Harvey de Mary Chase, nouvelle traduction d’Agathe Mélinand, mise en scène de Laurent Pelly
Harvey, de Mary Chase,nouvelle traduction d’Agathe Mélinand, mise en scène de Laurent Pelly
La pièce de la dramaturge américaine (1907-1981) -très connue aux Etats-Unis et qui en a écrit une dizaine d’autres- ne l’est pas du tout en France ! Harvey avait été créée en 1944 au 49th Street Theatre à New York avec, au compteur cinq ans plus tard quelque 1.775 représentations ! Mary Chase avait, en 45, reçu le Prix Pulitzer du théâtre pour cette œuvre ensuite adaptée pour le cinéma et la télévision à plusieurs reprises. Il y eut notamment un film sorti en 1950 avec James Stewart et Josephine Hull. Harvey fit aussi l’objet deux téléfilms américains en 1972 et 1996. Cette pièce, restée inconnue en France pour des raisons mystérieuses, a été enfin créée par Laurent Pelly en 2018 à Grenoble et reprise il y a un an au T.N.P. à Villeurbanne.
Edwood P. Dowd, la quarantaine, est un aimable et farfelu célibataire, toujours accompagné d’un grand ami imaginaire -que nous ne verrons donc jamais- Harvey, un lapin de deux mètres. Edwood, qui a tendance à être alcoolique, fréquente trop les bars, donne tout le temps sa carte de visite à des inconnus qu’il invite à dîner chez lui. Ce conte théâtral semi-fantastique pas très loin de Lewis Caroll, et souvent comique, nous parle aussi de la solitude de cet être asocial, isolé avec son Harvey mais qui, en même temps recherche le contact avec les gens. Et Mary Chase veut sans doute nous dire que ce n’est pas incompatible…
Selon Laurent Pelly, « grâce à son charme et sa gentillesse, il est sans doute la part secrète et intime de chacun de nous, il a presque une fonction curative. Elwood ne peut pas être seul, puisqu’il est avec Harvey. Et avec lui, il peut s’accommoder de toutes les situations et de tous les lieux. Même les plus dangereux ou difficiles. »
Mais Harvey est bien plus qu’une comédie légère comme Broadway en a fait naître par centaines. Eldwood à la fois très charmeur mais aussi parfois inquiétant et se fait remarquer par tous ceux qu’il rencontre. «Souvent les gens me regardent et ils sourient, ils disent: « Monsieur, on ne vous connait pas, mais vous avez l’air d’être sympa. » ça nous réchauffe le cœur à Harvey et à moi. » Mais cet être ambivalent qui pourrit la vie de sa sœur Veta qui se décidera à le faire interner dans un hôpital psychiatrique, il a affaire à des personnages un peu falots (c’est sans doute le défaut de la pièce trop axée sur le seul personnage d’Edwood). Et il crée un joyeux capharnaüm, embrasse sur la bouche, la secrétaire qui est à l’accueil, va partout où il a envie d’aller, traite les médecins d’égal à égal… Et bien entendu, il y a une suite de quiproquos et rebondissements.
Cela commence en effet assez mal : Sanderson, un jeune psychiatre prend Veta pour Elwood qui a déjà une influence sur le personnel hospitalier et sur le docteur Chumey qui dirige l’établissement. Cela complique donc la vie de tout le monde mais pas celle d’Elwood. Les psychiatres décident de lui faire une piqûre pour en faire un « être humain parfaitement normal ». Une vieille tentation de l’époque : le remède miracle pour soigner et enfin guérir les malades mentaux, même ceux qui souffrent de pathologies légères… Mais la psychiatrie depuis quatre-vingt ans quand Mary Chase a écrit la pièce- a beaucoup évolué… Veta se demande finalement si elle ne préférerait pas garder Elwood comme il est …
Et lui, Elwood? « Je me suis battu contre la réalité tout ma vie, docteur. Et je suis heureux de l’avoir emporté .»
Cette leçon de vie est remarquablement mise en scène par Laurent Pelly dans une scénographie ambulante de Chantal Thomas: un appartement bourgeois, un peu ridicule avec appliques lumineuse en satin rose et nombre de véritables croûtes accrochées aux porte-manteaux ou sur les murs: un portrait de femme, des paysages et cinq petits tableaux de vases de fleurs. L’hôpital psychiatrique est lui suggéré par des éléments blancs aseptisés: accueil, sièges, bureau du docteur… La pièce (une heure cinquante) est un peu longuette et Agathe Mélinand aurait pu élaguer certaines scènes sans dommage. Mais comme le spectacle bénéficie d’une interprétation d’une rare qualité, cela passe …
Omniprésent, Jacques Gamblin, dont la présence et le jeu tout en nuances sont fabuleux, mène le bal sur toute la pièce. Mais sans jamais se mettre en avant. Une belle performance d’acteur! Et tous ses camarades, surtout Christine Brücher dans le rôle de la sœur, sont tout aussi épatants et crédibles, dès qu’ils entrent sur le plateau. Mais dans la grande salle du Rond-Point, l’acoustique, on le sait, est variable et on entend parfois mal les acteurs quand ils sont en fond de scène. Mais Laurent Pelly devrait pouvoir rectifier cela.Un spectacle enfin drôle en cette rentrée théâtrale un peu morose.
Vous avez peut-être vu le film avec James Steward mais cette recréation théâtrale vaut largement le coup…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 8 octobre, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème).
Représentations du jeudi 29 septembre et dimanche 2 octobre en audiodescription.
Le 11 octobre, Théâtre des Cordeliers, Annonay ( Ardèche); le 14, Théâtre de Cachan-Jacques Carat (Val-de-Marne)). Le 18, Théâtres des Sablons, Neuilly (Hauts-de-Seine). Le 21, Théâtres en Dracénie, Draguignan (Var).
Les 24 et 25 novembre, Théâtre de Mâcon ( Saône-et-Loire) .
Les 13 et 14 décembre, Le Bateau-Feu-Scène nationale de Dunkerque ( Nord).
Du 4 au 6 janvier, MC 2 , Grenoble (Isère). Les 10 et 11, Antipolis-Théâtre d’Antibes (Alpes-Maritimes). Le 18, Espace Jean Legendre, Compiègne (Oise). Le 21, Espace Marcel Carné Saint-Michel-sur-Orge (Essonne).