L’Amour telle une cathédrale ensevelie, texte et mise en scène de Guy Régis Jr.

 L’Amour telle une cathédrale ensevelie, texte et mise en scène de Guy Régis Jr.  

 Point d’orgue et conclusion du focus sur Haïti des Zébrures d’automne de Limoges (voir Le Théâtre du blog), cette création a emporté l’adhésion du public. Ce deuxième volet de la Trilogie des Dépeuplés* raconte sur une soixantaine d’années, l’exil de familles haïtiennes. Elle met en scène un couple à Montréal (La Mère du Fils intrépide et Le Retraité Mari.) Et  ce Fils intrépide qui va quitter Haïti pour rejoindre sa mère partie de son île pour épouser un retraité canadien rencontré sur un site internet.

27-LAmourTelleUneCathedraleEnsevelie-c-CHRISTOPHE PEAN-2022

© Christophe Péan

  Des vagues mugissantes lèchent un tulle tendu au premier plan. La mer « sans moisson» selon Homère qui sépare et engloutit. Au fond du plateau sur un praticable surélevé, un couple se dispute. La femme crache sa haine, l’homme essaye de temporiser… Face aux assauts furieux de sa partenaire, l’actrice sénégalaise Nathalie Vairac, Frédéric Fachena (qui sera remplacé dans ce rôle par François Kergoulay) a une capacité de résistance et une pertinence dans ses répliques. Leur dialogue est haché par des noirs secs et, une fois la lumière revenue, leurs corps se figent debout ,ou affalés sur le canapé et les fauteuils.

Ces arrêts sur image donnent un rythme nerveux et saccadé à cette scène de ménage en huis-clos dont nous ne discernons pas aussitôt les enjeux. Le dispositif scénique sophistiqué de Velica Panduru quadrille l’espace avec des écrans où défilent ciels nuageux et ruissellements de pluie. Elle, qui vient du soleil, parle de neige et de froid : « Je hais ton pays dit-elle, (…) Je déteste que tu me touches. Je fais tout cela pour le petit ». « C’est lui qui a fomenté tout ça, réplique l’époux: “Mère, je te trouverai un mari ! » (…) Tu parles comme une soldate, nous ne sommes plus en guerre. »

 En contrepoint de cette lutte intime, des ombres s’agitent à l’avant-scène avec des images de bateaux chargés de migrants quittant Haïti et d’autres venus de tous les continents. Ces images mêlées à quelques films d’archives sont comme des clins d’œil à l’exil qui frappe Haïti depuis toujours…  Un chœur  lyrique s’élève, accompagnant le chant du  Fils (le comédien et ténor Dérilon Fils) qui s’apprête à prendre la mer, parmi d’autres migrants…
Au solo du jeune Intrépide, répondent les passagers du bateau sur d’autres tons: soprano, mezzo-soprano, basse-baryton. Les voix se mêlent en français et créole pour dire les risques du voyage: « Sur la mer nous allés, sur la mer nous finir ! », dit le refrain…  « Canada ! Canada ! » scandent les chanteurs. Nous entendons aussi les plaintes le de ceux qui restent : « Un bateau a coulé, il faut prier… » « Mon fils est mort et moi, je ne puis l’enterrer »… « L’amour est tombé en miettes comme une cathédrale en tremblement de terre. Pleurez madame, votre enfant, votre mari. »

40-LAmourTelleUneCathedraleEnsevelie-c-CHRISTOPHE-PEAN-PHOTOGRAPHIE-2022

© Christophe Péan

 Une invocation à Poséidon, le dieu grec de la mer, ancre définitivement la pièce dans la tragédie, avec des images de film tournées par Fatoumata Bathily et Guy Régis Jr., et des extraits du documentaire Fuocoammare, par-delà Lampedusa de Gianfranco Rosi. Un beau moment de théâtre musical composé par Amos Coulanges avec polyphonies baroques, oratorios et rythmes populaires haïtiens.
Cette envolée lyrique contraste avec les sonorités claires de la guitare classique ponctuant les rapports orageux du couple. 
Quand le chœur se disperse, la Mère, qui n’a plus de nouvelles de son fils depuis deux mois, s’effondre et s’avance pour un long lamento, un cri de rage et de douleur. Un saisissant final.

«J’ai écrit cette pièce en pensant profondément à ces voyages qui disloquent les liens familiaux. Car il s’agit bien, lors de ces inénarrables départs, de familles disloquées, dit Guy Régis Jr.  Cette histoire n’est pas seulement celle des Haïtiens.» L’Amour telle une cathédrale ensevelie ne sombre jamais dans le pathos, sans pour autant faire l’économie de l’émotion, et l’auteur réussit une mise en scène en images, et en musique qui donne à son écriture l’ampleur d’une tragédie. Celle bien réelle de ces milliers d’intrépides qui s’embarquent pour des eldorados illusoires.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 1er octobre au Théâtre de l’Union, à Limoges. Dans le cadre de Zébrures d’automne/ Les Francophonies des écritures à la scène, 11 avenue du Général de Gaulle, Limoges (Haute-Vienne). T. :05 55 33 33 67

 Du 11 novembre au 11 décembre, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes. T. :01 43 26 36 36

* La Trilogie des dépeuplés est publiée aux Solitaires Intempestifs.
Dans le premier volet, Étalé deux pieds devant (Le Père), une veillée accueille le cercueil d’un père, parti voilà des années aux États-Unis. Et dans le troisième volet Si à la mort de notre mère ,des années plus tard, la mère malade décide de rentrer au pays. À son chevet, le fils mal aimé, l’aîné, le Grand Frère hanté par le rêve de partir…

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...