Écho de Vanasay Khamphommala

Écho de Vanasay Khamphommala

 Pauvre petite Écho! La jolie nymphe a détourné par ses bavardages l’attention de Junon, quand Jupiter se livrait à ses amourettes. En punition, la parole lui sera ôtée et elle pourra juste répéter les derniers mots qu’elle aura entendus. Un jour dans un bois, elle voit le beau Narcisse et en tombe éperdument amoureuse. Elle le poursuit… Il pouvait l’entendre mais quand elle répète les dernières syllabes entendues, elle leur donne un sens trop bien… entendu. Et Narcisse aura horreur de cet amour: «Plutôt mourir que de te laisser toucher mon corps!», dit-il. «Toucher mon corps », réplique-t-elle, exprimant son plus haut désir, refusé par l’autre.

Vanasay Khamphommala parle de la honte qui accompagne les chagrins d’amour, et  les perdants, les perdus. L’acteur, indiscutablement homme mais tout aussi femme, s’expose calme et nu, dans toute sa beauté vulnérable, forte et fragile Vénus pudica. « On dit que la honte est intime, c’est nier qu’elle est un outil de contrôle social d’autant plus puissant, qu’il est intériorisé ». Le rejeté, le mal aimé devrait se cacher, c’est pourquoi, il le montre au théâtre…

Il-elle joue ce qu’est perdre sa voix, jusqu’à la retrouver peut-être. Seule, au micro, cette nouvelle Echo émet quelques sons à peine distincts, à à la limite de la perception, avec d’infimes mouvements des yeux ou des lèvres. Ce moment parfait d’incertitude et d’une grande délicatesse, parle et touche infiniment plus, que les mots ne le feraient. Mais  ils viendront, s’inscrivant sur l’écran au lointain, avec la performance d’écriture de Théophile Dubus. Quelle grâce prennent alors les mots des poètes et ceux banals des sentiments, à s’imprimer tout vifs devant nous, non sans humour et parfois hésitants, parfois corrigés, brouillés et superposés ! À leur façon, ils gracient la nymphe condamnée et ramènent le spectateur sur le chemin du sens et de la réconciliation. Il y a ici une belle idée de théâtre et le plaisir de voir une technique utilisée au plus juste.

© Pauline Le Goff

© Pauline Le Goff

La nouvelle Écho n’est pas seule et viennent se mêler de son histoire, Caritia Abell, Natalie Dessay et Pierre-François Doireau qui, lui, impose l’image d’une sorte de Caliban, faunesque. Ils commencent par enterrer Echo sous une bâche de plastique et trois sacs de terreau, puis lui rendent les honneurs funèbres, entre gag et cauchemar, jusqu’à faire la sieste sur sa tombe.
« Les gens heureux ne vont pas au théâtre, ils font des pique-niques », y compris dans les cimetières. Mais la tombe respire… Et une voix revient. À Natalie Dessay qui a mis fin à sa carrière de cantatrice pour devenir comédienne (l’on a vue récemment aux Plateaux Sauvages dans
Hilda), Vanasay Khamphommala fait écouter un air de Mozart du répertoire que la cantatrice avait enregistré. Peu à peu, un petit raclement de gorge bien présent, vient troubler notre écoute respectueuse, la voix rejoint le chant puis se superpose à celui de l’enregistrement, le déborde … La voix humaine, miraculeuse a été rappelée à la vie. Un moment sublime.

Mais ici tout n’est pas de cette eau et il y a des actions parfois confuses. À la fin, au nom d’une image de l’amour ou de la rencontre (?), des spectateurs -complices -montent sur le plateau. Une idée, peut-être mais peu claire.. Comme si la fin du spectacle était la gestation, dans l’obscurité, d’une mise en scène en train de se faire, mais qui n’aurait pas encore trouvé son dessein.
Après Vénus et Adonis, Orphée aphone, et Le Bain de Diane, Echo est le quatrième volet d’un grand projet inspiré par Les Métamorphoses d’Ovide. Entre théâtre et performance, il y a parfois dans cette recherche, des moments exceptionnels. À suivre…

Christine Friedel

Jusqu’au 24 septembre, Les Plateaux sauvages , 5 rue des Plâtrières, Paris (XXème). T. : 01 83 75 55 70.

Du 4 au 7 octobre, Théâtre Olympia-C.D.N. de Tours (Indre-et-Loire), et du 18 au 22, TnBA-Bordeaux (Gironde).

Du 6 au 7 décembre, Halle aux Grains-Scène nationale de Blois (Loir-et-Cher); les 13 et 14, Maison de la Culture-Scène nationale d’Amiens (Somme).


