Pour que les vents se lèvent, une Orestie de Gurshad Shaheman, mis en scène de Nuno Cardoso et Catherine Marnas
Le FAB à Bordeaux
Cette riche édition du Festival International des Arts de Bordeaux-Métropole a été préparée par Sylvie Violan, la directrice de la Scène nationale du Carré-Colonnes à Saint-Médard-en-Jalles et l’association Festival des Arts de Bordeaux.
Avec des spectacles importants en théâtre, danse, une exposition des machines à voiles du grand artiste néerlandais Théo Jansen dans le parc de l’Hôtel de Ville, des sculptures en particulier des Feuillus un peu partout en ville, et sur les places, des installations… Tout ce dont nous vous parlerons prochainement.
Pour que les vents se lèvent, une Orestie de Gurshad Shaheman, mise en scène de Nuno Cardoso et Catherine Marnas
Une pièce inspirée par la célèbre et exceptionnelle trilogie de L‘Orestie de l’immense Eschyle (458 avant J. C. ). La seule qui nous soit parvenue dans dans son intégralité et qui dit, en fait, la naissance en Grèce de la Justice civile et de la démocratie! Après dix ans passés à faire la guerre à Troie qui a été détruite par les armées grecques, le tout puissant roi Agamemnon revient enfin et arrive à Argos avec Cassandre, une prisonnière: la fille de Priam, le roi de Troie et dont il fait son amante.
Les lois de la guerre sont impitoyables et Cassandre ne reverra jamais Troie. La reine Clytemnestre n’a pas oublié que son mari Agamemnon a fait immoler leur fille, la belle et jeune Iphigénie pour que les Dieux poussent les vents et que ses bateaux arrivent donc jusqu’à Troie. Elle accueille mal son mari qui doit retrouver aussi ses enfants Oreste, Électre et Chrysothémis.
D’autant plus qu’elle a un amant, l’arrogant et violent Egisthe. Et elle annonce à son mari qu’elle a envoyé leur fils Oreste chez un ami, Strophios de Phocide, soi-disant pour le protéger de rumeurs malsaines. Cassandre qui a le don de prophétiser dit que, jalouse, Clytemnestre va la tuer, elle par jalousie et Agamemnon pour se venger de la mort de leur fille. Elle dit aussi qu’Oreste, pour venger son père, tuera sa mère et que la Cité l’accusera de ce crime.
Ainsi continuera cette impitoyable vendetta: Clytemnestre tuera Cassandre et Agamemnon qui avait immolé Iphigénie. Oreste, lui, tuera sa mère et Egisthe. Cinq morts au compteur ! Il est grand temps que la grande déesse Athéna débrouille cette situation….
Mais dans le deuxième volet de cette trilogie, Les Choéphores (porteuses de libations), Oreste, revenu à Argos avec son ami Pylade, le fils de Strophios. L’oracle de Delphes, Apollon Lexias lui a ordonné de punir les meurtriers de son père. Il voit des femmes en deuil venues apporter des offrandes sur la tombe d’Agamemnon et les écoute. Puis il reconnaît sa sœur Électre et lui dit qu’il est bien son frère. Le chœur des femmes appelle à la vengeance mais il arrivera en étranger au palais royal et sans se faire connaître, annonce qu’Oreste est mort. Clytemnestre fait semblant d’en être affligée et une fois admis au palais, il tue Égisthe mais hésite à tuer sa mère, ce qu’il fera tout de même pour obéir à Apollon. Il annonce ensuite qu’il va aller se purifier au temple de Delphes, comme l’a aussi exigé Apollon. Mais apparaissent alors les terribles Erynnies, les déesses qui poursuivent matricides et parricides. Une longue chaîne de crimes et le poids des fautes passées…comme celles aussi d’Hélène la grecque et de Pâris le Troyen vont peser sur le retour d’Agamemnon.
