Le Roi Lear d’après William Shakespeare, traduction d’Olivier Cadiot, adaptation et mise en scène de Thomas Ostermeier
Le Roi Lear d’après William Shakespeare, traduction d’Olivier Cadiot, adaptation et mise en scène de Thomas Ostermeier
Dans son Manifeste pour un nouveau théâtre, Pier Paolo Pasolini écrit: «Le théâtre que vous attendez, même comme une nouveauté totale, ne pourra jamais être le théâtre que vous attendez. En effet, vous l’attendez nécessairement dans le cadre des idées qui sont déjà les vôtres.» Quid pour les critiques qui ont déjà vu la pièce dans d’autres mises en scène?
Pour Thomas Ostermeier, l’attention du public doit se porter ici sur la trahison d’Edmund, le« mauvais fils», enfant illégitime de Gloucester. Le thème principal de la pièce reste actuel: comment se transmet le pouvoir, une question au cœur des pièces de Shakespeare et pour Eric Ruf, l’administrateur de la Comédie-Française, sur une lande, un vieux roi déshérite Cordelia la plus sincère de ses filles et cela nous fait réfléchir à la déliquescence du pouvoir.
Et l’adaptateur et metteur en scène ne dit pas autre chose: « Dans une réflexion sur la vieillesse, la richesse, l’héritage et la transmission de pouvoir, Shakespeare introduit grâce à des scènes-miroirs, une histoire parallèle où Gloucester se fait ravir le pouvoir par Edmund, son fils illégitime, très jaloux des prétendus privilèges réservés au fils légitime Edgar.
Le même Edmund qui représente la puissance échappera à Lear et essayera de séduire Goneril et Regan pour accéder au trône et ainsi au pouvoir absolu. »
La pièce -qui entre au répertoire de la Comédie-Française- est ici très lisible. Avec une scénographie identique à celle de La Nuit des rois ou Tout ce que vous voulez, réalisés par le même metteur en scène: une passerelle centrale traversant l’orchestre vers une lande de terre.
Maisles acteurs nous emportent avec moins de folie dans cette fable universelle. Denis Podalydès, remarquable Lear sombrant peu à peu dans la démence, s’étonne de « l’apparente désinvolture que Thomas Ostermeyer affecte dans la construction et le mouvement des scènes. Soudain il les laisse en plan, les abandonne, au moment où la scène semble germer.»
Les comédiens ont en effet une grande autonomie et chacun incarne avec précision son personnage mais cela nuit à l’unité de jeu! Christophe Montenez, Edmund juste et machiavélique, s’adresse au public et cela crée un effet bien connu de distanciation… Joué par Eric Génovèse, Gloucester est seul, face à cruauté et à l’hystérie des sœurs manipulatrices, Gonerill (Marina Hands) et Regan (Jennifer Decker). Et nous ressentons la solitude de Kent (Séphora Pondi) et de Cordelia (Claïna Clavaron). Noam Morgensztern est un Edgar touchant dans son malheur. Thomas Ostermeier sait sans aucun doute mettre en valeur la virtuosité des acteurs du Français.
Cette mise en scène a été beaucoup attaquée, notamment pour sa traduction et son manque de cohésion et de puissance. Mais elle vaut quand même le coup d’être vue: à condition d’oublier les références qu’on a du Roi Lear. Ici, il s’agit bien encore une fois d’une adaptation et dans la scène finale, Lear et Cordelia ne meurent même pas! A vous de décider…
Jean Couturier
Jusqu’au 26 février, en alternance. Comédie-Française, place Colette, Paris (Ier). T. : 01 44 58 15 15.