Gabriel de George Sand, adaptation de Laurent Delvert et Aurélien Hamard-Padis,mise en scène de Laurent Delvert
Gabriel de George Sand, adaptation de Laurent Delvert et Aurélien Hamard-Padis, mise en scène de Laurent Delvert
Dans une Renaissance italienne très approximative, vit le prince Jules de Bramante qui a deux fils; l’aîné qu’il aime bien, a une fille. Le cadet qu’il déteste, a un garçon. Mais voilà, la loi du majorat (instituée par une loi de Napoléon Ier) avait pour but rendre un titre de noblesse d’Empire transmissible par héritage aux seuls aînés d’une famille. Le prince (Alain Lenglet) cache donc sa petite-fille (Claire de La Rüe du Can) et la fait -très bien- éduquer par un précepteur, l’abbé Chiavari (Alexandre Pavloff ) mais comme un garçon nommé Gabriel. Mais il lui avouera ensuite qu’elle est bien une jeune femme… Ce qu’elle ne savait pas. Bon! Et tant pis pour un minimum de vraisemblance, ce qui ne semblait pas déranger madame Sand qui ne s’est pas beaucoup fatiguée pour écrire ce mélo… loin d’être vraiment le brûlot féministe, comme voudrait le croire le metteur en scène.
La jeune femme prise au piège est alors mise devant une alternative douloureuse : rester Gabriel, un jeune prince libre et riche mais travesti, ou bien devenir une Gabrielle sans aucun héritage et enfermée dans un couvent. Elle choisit la première solution et va rencontrer son cousin désargenté, le comte Astolphe de Bramante (Yoann Gasiorowski) flanqué d’Antonio son ami mais rival (Birane Ba).
Ils vont devenir très vite amis mais tout se complique ! Au carnaval de Florence, Astolphe imagine alors, pour se moquer de Faustina, sa maîtresse (Elisa Erka), de déguiser Gabrielle en femme ! Ce qu’elle est déjà mais dont il s’aperçoit vite quand elle est torse nu… Et bien entendu, il en tombe illico amoureux fou. Vous suivez toujours?
Impossible pour eux dans ces conditions de rester à Florence et les amants vont se réfugier à la campagne chez Settima, la mère d’Astolphe (Anne Kessler). Ils lui mentent en lui faisant croire qu’ils se sont mariés en secret mais voilà, la maman n’aime pas du tout cette jeune femme… Ils vont donc aller en Calabre mais cela se complique: Astolphe en effet est terriblement jaloux. Vous suivez toujours cet imbroglio aux allures romantiques? Gabriel (elle) part pour Rome essayer d’obtenir du Pape l’autorisation de transmettre la fortune des Bramante à Astolphe. Mais Jules, le grand-père de Gabrielle est mourant; il se méfie et engage un assassin. Astolphe de son côté, pense qu’elle lui est infidèle et et va retrouver la belle Faustina. Gabrielle est là, et sans doute lasse va se laisser tuer. Ouf !
Un sujet malheureusement actuel, pense le metteur en scène : «Sand compose ici un manifeste sur la nécessité de l’égalité en droit et en pratique. Ce manifeste en actes, incandescent et émouvant puisqu’il met en jeu des corps dans une expérience pensée percutante, il faut, je pense le donner à entendre aujourd’hui. »
Allons-y pour ce manifeste « incandescent, émouvant et percutant « (sic) mais dans ce Gabriel, la chair théâtrale qui fait les bonnes pièces -un bon scénario et un vrai dialogue- n’est pas au rendez-vous.
Laurent Delvert dit être sensible au combat de l’autrice pour l’égalité des femmes et des hommes. Oui, mais voilà, que fait-on aujourd’hui avec ce roman dialogué avec une trentaine de personnages? Et que George Sand a remanié de nombreuses fois sans arriver à le faire jouer… On voit bien les thèmes qui ont pu séduire ici le jeune metteur en scène: amours contrariés, recherche d’identité sexuelle, justice mal en point, jalousie, assassinat… Et la pièce a parfois des airs de Lorenzaccio d’Alfred de Musset qui était justement en voyage avec George Sand quand elle écrivit ce mélo mal ficelé.
Laurent Delvert est libre de croire à «l’immensité de l’œuvre» et il pense que cet ovni est une tragédie, puisqu’on fait croire à cette jeune femme qu’elle est de la race des dominants, alors qu’elle va, prise au jeu d’un amour fusionnel dans une société réactionnaire et patriarcale, subir une descente aux enfers…
Comment faire une adaptation de ce brouet pour le rendre un peu crédible. Il aurait fallu au minimum une dramaturgie moins conventionnelle et plus alerte. Ici jamais de décalage ni de second degré, ce qui aurait pu sauver la mise de cette mise en scène appliquée : pas facile mais le grand Jérôme Savary savait bien faire cela. Ou Léna Bréban et Alexandre Zambeaux qui avaient dû en prendre de la graine à Chaillot quand ils étaient élèves de l’Ecole. Ils ont monté sur cette même scène l’an passé un très bon Sans Famille d’Hector, adapté du roman d’Hector Malot ( voir Le Théâtre du Blog).
Et il aurait aussi fallu une mise en scène qui tienne la route, ce qui est loin d’être le cas ici où sept séquences se suivent sans rythme, avec à chaque fois, un petit déménagement opéré par les acteurs. Laurent Delvert a sans doute pensé que cela donnerait une touche de modernité en ponctuant les scènes de ronflements de basse électroniques, ce qu’on voit partout! Ou, procédé hérité directement de Brecht mais devenu aussi un stéréotype du théâtre contemporain, il a mis une série de chaises soigneusement alignées sur les côtés du plateau où sont assis les interprètes quand ils ne jouent pas… Impossible de ne pas voir qu’ils s’ennuient ferme jusqu’à esquisser parfois un baillement.
En cause aussi une scénographie mal adaptée, avec un plateau nu sans pendrillons, noir d’encre avec à un énorme lustre assez laid, mais sous éclairé en permanence, encombré par un ensemble de cadres tout aussi noirs dans la lignée des sculptures de Carl André. Ils auraient peut-être une place dans le section: art minimal d’un musée d’art contemporain, pas assez riche pour s’offrir des œuvres de ce grand sculpteur…
Passé les dix premières minutes, on comprend vite que l’aventure est sans espoir et ces deux heures de bavardage sont interminables. Reste comme toujours à la Comédie-Française, une belle unité de jeu de toute une équipe où, sans exception, tous les rôles, même les petits, sont très bien tenus (remarquable Chrstian Gonon en serviteur).
Mention spéciale à Claire de La Rüe du Can qui, d’un bout à l’autre de la pièce, réussit à s’imposer dans ce personnage difficile, voire impossible… Cette bande de très bons acteurs arrive ainsi à sauver ce qui peut l’être. Une des missions de La Comédie-Française est de mettre en lumière des pièces du répertoire oubliées, voire jamais jouées. Mais pourquoi être allé chercher cette pseudo-pièce qui méritait juste une lecture en public. Il y a parfois des mystères insondables dans la programmation des théâtres nationaux…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 31 octobre, Comédie-Française-Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, Paris (VI ème). T. : 01 4458 15 15
Gabriel est édité chez Folio Théâtre.