Dans le dernier volet Les Euménides, devant le sanctuaire d’Apollon à Delphes, la Pythie voit avec terreur Oreste entouré des Érinyes qu’Apollon a endormies. Mais il lui conseille d’aller à Athènes, au temple d’Athéna qui saura le protéger de la fureur des déesses malfaisantes et son cas sera confié à un tribunal de juges issus de la société civile. Ces Erynnies qui avaient pourtant promis à Oreste qu’aucun dieu ne pourrait jamais le sauver, acceptent que cette affaire soit confiée à la grande Athéna qui présidera ce tribunal. Apollon, témoin au procès défendra Oreste. Puis chaque membre du jury vote et Athéna déclare qu’elle votera aussi et pour Oreste. Au cas où il y aurait égalité des voix, dit-elle, il serait acquitté. Avec la seule voix de la Déesse d’Athènes en plus, Oreste est donc rendu à sa liberté. Les Érinyes qui ont perdu leur procès, veulent se venger sur la cité d’Athènes. Pour apaiser leur colère, les habitants les invitent à en devenir elles aussi citoyennes, et leurs déesses bienveillantes (en grec ancien : Euménides). Ce qu’elles accepteront.
Cette trilogie au scénario très moderne, mais difficile à monter, l’a été par André Steiger pour le Groupe de Théâtre Antique de la Sorbonne en 1961. Mais sans Agamemnon. La pièce avait déjà été jouée par ce même groupe en 1947 sous la direction de Maurice Jacquemont. Puis aussi et surtout, magnifiquement mise en scène dans son intégralité par le grand Peter Stein en 80 et que nous avions vue à Maubeuge. Et par Romeo Castelluci, et ensuite Olivier Py en 95.
Reste à savoir comment traduire pour un public d’aujourd’hui les enjeux de cette trilogie connue en Europe mais seulement redécouverte au XIX ème siècle, admirée par Victor Hugo mais inconnue de Corneille qui ne lisait pas le grec. Et Racine lui, préférait Sophocle. Toute la difficulté pour un metteur en scène est de mettre en accord L’Orestie et notre contexte socio-politique. Avec tous les risques que cela comporte: impossible de jouer le texte tel quel, mais aussi de la transformer radicalement, sans en perdre tout le sens. Et que faire des parties chantées à sa création par le chœur ? Quelle partition choisir (il reste seulement quelques airs de toute la musique antique grecque). Supprimer ces parties, en garder certaines mais sans les chanter? Quelle scénographie adopter? Bref, la marge de manœuvre est des plus étroites. Maurice Jacquemont avait gardé le texte, André Steiger aussi mais dans une adaptation et s’en était bien tiré. Romeo Castelluci et surtout Olivier Py beaucoup moins, en créant des images faciles avec des accessoires du XX ème siècle.
Si nous avons bien compris, Catherine Marnas et Nuno Cardoso ont demandé à Gurshad Shaheman d’écrire « un texte qui doit parler aux gens de notre temps». «Il ne s’agit pas d’une traduction ni d’une simple réécriture mais d’un nouveau texte traitant de l’Orestie. » « Dans ma vision, dit l’auteur, L’Orestie est un bras de fer entre dominants et dominés, oppresseurs et oppressés. (…) « Ce sont des rapports de force que je tâcherai de mettre en lumière dans la pièce. » Donc allons-y: ici, Troie devient le Moyen-Orient, Agamemnon, un politicien va-t-en guerre, Pâris un terroriste qui enlève une reine, Clytemnestre prend le pouvoir après avoir tué son mari.Le chœur est dans la première partie est celui de femmes victimes de féminicides dont les Troyennes, et un parti d’extrême-droite nostalgique du règne d’Agamemnon dans Les Choéphores, Oreste est «une figure de l’indécision et de l’errance intellectuelle ».Et enfin dans Les Euménides, Oreste est un politicien dans la ligne des Trump, Bolsonaro… amoureux de Pylade. Et Apollon est «un magnat des médias». Les Erynies, elles, sévissent avec les «revendications de tous les mouvements féministes décriés par le patriarcat ».
Après tout, pourquoi pas, même si -et c’est très mode- tous les metteurs en scène qui le peuvent, se réclament actuellement d’un quelconque féminisme. Encore faudrait–il que cela soit visible sur le plateau, ce qui n’est pas le cas… Et faire suivre le titre Pour que les vents se lèvent par Une Orestie, relève d’une tromperie sur la marchandise… La pièce revendiquée comme une «nouvelle Orestie» (sic) mais bien loin d’Eschyle, accumule vulgarités et racolages du genre «On se secoue, les morfals? » Et l’auteur( pour se rattraper?) cite le célèbre vers de l’Andromaque de Racine :« Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes. »
Bien entendu, un tel texte, fait surtout de quasi-monologues, ne fonctionne pas bien. Chose rassurante, des lycéens rencontrés à l’entracte étaient lucides et un garçon de Terminale a lâché : «On ne vient pas au théâtre pour entendre un texte aussi pauvre. » Bien vu!