Archive pour 23 septembre, 2022

Adieu Françoise Dupuy

Adieu Françoise Dupuy

Discrète, elle était peu connue du grand public mais avec son mari Dominique Dupuy, elle aura été à l’origine de la danse contemporaine en France. Ils ont été les premiers à accueillir dans les années cinquante l’immense Merce Cunningham, alors totalement inconnu en France…

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 Françoise Dupuy s’est éteinte à quatre-vingt dix sept ans après une vie toute entière consacrée à cet art à Paris, puis en Provence. A la fois danseuse, chorégraphe elle a été une pédagogue exceptionnelle avec Jacqueline Robinson et son mari, à l’Institut de formation des rencontres internationales de la danse qu’ils avaient créé de 1978 à 1986. Nommée inspectrice de la danse au ministère de la Culture, elle avait été chargée en 1985 de l’éveil à la danse en milieu scolaire.
Elle a aussi écrit plusieurs ouvrages dont celui collectif L’Eveil et l’initiation à la danse et  Une danse à l’œuvre, Deux à danser, Album, On ne danse jamais seul. Écrits sur la danse,  écrits avec Dominique Dupuy. Notre amie Christine Friedel qui eu le bonheur de travailler avec elle, son mari et leurs  collaboratrices, en parle avec émotion.

Ph. du V.

 

Apprendre la danse, à vingt-cinq ans?

Sur le conseil d’un ami avisé, je me suis retrouvée dans le grand studio du 104 boulevard de Clichy de Françoise et Dominique Dupuy avec leurs Ballets modernes de Paris.

Une formidable école, avec non pas un mais cinq ou six professeurs, alternant diverses approches du mouvement, jusqu’à la danse. Avec Dominique, nous pouvions travailler une heure et demie entre la quatrième et la cinquième vertèbre dorsale, ou trouver sur nos pieds l’équilibre parfait, qui envoie toute leur énergie au reste du corps.

Avec Brigitte Hyon, c’était un travail très encadré sur le rythme, et avec d’autres, c’était l’improvisation et la mémoire du geste. Delphine Rybinski nous enseignait la musicalité de la danse, toujours, dès les exercices d’échauffement.

Et avec Françoise, c’était la synthèse de tout cela, la verticale. Grande, elle nous faisait grandir, et ne laissait échapper aucun relâchement. Elle ne s’occupait pas de notre « niveau», mais veillait à notre degré d’exigence : la signature de cette école, avec le respect de notre corps tel qu’il est, et à qui on n’en demande pas moins. Et ça ne rigolait pas : gaucherie interdite et recherche de la justesse mais dans les limites de nos capacités. Chercher la justesse. Sentir, comprendre comment une jambe s’élève, placer la hanche, le souffle, pour s’en approcher.

Trois heures de cours par semaine, puis six, puis la joie et la gêne de se trouver (au fond de la classe quand même !) avec les danseurs qui allaient former les grandes troupes comme celle de Jean-Claude Gallotta. Nous essayions d’attraper quelque chose de leur vivacité… En même temps, Françoise nous le rappelait: «Tu n’es pas ici pour regarder. C’est ton corps qui regarde et qui écoute, à la vitesse de la lumière, c’est ton geste, dans l’immense volume du studio. Ce volume, c’est l’espace de ton imaginaire, la liberté du mouvement, ta verticale. » Merci, Françoise.

Christine Friedel

 

 

 

Harvey de Mary Chase, nouvelle traduction d’Agathe Mélinand, mise en scène de Laurent Pelly


Harvey,
de Mary Chase,
nouvelle traduction d’Agathe Mélinand, mise en scène de Laurent Pelly 

La pièce de la dramaturge américaine (1907-1981) -très connue aux Etats-Unis et qui en a écrit une dizaine d’autres- ne l’est pas du tout en France ! Harvey avait été créée en 1944 au 49th Street Theatre à New York avec, au compteur cinq ans plus tard quelque 1.775 représentations ! Mary Chase avait, en 45, reçu le Prix Pulitzer du théâtre pour cette œuvre ensuite adaptée pour le cinéma et la télévision à plusieurs reprises. Il y eut  notamment un film  sorti en 1950 avec James Stewart et Josephine Hull. Harvey fit aussi l’objet deux téléfilms américains en 1972  et 1996. Cette pièce, restée inconnue en France pour des raisons mystérieuses, a été enfin créée par Laurent Pelly en 2018 à Grenoble et reprise il y a un an au T.N.P. à Villeurbanne.

