Et pourquoi moi je dois parler comme toi, montage de textes d’Anouk Grinberg, mise en scène d’Alain Françon, musique de Nicolas Repac
Et pourquoi moi je dois parler comme toi, montage de textes d’Anouk Grinberg, mise en scène d’Alain Françon, musique de Nicolas Repac
La comédienne nous avait donné une première version de cet étonnant spectacle lors des Langagières 2019, au T.N.P. à Villeurbanne ( voir Le Théâtre du blog), accompagnée, comme aujourd’hui, par le compositeur Nicolas Repac. Une immersion dans la littérature dite brute comme l’art mis en lumière par le peintre Jean Dubuffet. Depuis mis en scène par Alain Françon à la Colline, le spectacle s’est étoffé d’un décor et d’une chorégraphie. Anouk Grinberg coiffée d’un chapeau est vêtue d’un costume sans âge aux allures androgynes. La force de cette performance reste les paroles des anonymes hospitalisés et enfermés dans leur folie : Babouillec, Aloïse Corbaz, Samuel Daiber, Hernst Herbeck, Jacqueline, Lotte Morin Jego Hestz, Jules Pages, Marguerite de Pillonel, Justine Python, Romain, Jeanne Tripier, Adolf Wölfli… Et subrepticement, des textes d’Henri Michaux, Robert Walser ou Emily Dickinson.
Avec sa sensibilité à fleur de mots, sur les notes discrètes du musicien, Anouk Grinberg fait entendre la colère et la douleur de ceux que l’ont dit aliénés. Elle rend inoubliable la révolte de Jeanne Tripier, enfermée douze ans à l’hospice de Maison-Blanche : « Maison barbare et par trop mortifère rien ne vaut la liberté des peuples qui s’entretuent nous sommes toutes plus ou moins mortes vivantes. Il fallait attendre la venue de Malbrough s’en va-t-en guerre mais ne sait quand il reviendra.» Ou celle de Lotte : «Il est nuisible de me séquestrer. Pourquoi des brigands transforment en prison ce que l’Etat appelle hôpital? » « Il n’avait pas le droit, on n’est pas folles », écrit Justine Python depuis Maison Blanche ». On entend aussi Aloïse Corbaz, dite Aloïse (1886-1964), hospitalisée jusqu’à sa mort pendant cinquante-sept ans, la plus célèbre des artistes d’art brut, exposée par Jean Dubuffet.
Anouk Grinberg fait parler haut la poésie avec un timbre de voix ferme aux tonalités enfantines, mais aussi la liberté paradoxale de ces «aliénés», comme l’exprime Babouillec. Cette jeune femme de trente-sept ans a été diagnostiquée « autiste très déficitaire ».«Très déclarée sans paroles. Je tue mes démons silencieux dans les tentatives singulières des sorties éphémères de ma boîte crânienne. (…) J’invite au voyage des sens interdits (…) L’écriture est mon arme secrète. J’adore appuyer sur la gâchette, balancer des munitions pour faire péter le son et me faire entendre. Je suis libre dans ma tête et ce souffle qui porte la vie, je l’ai en moi et dans le silence du fond de mon corps, je pousse ce cri. ».
Anouk Grinberg poursuit, avec plus de légèreté : « Lily, la roue tourne, la route s’ouvre, vivre le destin n’est pas chose facile », sur une balade à la guitare jouée par Nicolas Repac. Elle montre avec une ardeur communicative, que la différence entre ces auteurs dits « fous » et les autres, est infime comme l’écrit Jean Dubuffet : « La folie allège son homme et lui donne des ailes et aide à la voyance. (…) qui est normal? Où est-ce qu’il est, votre homme normal ? Montrez-le-nous! L’acte d’art, avec l’extrême tension qu’il implique, la haute fièvre qui l’accompagne peut-il jamais être normal ? »
Les textes recueillis par Anouk Grinberg désormais édités, sont d’une telle puissance qu’ils auraient pu se passer d’une mise en scène superfétatoire et d’un jeu parfois trop forcé. Reste la justesse et l’engagement des interprètes, leur belle complicité… Le spectacle devrait gagner en nuance au fil des représentations.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 16 octobre,Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, Paris (XX ème). T. : 01 44 62 52 52.
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