Cliton désarmé, comme Sganarelle avec Dom Juan, n’est en rien dupe : « Les gens que vous tuez, se portent assez bien. » Et il le met en garde mais en vain contre ses mensonges à répétition : «Si vous vous en tirez, je vous tiens habile homme. »
D’un autre côté, les jeunes femmes ne sont pas dupes de ses prouesses. « Dorante avec chaleur, fait le passionné, dit Lucrèce, Mais le fourbe qu’il est, nous en a trop donné, Et je ne suis pas fille à croire ses paroles. Et à Dorante qui lui réplique : « Pour vous ôter de doute, agréez que demain/ En qualité d’époux je vous donne la main. » Clarice réplique sans illusion : « Eh ! Vous la donneriez en un jour, à deux mille. Et quand Sabine, sa servante lui confie: « S’il vous mentait alors, À présent il dit vrai ; j’en réponds corps pour corps. » , Clarice, très lucide, refuse d’entrer dans ce jeu de dupes : « Peut-être qu’il le dit mais c’est un grand peut-être.» Fabuleux jeu de mots…
Ces très jeunes femmes -et Dorante quand il essaye de les séduire, va s’en apercevoir à ses dépens- savent aussi très bien jouer au jeu du mensonge pour faire avancer leurs pions sur le grand échiquier de l’amour.
Et la figure du père est aussi constamment là pour rappeler que fantasmes, mensonges et supercheries, cela va bien un moment et qu’il y a des limites à ne pas franchir si on veut être respecté... A vouloir simuler par la parole et la gestuelle, un personnage qu’on n’est pas, même le très habile Dorante risque fort de le payer cher. Même si tout le monde ment et vit dans l’apparence et la leçon reste des plus actuelles… Et les quelque cinq jeunes spectateurs semblaient savourer ces alexandrins du vieux Corneille dont ils ont sans doute seulement étudié Le Cid au collège .
Dorante fait preuve de virtuosité dans le mensonge comme à un concours de menteurs dont il sortira, pense-t-il, malgré tout vainqueur. Mais non, il n’aura pas l’épouse qu’il souhaitait… A la fin du spectacle, Cliton dira seulement en conclusion de cette histoire de dupes assez grinçante et qui aurait plus mal tourner: « Comme en sa propre fourbe, un menteur s’embarrasse ! Peu sauraient comme lui s’en tirer avec grâce. Vous autres qui doutiez s’il en pourrait sortir, Par un si rare exemple apprenez à mentir. »
Marion Bierry a situé les choses pendant le Directoire avec des personnages, estimant cette période historique plus proche de nous, ce qui n’est pas si sûr. Et elle a supprimé tous les personnages secondaires dont Philiste qu’elle juge un peu trop sérieux. Pourquoi pas ? De toute façon la pièce est un peu trop longue et surtout comment les faire entrer aussi nombreux en même temps sur cette petite scène… Et elle repiqué quelques moments de La Suite du Menteur au début et à la fin. Si elle n’avait pas honnêtement prévenu, on ne s’en serait pas aperçu.
Et il y a de bonnes scènes notamment entre Dorante (remarquable et très crédible Alexandre Bierry qui ne quitte pas le plateau) et son père (Serge Noël, acteur et musicien d’expérience). Ou entre le jeune homme et son valet Cliton (Benjamin Boyer, lui aussi très crédible dans ce rôle de valet qui dit ses quatre vérités à son maître). Ou encore entre Dorante et son ami Alcippe (Brice Hillairet). Tous quatre disent parfaitement les alexandrins et c’est un délice d’en entendre la musique. Et leur parlé-chanté sur des musiques de chansons récentes sont savoureuses. lMais, quitte à prendre le risque de nous faire métouiser, cette distribution est inégale… Anne-Sophie Nallino (Clarice) et Mathilde Rey ( Lucrèce) n’ont pas vraiment l’âge des jeunes Clarice et Lucrèce. Elles ont une très bonne diction mais ne semblent pas très à l’aise et sont peu crédibles.
Sans doute, en partie à cause d’une scénographie qui n’est pas du bois dont on fait les flûtes et qui n’aide en rien les acteurs, surtout sur un aussi petit plateau. Imaginez deux grand paravents montés sur roulettes avec des fenêtres et des portes sur le côté qui se replient selon les scènes. Et des petits caissons où très souvent, Marion Bierry les fait monter sans véritable raison… Alexandre Bierry, déjà grand, a ainsi la tête qui touche presque le plafond de scène ! Et les costumes bricolés façon vaguement Directoire, sont tous d’une laideur prononcée (les quatre hommes portent des bottes de caoutchouc noir!). Tous aux abris !
Bref, même si la mise en scène de ce Menteur est inégale, reste ici le plaisir d’entendre ces alexandrins écrites dans une langue qui reste encore accessible quatre siècles plus tard…. Et la quarantaine de personnes d’une certain âge semblait y trouver du plaisir. Corneille a vraiment le sens du dialogue et de la réplique. Allez, une dernière pour la route… A Dorante qui prétend connaître dix langues, Cliton, réplique : «Vous auriez bien besoin de dix des mieux nourries,/Pour fournir tour à tour à tant de menteries /Vous les hachez menu comme chair à pâtés. /Vous avez tout le corps bien plein de vérités, /Il n’en sort jamais une. »
Malgré une mise en scène approximative, recommandons ce Menteur aux élèves des écoles de théâtre (il y a sûrement des tarifs réduits). Ils y entendront comme rarement la musique de ces alexandrins, un trésor de la langue dramatique française… restituée ici avec bonheur.
Philippe du Vignal
Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse, Paris (VI ème). T. : 01 45 44 50 21.