 

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Edwood P. Dowd, la quarantaine, est un aimable et farfelu célibataire, toujours accompagné d’un grand ami imaginaire -que nous ne verrons donc jamais- Harvey, un lapin de deux mètres. Edwood, qui a tendance à être alcoolique, fréquente trop les bars, donne tout le temps sa carte de visite à des inconnus qu’il invite à dîner chez lui. Ce conte théâtral semi-fantastique pas très loin de Lewis Caroll, et souvent comique, nous parle aussi de la solitude de cet être asocial, isolé avec son Harvey mais qui, en même temps recherche le contact avec les gens. Et Mary Chase veut sans doute nous dire que ce n’est pas incompatible…
Selon Laurent Pelly, « grâce à son charme et sa gentillesse, il est sans doute la part secrète et intime de chacun de nous, il a presque une fonction curative. Elwood ne peut pas être seul, puisqu’il est avec Harvey. Et avec lui, il peut s’accommoder de toutes les situations et de tous les lieux. Même les plus dangereux ou difficiles. »

Mais Harvey est bien plus qu’une comédie légère comme Broadway en a fait naître par centaines. Eldwood à la fois très charmeur mais aussi parfois inquiétant et se fait remarquer par tous ceux qu’il rencontre. «Souvent les gens me regardent et ils sourient, ils disent: « Monsieur, on ne vous connait pas, mais vous avez l’air d’être sympa. » ça nous réchauffe le cœur à Harvey et à moi. » Mais cet être ambivalent qui pourrit la vie de sa sœur Veta qui se décidera à le faire interner dans un hôpital psychiatrique, il a affaire à des personnages un peu falots (c’est sans doute le défaut de la pièce trop axée sur le seul personnage d’Edwood). Et il crée un joyeux capharnaüm, embrasse sur la bouche, la secrétaire qui est à l’accueil, va partout où il a envie d’aller, traite les médecins d’égal à égal… Et bien entendu, il y a une suite de quiproquos et rebondissements.

Cela commence en effet assez mal : Sanderson, un jeune psychiatre prend Veta pour Elwood qui a déjà une influence sur le personnel hospitalier et sur le docteur Chumey qui dirige l’établissement. Cela complique donc la vie de tout le monde mais pas celle d’Elwood. Les psychiatres  décident de lui faire une piqûre pour en faire un « être humain parfaitement normal ». Une vieille tentation de l’époque : le remède miracle pour soigner et enfin guérir les malades mentaux, même ceux qui souffrent de pathologies légères… Mais la psychiatrie depuis quatre-vingt ans quand Mary Chase a écrit la pièce- a beaucoup évolué… Veta se demande finalement si elle ne préférerait pas garder Elwood comme il est …
Et lui, Elwood? « Je me suis battu contre la réalité tout ma vie, docteur. Et je suis heureux de l’avoir emporté .»

Cette leçon de vie est remarquablement mise en scène par Laurent Pelly dans une scénographie ambulante de Chantal Thomas: un appartement bourgeois, un peu ridicule avec appliques lumineuse en satin rose et nombre de véritables croûtes accrochées aux porte-manteaux ou sur les murs: un portrait de femme, des paysages et cinq petits tableaux de vases de fleurs. L’hôpital psychiatrique est lui suggéré par des éléments blancs aseptisés: accueil, sièges, bureau du docteur… La pièce (une heure cinquante) est un peu longuette et Agathe Mélinand aurait pu élaguer certaines scènes sans dommage. Mais comme  le spectacle bénéficie d’une interprétation d’une rare qualité, cela passe …
Omniprésent, Jacques Gamblin, dont la présence et le jeu tout en nuances sont fabuleux, mène le bal sur toute la pièce. Mais sans jamais se mettre en avant. Une belle performance d’acteur! Et tous ses camarades, surtout Christine Brücher dans le rôle de la sœur, sont tout aussi épatants et crédibles, dès qu’ils entrent sur le plateau. Mais dans la grande salle du Rond-Point, l’acoustique, on le sait, est variable et on entend parfois mal les acteurs quand ils sont en fond de scène. Mais Laurent Pelly devrait pouvoir rectifier cela.Un spectacle enfin drôle en cette rentrée théâtrale un peu morose.
Vous avez peut-être vu le film avec James Steward mais cette recréation théâtrale vaut largement le coup…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 8 octobre, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème).
Représentations du jeudi 29 septembre et dimanche 2 octobre en audiodescription.

Le 11 octobre, Théâtre des Cordeliers, Annonay ( Ardèche); le 14, Théâtre de Cachan-Jacques Carat (Val-de-Marne)). Le 18, Théâtres des Sablons, Neuilly (Hauts-de-Seine). Le 21, Théâtres en Dracénie, Draguignan (Var). 

Les 24 et 25 novembre, Théâtre de Mâcon ( Saône-et-Loire) .                      

Les 13 et 14 décembre, Le Bateau-Feu-Scène nationale de Dunkerque ( Nord).     
           
Du 4 au 6 janvier, MC 2 , Grenoble (Isère). Les 10 et 11, Antipolis-Théâtre d’Antibes (Alpes-Maritimes). Le 18, Espace Jean Legendre, Compiègne (Oise). Le 21, Espace Marcel Carné Saint-Michel-sur-Orge (Essonne).

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