Iphigénie de Tiago Rodrigues, traduction de Thomas Resendes, mise en scène d’Anne Théron

Iphigénie de Tiago Rodrigues, traduction de Thomas Resendes, mise en scène d’Anne Théron

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© Jean-Louis Fernandez

Nous retrouvons Anne Théron, artiste associée au Théâtre National de Strasbourg, avec une mise en scène tout aussi impressionnante que celle de Condor de Frédéric Vossier (voir Le Théâtre du blog). Grande découvreuse d’auteurs contemporains, elle a été frappée par cette version d’Iphigénie, qui selon  elle, paradoxalement, déclenche l’espoir: «Et si c’était autrement, et si on faisait autrement ?! Voilà ce que cette pièce suggère. »

L’histoire est la même que chez Euripide mais Tiago Rodrigues, en explorateur du patrimoine littéraire occidental, situe l’action au présent, avec un chœur de femmes en colère (Fanny Avram et Julie Moreau). Implacables, elles s’insurgent contre le sacrifice d’Iphigénie, immolée par les Grecs pour que le vent gonfle les voiles de leurs bateaux en route vers Troie. Elles voudraient réécrire la tragédie et convoquent l’héroïne, son père Agamemnon, sa mère Clytemnestre, Ménélas, son oncle et les chefs de guerre: le rusé Ulysse et le bouillant Achille à qui la jeune fille est prétendument fiancée…

Avec un vieillard, à la fois messager et porteur de mémoire, elles se souviennent et demandent aux protagonistes de rejouer l’action. L’auteur a insufflé en eux le doute, quant au diktat prononcé par les Dieux et formulé par l’oracle : assassiner Iphigénie pour obtenir du vent.
«Les Dieux sont des histoires que l’on raconte aux Grecs pour justifier ce qu’ils ne comprendraient pas autrement.» dit Agamemnon qui finira par céder à la raison d’Etat, pour sauver aussi l’honneur perdu de son frère Ménélas, bafoué par Pâris, le Troyen qui a enlevé Hélène. Et Clytemnestre, elle, affirmera: «Les Dieux sont des fables qu’on nous raconte, pour nous souvenir autrement de ce qui s’est réellement passé ».

Tiago Rodrigues, avec cette fable, se place surtout d’un point de vue féminin et fait un procès à l’injustice d’une mort annoncée. Et si le destin s’avère inévitable, la tragédie écrite d’avance par le mythe et la loi des hommes, peut toujours être remise en question. Et on peut dire non à la guerre et au crime, comme ce chœur de femmes et, avec elles, Iphigénie et Clytemnestre…

Le spectacle, créé au dernier festival d’Avignon, tire sa force de l’écriture minimaliste de Tiago Rodrigues qui va droit au but.Anne Théron a choisi des acteurs lusophones pour jouer Achille et Iphigénie (un clin d’œil à l’auteur). Ils parlent français avec une léger accent mais parfois dialoguent en portugais, constituant ainsi un oasis de jeunesse légère dans un monde sans pitié. Cette dystopie littéraire remet en acte, le passé, au présent de la scène et annonce la suite tragique, comme dans la scène-clé, émouvante, entre Agamemnon et Clytemnestre : l’épouse y avertit l’époux des malheurs qui s’abattront sur leur famille, après ce crime originel : «Je ne comprends pas l’inévitable. » (…) « Si tu rentres, tu es mort. »

Surfant sur le texte, Anne Théron et son équipe, pour rendre ce moment suspendu, un entre deux où tout pourrait encore basculer, nous plongent dans un univers crépusculaire. Dans le décor mouvant de Barbara Kraft -des îlots gris qui se disloquent, déplacés à vue par les comédiens-, les personnages en strict habit noir, bougent avec lenteur.
Figures hiératiques chorégraphiées par Thierry Thieû-Niang, ils se détachent sur une vaste  plage du Nord, filmées en format panoramique par Nicolas Comte. Sur ces images projetées en fond de scène, on distingue, 
entre chien et loup, les silhouettes incertaines de soldats bivouaquant sous un ciel chargé où courent des nuages noirs et où éclatent  grondements de tonnerre et éclairs sporadiques, précurseurs d’orage, et du vent tant désiré. En surimpression sur l’écran, tels des fantômes, apparaissent aussi de fugitifs gros plans des acteurs… Et Sophie Berger a  su créé un espace sonore omniprésent.

Ces images inspirées par celles du photographe belge Harry Gruyaert ou du film d’animation Valse avec Bachir du réalisateur israélien Ari Folman, servent de toile de fond aux atermoiements d’Agamemnon, aux supplications de Clytemnestre et au cri de révolte d’Iphigénie (Carolina Amaral) qui s’élève en portugais, tel un chant du cygne. João Cravo Cardoso en Achille aux allures d’adolescent comme sa fragile fiancée, tranche avec la rudesse virile d’Ulysse (Richard Sammut) qui martèle: «Cela va avoir lieu. » (…) «Nous sommes face à l’inévitable ! » Ménélas (Alex Descas) reste à court d’arguments face à Clytemnestre et Agamemnon ( Mireille Herbstmeyer  et Vincent Dissez),  tous deux jouant le tragique sans excès. Philippe Morier-Genoud, en Vieillard et Messager diligent, apporte une pointe d’humour dans cet univers.   

A la fin, Iphigénie, jusque-là peu disserte, va parler et s’approprier sa mort : «Je meurs. Mais c’est moi qui meurs. Ce n’est pas à vous de vous souvenir de ma mort. Je meurs parce que, oui, je choisis de mourir. Je meurs pour être oubliée. Ma mort est à moi. » Quant à nous, spectateurs, nous n’oublierons pas ce beau spectacle.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 22 octobre, Théâtre National de Strasbourg, 1, avenue de la Marseillaise, Strasbourg (Bas-Rhin). T. :03 88 24 88 00. 

Le 27 octobre, Théâtre du Passage, Neuchâtel (Suisse).

Le 8 novembre,  Théâtre des Salins, Martigues (Bouches-du-Rhône); le 17 novembre,Le Moulin du Roc, Niort (Deux-Sèvres) et les 22 et 23 novembre, Scène nationale du Sud-Aquitaine, Bayonne (Pyrénées-Atlantiques.

Les 1 et 2 décembre, L’Empreinte -Scène nationale Brive-Tulle, Tulle (Corrèze).

Du 7 au 21 janvier, Les Célestins, Lyon (Rhône) ; les 27 et 28 janvier, Teatro Nacional São João, Porto (Portugal) et les 8 et 9 février, Le Grand R, La Roche-sur-Yon (Vendée).

Le texte est publié avec Agamemnon et  Electre du même auteur, aux Solitaires Intempestifs.

 

 

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