Dessine-moi un piano de Jean-Paul Farré, mise en scène de Stéphane Cottin
Dessine-moi un piano de Jean-Paul Farré, mise en scène de Stéphane Cottin
Cela commence mal pour ce petit homme déjà en scène quand entre le public. En queue de pie vite déchiré, il a l’air égaré. Cheveux longs en bataille, avec des yeux perçants, il se présente au public comme un pianiste tout à fait ordinaire que l’on a chargé de préparer le beau Yamaha à queue pour le maître qui va arriver.
Le mariage de Jean-Paul Farré avec l’univers musical du piano n’est pas d’hier, comme entre autres, Les Douze Pianos d’Hercule (2008). Celui qu’on a aussi souvent vu comme acteur a écrit un texte ciselé parfois proche de Raymond Devos, et aligne les jeux de mots au second degré. Mais il possède une gestualité burlesque tout aussi remarquable… Dans la lignée de ses grands prédécesseurs américains : Charlie Chaplin, Buster Keaton, Harold Lloyd, Laurel et Hardy.
Très à l’aise, ce pauvre pianiste explique qu’il n’arrive pas à choisir comment il doit commencer le spectacle et qu’il va donc passer directement au final. Avec le plus grand sérieux, il dévoile ses ficelles : l’important, dit-il, il faut au début et à la fin, capter le public mais le milieu, on s’en arrange toujours.
Un spectacle virtuose de poésie et de comique à la fois avec, à un rythme d’enfer, quelques mélodies, des jeux sur les mots de khâgneux, de prodigieux gags visuels comme entre autres, ces notes qui sur grand écran, tombent d’une partition ou qui s’effacent sous la pluie… Pour raconter les mésaventures d’un pauvre pianiste, qui après avoir réussi son Bach ( sic) fit des tas de métier en rapport avec la musique mais sans jamais en jouer : blanchisseur de touches, puis plus physique alors qu’il est petit: déménageur de pupitres, voire testeur de tabouret, tourneur de pages; « quelqu’un qui sait lire la musique mais ne sait pas en jouer et il faut qu’une page soit ouverte ou tournée ! » Un métier, dit-il en voie de disparition. Et enfin chauffeur de piano pour qu’il soit bien prêt pour le récital du maître.
Plus tard, on le retrouvera sur une île déserte, assis sur son Yamaha, en train d’essayer de pêcher une note mais, comme il dit avec le plus grand sérieux, sans jamais avoir aucune touche. Jean-Paul Farré est là avec une incroyable présence. Il sait créer très vite un personnage attachant qui voit avec effroi que les quatre-vingt huit touches du clavier ont disparu… Ou que son piano où il farfouille en vain est sur écoute…
Jean- Paul Cottin lui a fait une mise en scène sur mesure, avec toute la précision nécessaire pour mettre en valeur ce texte burlesque. Il y a juste quelques accessoires, comme, entre autres, des piles de partitions entassées un peu partout. Il va en déchiffrer une pour arriver à des plages entièrement blanches et pour en convaincre le public, il va les déplier en zigzag. Sorti un instant en coulisse, il revient avec deux gros sacs de claviers qu’il va étaler avec méthode sur la petite scène, puis comme la scène a été inondée, marcher dessus avec précaution.
Il joue aussi assis sur un gros ballon qui saute au rythme des notes. On ne peut tout raconter de ce spectacle burlesque de haut vol avec une écriture, une diction et une gestuelle de tout premier ordre. Il y a aussi quelques mélodies enregistrées mais, pas de chance, un chat se met à miauler sur la trop fameuse Lettre à Élise de Beethoven, une séquence de notes bien connue de tous les apprentis-pianistes et ne comportant qu’un seul sol. Et en un beau clin d’œil musical, tendant le bras dans un suprême effort, Jean-Paul Farré va réussir à décrocher… ce fameux sol. A soixante-quatorze ans, toujours aussi brillant, généreux et drôle, en un peu plus d’une heure, il réussit à faire rire un public qui l’a longuement applaudi. Un bémol? Ne soyez pas effaré, Jean-Paul Farré, mais si vous pouviez demander à Stéphane Cottin de revoir une fausse fin. Assis sur le piano, le petit homme regarde le public en silence. C’est tout, et c’est une image magnifique. Et le public applaudit aussitôt ! Alors, pas besoin de ce dernier air et de nous dire : dessine-moi un piano, ce sera mon petit prince à moi…
A cette petite réserve près, allez-voir cette véritable merveille de poésie et loufoquerie qui va beaucoup plus loin qu’un spectacle de « théâtre musical » pour lequel Jean-Paul Farré avait reçu un Molière. Mais attention, il reste quelques dates seulement puisqu’il ne se joue pas tous les jours …
Philippe du Vignal
Jusqu’au 12 novembre, Studio Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, Paris (XVII ème). Réservations par téléphone. T. : 01 42 93 13 04 du lundi au vendredi à partir de 17 h et les samedis et dimanches à partir de 13 h. Ou sinon message vocal.