L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer, de Copi, mise en scène Thibaud Croisy

L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer, de Copi, mise en scène Thibaud Croisy

L’auteur acteur le plus sombre et le plus drôle de la bande d’Argentins venus faire scintiller le théâtre à Paris dans les années 1970-80, c’est lui. Et ce sont eux, Jorge Lavelli, Alfredo Arias, qui l’ont mis en scène ; Jérôme Savary n’était pas loin. Folle époque : ils ont apporté avec eux un théâtre insolent, coloré, puissant, brillant, rigoureux. Juste reconnaissance : le pays leur a confié de grandes institutions, respectivement le Théâtre National de la Colline, le Théâtre de la Commune à Aubervilliers, le Théâtre National de Chaillot, excusez du peu.
Copi a gagné son succès public d’abord avec ses bandes dessinées, dont l’inoubliable Femme assise, sentencieuse et coincée sur sa chaise, cousine plus ou moins lointaine de celle inventée par la comédienne helvétique Zouc (avis personnel, et marque d’admiration), et puis sur scène, et comme infatigable auteur d’au moins un roman ou une pièce chaque année. Survient cet Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer, créé précisément au Théâtre de la Cité Universitaire (aujourd’hui Théâtre de la Cité Internationale, l’histoire continue…). On est à l’époque du FHAR, Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, une minorité « gay » (les nord-américains avaient déjà lancé l’expression) opprimée militait en déployant la plus spectaculaire visibilité, avant que la lutte ne se concentre sur le front du SIDA. Mais l’homosexuel de Copi parle d’autre chose, de la marge, de l’incertitude qu’on porte en soi, de la bivalence des êtres humains et du « comment dire » pour être vrai. Ne pas oublier le sous-titre…

Venu de cette histoire passée, de cet autre monde qu’était le siècle dernier, Copi est aujourd’hui un classique. Son écriture est vive, brève, dessinée au trait –comme on parle du trait d’une flèche. Dans L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer il ne s’interdit pas les références et hommages au répertoire, avec les noms qu’il donne aux personnages : Irina et Tchekhov, le Général Pouchkine, Madame Garbo, et une Madre digne de Federico Garcia Lorca. Un procédé qui active la mémoire et l’imagination du spectateur. Avec cette écriture volontairement sans profondeur,  c’est à lui de faire le « taf » (le travail), comme dit le metteur en scène, pris à partie par tous ces combats des désirs, de la liberté et de la mort.

Et, au fait, que raconte la pièce ? Elle ne raconte rien, elle agit, ce qui est le propre du théâtre. Au centre, en « femme assise », la splendide Irina, désirée de tous, se donnant à tous, c’est-à-dire à personne, enceinte on ne sait de qui, avortée, suppliée par Madame Garbo : « partons, le traineau et les chiens nous attendent, nous rejoindrons le Transsibérien à l’aube ! », inerte, coliqueuse (et qui aura le privilège de la laver ?) et pour finir, muette, puisqu’elle s’est coupé la langue avec les dents et dégouline de sang. Tiraillée, méprisée, désirée, épuisée : on ne part pas.

Copi s’est emparé très tôt de Thibaud Croisy. Assez profondément pour qu’il s’engage dans la réédition de ses œuvres chez Christian Bourgois. Le metteur en scène s’est donné ici toutes les chances de réussite, réunissant sur le plateau cinq interprètes (un mot épicène, accordé au féminin et au masculin, bien utile chez Copi !) de générations, d’expérience théâtrales différentes, dans une mise en scène d’une élégance absolue. Chaque interprète donne le meilleur de son talent, dans une même clarté, en particulier de la diction, un même rythme tranquille et ferme qui permet à toutes les horreurs, plaisanteries scatologique ou enfantines, tragédies allant jusqu’au burlesque, de faire leur chemin dans l’âme du spectateur, saisi et admiratif. Au centre, Helena de Laurens, danseuse et comédienne, offre un corps à la fois libre et très discipliné à tout ce que subit Irina, et à ses refus enfantins (non, je ne mangerai pas ma soupe, non, je n’irai pas prendre ma leçon de piano !). Frédéric Leidgens donne toute sa grâce et sa gravité (avec un sourire intérieur) à une terrible Madre en blouse de ménagère, humble et dominatrice à la fois, dangereusement aimante… Emmanuelle Lafon charge Madame Garbo, professeure de piano, boule compacte de désir, d’une impeccable masculinité qui s’intensifie au fil de la pièce. Arnaud Jolibois Bichon, l’officier, mari de Madame Garbo, apporte une virilité sans complexes et Jacques Pieiller, général Pouchkine (!), une folie étrangère à cette « famille » tiraillée. Singuliers et ensemble…

Le vaste plateau, dépouillé de tout accessoire, à l’exception d’une grêle petite table qui joue bien son rôle dérisoire et de la fameuse chaise, permet aux interprètes une belle ampleur de mouvements, et beaaucoup de place pour la vie des mots, de la langue. Ne cherchons pas ici l’imaginaire du music-hall argentin ; mais Sallahdyn Khatir, scénographe entre autres, de Claude Régy y a pensé quand même en installant au lointains un immense rideau de lamé qui capte et redistribue à merveille les lumières dorées de Caty Olive, et un tunnel de tulle qui accompagne les entrées et sorties des personnages, mouvements opaques et transparents… C’est dire –et redire – la force et l’élégance d’un spectacle drôle parfois, souvent mélancolique, presque métaphysique.

Christine Friedel

Spectacle vu au Théâtre de la Cité Internationale, Paris XIVe, dans le cadre de son Programme New setting. , à Nantes (Loire atlantique)

Du 29novembre au 1er décembre au TU-Nantes scène jeune création et arts vivants à Nantes (Loire Atlantique)

Du 23 au 26 mars à la Criée, Centre dramatique national de Marseille (Bouches-du-Rhône)

A lire : L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer suivi de Les quatre jumelles, Le Bal des folles, de Copi, avec postface de Thibaud Croisy aux éditions Christian Bourgois,

 

 


Un commentaire

  1. Leidgens dit :

    Quel plaisir de te lire, une fois de plus , chère Christine ! Je t‘embrasse , bel automne , Frédéric L.

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