Gurshad Shaheman semble mieux maîtriser l’autobiographie, que la dramaturgie théâtrale et ce collage de scènes manque d’unité. Et le public avait visiblement du mal à comprendre le scénario et à se retrouver dans les personnages de cette pièce inspirée par L’Orestie mais qui en garde bizarrement le titre.
Petit miracle, le mariage est tout à fait réussi entre texte en portugais (surtitré) joué par Carlos Malvarez, Gustavo Rebelo, Inês Dias, Telma Cardoso,Teresa Coutinho, Tomé Quirino.: tous impeccables. Et en français, par de jeunes acteurs issus de l’Ecole du TnBa: Zoé Briau, Garance Degos, Félix Lefebvre, Léo Namur, Mickaël Pelissier et Bénédicte Simon. Ils font un travail sérieux mais encore brut de décoffrage et on aimerait les entendre mieux. Cela viendra.
Ce mariage théâtral a quelque chose d’une évidence, grâce à la remarquable direction d’acteurs de Catherine Marnas et Nuno Cardoso qui ont réussi à créer de belles images. Avec souvent un remarquable éclairage. Malgré une curieuse scénographie en décalage avec le texte, comme si elle leur avait été imposée. D’abord, en fond de plateau, une impressionnante rangée d’arbres suspendus à l’envers devant un mur blanc. Eclairés en contre-jour et par moments, secoués comme par un grand vent. Pas nouveau, mais écologique, pas cher, et de toute beauté. Il y a aussi -nous avons échappé à la totalité de la cuisine!- un grand frigo blanc sur roulettes où Agamemnon, de retour en Argos, prend de quoi boire et manger. Passons sur cette intrusion facile d’éléments réalistes qui fait penser mais de très loin à du Matthias Langhoff. Il y enfin un grand mur en diagonale avec des sortes de niches carrées pour urnes funéraires, par où se glissent quelquefois les acteurs pour arriver au centre du plateau.
Pour Les Euménides, ce grand mur retourné formera un décor gris foncé face public avec des loges pour les membres du tribunal qui jugera Oreste. Graphiquement beau mais vraiment peu convaincant. Enfin une tranche de gradins avec une dizaines de sièges-coques en polyester où les personnages vont parfois s’asseoir. Peut-être une évocation du grand théâtre d’Epidaure ou d’un Parlement ? Des gradins qu’on baladera de cour à jardin puis de jardin à cour. Comprenne qui pourra… Les paris restent ouverts mais tous ces éléments de décor sauf le premier, ne sont ni beaux ni efficaces.
Un spectacle habilement mis en scène et généreux qui souffre d’un texte qui ne fait pas sens et d’une dramaturgie approximative. Son auteur a bien du mal à trouver des équivalences avec le monde d’aujourd’hui… Et le jugement d’Oreste par le tribunal manque singulièrement de force, alors qu’il est la la clé de voûte de cette trilogie. Au début d’Agamemnon, Eschyle s’interroge déjà sur la Justice et sur « la recherche d’une doctrine qui puisse donner un sens aux malheurs humains » disait Jacqueline de Romilly. Eschyle, sans doute le premier, met en scène la Justice humaine pour essayer, non de justifier l’impensable, mais punir pour éviter toute vengeance des dieux et des hommes. Et faire en sorte que l’équilibre social ne soit pas mis en danger. Ce que pratiquent aujourd’hui nos Cours d’Assises. Oreste a tué sa mère c’est incontestable mais ensuite la Justice aura passé, à une voix près, celle de la sage Athéna. Et il ne sera pas condamné. A vouloir actualiser grossièrement un texte aussi mythique, on risque gros et on tombe dans la facilité comme ici. Encore une fois, cette longue pièce de trois heures est décevante et l’immense Eschyle, si cher à Victor Hugo, méritait mieux. Dommage! Mais le FAB continue en octobre, donc à suivre…
Philippe du Vignal
Merci à Anne Quimbre
Le spectacle a été joué du 5 au 8 octobre, salle Antoine Vitez, place Renaudel, Bordeaux (Gironde).
Du 20 octobre au 6 novembre, Teatro São João, Porto (Portugal).
Les 18 et 19 mars, Meta-Centre Dramatique National de Poitiers (Vienne).
Les 4 et 5 avril, Le Préau-Centre Dramatique National de Vire (Calvados).